Egypte, 2 juillet, 8 h 45 : Une immense fête toute la nuit, les Frères Musulmans résistent
Toute la nuit, ça a été une immense fête pacifique place Tahrir et devant le palais présidentiel Ittahidiya à Héliopolis lointaine banlieue du Caire. Parmi les chants et les slogans, un qui peut être significatif, après les « A bas Morsi » c’est « A bas les moutons » visant les Frères Musulmans mais aussi, à travers ça, les manifestants affirment qu’ils ne seront plus jamais les moutons de qui que ce soit, religieux ou militaires.
Une fille est née cette nuit place Tahrir, baptisée Tamarod. A Luxor, Kafr el Sheikh et Mahalla, les manifestants ont anticipé l’appel à la désobéissance civile pour aujourd’hui 17 H, en assiègeant les gouvernorats. A Kafr el Sheikh, ils auraient pris le bâtiment du gouvernorat. A Sharqiya, les habitants d’un immeuble ont chassé du bâtiment les Frères Musulmans.
Ce matin, une déclaration de la présidence égyptienne a rejeté l’ultimatum de l’armée et celui du peuple au nom de la légitimité électorale. Une autre déclaration de la présidence a appuyé ce rejet par le fait qu’Obama aurait téléphoné cette nuit à Morsi pour lui dire son soutien. La Maison Blanche dit qu’Obama a affectivement téléphoné à Morsi mais pour seulement dire son « inquiétude ». Pour les égyptiens Obama a choisi son camp, il soutient Alqaida, le Jihad islamique , le Hamas et la Jamaa Islamya...
Les islamistes et les Frères Musulmans ont décidé de se battre car ils craignent qu’ils soient les boucs émissaires de la prochaine période ; les anciens moubarakistes voulant se venger, les anciens de la police et l’armée aussi, et surtout la population les hait comme jamais aucun régime n’a été haï. Les commerçants islamistes craignent pour leurs magasins, déjà quelques-uns ont été pillés, d’autres pour leurs maisons ou voitures, leur vie tout simplement. Certains dirigeants des Frères Musulmans ont fui le pays.
Le parti salafiste Al Nour a déclaré qu’il se prononçait pour un gouvernement technique préparant des élections présidentielles anticipées. Sûrement en 1356 !
Les chefs de la police soutiennent l’ultimatum des militaires. 6 ministres ont démissionné du gouvernement (d’autres infos selon la Middle East News Agency disent 12 ministres et 3 gouverneurs).
Affrontements cette nuit à Giza entre la police et les Frères Musulmans. Quatre militants du Hamas qui tiraient sur la foule et lançaient des grenades depuis le siège national des Frères Musulmans à Moqattam (Le Caire), auraient été lynché par la foule, qui, après avoir brûlé le bâtiment, l’occupent.
La situation à Assiut est peut-être emblématique de ce qui va se passer. C’est une ville de la Haute Egypte où il y a beaucoup de coptes, jusque là sous contrôle de la Jamaa al-Islamiya, une organisation terroriste islamiste qui soutient le gouvernement de Morsi. La ville vivait sous la terreur. Or dimanche 30 juin, il y a eu plus de 50 000 manifestants (5 fois plus que pour la chute de Moubarak) montrant un courage incroyable pas atteint au moment de la chute de Moubarak, car la Jamaa al-Islamiya et les Frères Musulmans n’hésitent pas à tuer, ayant déjà fait plus de 1 000 morts sur les dernières années. Et lundi 1er juillet les manifestants étaient à nouveau des dizaines de milliers cette fois-ci à assiéger le siège des Frères Musulmans, d’où les Frères et les terroristes de la jamaa al-Islamiya tiraient sur la foule et la police qui avait pris position pour les manifestants qui criaient « Assiut dit aux terroristes que les chrétiens et les musulmans sont unis ». En fin de journée, le siège des Frères Musulmans était brûlé et détruit par les manifestants qui criaient « Victoire ». Bref ce n’est pas la police ou l’armée qui a vaincu c’est le courage populaire. Ce qui pourrait se passer sur tout le pays dès cet après midi.
En fait peu à peu émerge de tout cela une conscience, qui se dit, que la démocratie de la rue est plus importante, plus juste que la démocratie des bulletins de vote. Que c’est ça la révolution.
Par ailleurs on voit que les soutiens politiques de l’armée, en Egypte comme ailleurs, prennent prétexte d’un risque de chaos, guerre civile ou bain de sang, déjà avant le 30 juin, encore plus maintenant où les Frères Musulmans ont décidé de résister, pour demander, justifier une intervention de l’armée. A ce moment ils pourraient faire passer ça, non pas comme une interruption du processus démocratique électoral, mais comme une nécessité de force majeure, pour éviter le chaos né de l’opposition entre deux camps. Et Obama pourrait alors soutenir l’armée. Plus il y a de sang, plus ça les arrange. En même temps, ils craignent aussi en ce cas une deuxième insurrection populaire qui les renverserait eux-aussi, l’armée se dissolvant dans l’insurrection.
Egypte, 2 juillet, 0 h 15 : après la fête, les affrontements ?
Place Tahrir, c’est un festival de chants et de feux d’artifice qui n’arrêtent pas depuis plus de 6 heures, tout comme devant le palais présidentiel où la foule est toujours si immense.
De gigantesques manifestations anti-Morsi du même type dans la plupart des villes d’Egypte. C’est la fête mais pas partout.
A Mahalla, principale ville ouvrière d’Egypte, les manifestants ont décidé de mettre en pratique immédiatement la grève générale et la désobéissance civile.
Morsi semble avoir renoncé ce soir à faire une déclaration. Il aurait été fait prisonnier -sous toute réserve - par la garde républicaine. On parle d’une rencontre entre Morsi et Sissi.
Des manifestations pro Morsi se déroulent actuellement. Il n’y a pas de comparaison de taille entre les immenses manifestations anti- Morsi et les moyennes ou petites en sa faveur. Cependant les Frères Musulmans n’ont pas abandonné ; on compte des dizaines de milliers de manifestants à Raba’a Adawya au Caire pour Morsi et contre la dictature militaire. Des centaines devant l’université du Caire. Des dizaines de milliers d’autres marchent à Marsa-Matruh en scandant des slogans contre le CSFA. Manifestations moyennes ou petites pour Morsi et contre le CSFA à Giza, Qena, Arish, Sohag, Suez, Assiut et Minya. Des centaines de supporters de Morsi ont pris les rues à Al Tor city dans le Sud-Sinai. Affrontements violents à Fayoum, Beni Suef et surtout à Suez entre pro et anti Morsi. Le quartier général des Frères Musulman brûle à Assiut. L’armée intervient. Une rumeur dit que l’armée pourrait intervenir pour « protéger » les manifestants anti Morsi des Frères Musulmans place Tahrir et devant le palais présidentiel. Protéger des millions contre des milliers ?
Une conférence de presse ce soir des Frères Musulmans et alliés islamistes refuse la déclaration du CSFA, dénonce un coup d’Etat et appelle tous les égyptiens à descendre dans la rue pour défendre la légitimité de la loi (!) et des élections (!), bref la guerre sainte pour la démocratie représentative. Obama va apprécier.
De cette confusion, on peut être sûrs que les égyptiens sauront approfondir non pas de savoir auprès de qui on peut espérer un salut, mais ce qu’ils veulent eux, quels sont leurs objectifs à eux. Ceux définis il y a déjà deux ans, pain, justice sociale, liberté.
Egypte, 1er juillet, 22 h : Explications et récit
Explications
Avec l’affaiblissement progressif du pouvoir des frères Musulmans sur fond de records historiques de grèves et protestations depuis des mois, puis les manifestations massives du 30 juin contre Morsi et enfin l’ultimatum de ses organisateurs pour que Morsi dégage qui arrivait à échéance mardi 2 juillet à 17 h , faute de quoi, ils appeleraient à une grève générale illimitée et un mouvement de désobéissance civile jusqu’à la chute du régime, l’armée, pour voler au peuple la deuxième révolution qui venait, a décidé de réitérer son coup de janvier 2011, lorsque devant la menace d’une grève générale, elle avait décidé de laisser tomber Moubarak.
Mais il y a plusieurs différences importantes entre aujourd’hui et il y a deux ans.
D’une part Morsi avait été élu et la rue vient de démettre un président élu. Ce qui est quelque chose qui ne s’oublie pas. Moubarak était un dictateur classique avec des élections bidons. Morsi était aussi un dictateur, les élections qui l’ont mené au pouvoir étaient truquées mais beaucoup de gens avaient eu le sentiment de participer à une véritable élection démocratique, en tous cas en comparaison avec ce qui se faisait auparavant. Renverser un président élu par la rue, car même si c’est l’armée qui met la dernière main, c’est le mouvement populaire qui a fait l’essentiel, c’est légitimer la révolution contre les élections. C’est dire : si vos élus ne tiennent pas leurs promesses, vous n’êtes pas obligés d’attendre les prochaines élections, vous pouvez les renverser avant. C’est vous le vrai pouvoir, le peuple, la rue, la révolution. C’est pour ça que les USA sont gênés d’abandonner un président élu. Ils légitimeraient ainsi tout ça. Donc aussi pour ailleurs : partout dans le monde vous pouvez renverser ceux que vous avez élu et qui vous trompent. Ca fait du monde. Et si on pense à la Turquie, le Brésil, la Tunisie, la Bulgarie, le Chili, la Bosnie, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et tellement d’autres, ça risque de ne pas tomber dans les oreilles de sourds.
Mais il y autre chose. Contrairement à il y a deux ans, s’il est possible qu’encore bien des égyptiens se fassent des illusions sur l’armée, notamment tous les primo-manifestants qu’on a vu hier, il y en a bien d’autres, des centaines de milliers, qui ont souffert dans leur chair et fait consciemment l’expérience répressive du régime militaire en se battant contre le gouvernement du CSFA au moins d’octobre 2011 à juin 2012. Ils sont férocement hostiles à l’armée et s’en méfient comme de la peste. La marge de manœuvre de l’armée est donc infiniment rétrécie, mise sous la surveillance des meilleurs militants de la révolution. Si l’armée prend le pouvoir, à chaque faux pas, elle sera la cible de leurs critiques et attaques. Et les soldats tous comme les policiers sont beaucoup moins sûrs pour les généraux qu’il y a deux ans. Il est fort probable que s’il leur faut à nouveau réprimer un peuple qui lutte, ils pourraient ne plus l’accepter. Et il n’y aura plus la religion pour aider le sabre. En tous cas, beaucoup moins.
Or le prochain gouvernement, provisoire ou pas, militaire ou pas, devra faire face aux multiples luttes économiques, qui ont parsemé les premiers mois de 2013 et qui continueront, voire probablement s’amplifieront. Car si on renverse un gouvernement, beaucoup se diront probablement c’est pour qu’il change quelque chose ; la faim n’a pas de patience et la situation économique se détériore très rapidement.
S’il y a un pouvoir militaire, ce risque bien d’être un colosse aux pieds d’argile et si l’armée s’écroule après le « goupillon », il n’y a plus rien pour protéger les possédants et leurs propriétés.
C’est pourquoi, indépendamment de leurs calculs, ce serait important que dès aujourd’hui, les gens se saisissent de la rue, des places et demain dès 17 H des palais présidentiels, des gouvernorats, des municipalités... chassent les frères mais aussi les Felloul, avant l’armée, avant la fin de l’ultimatum de l’armée, pour le « pain, la justice sociale et la liberté ».
Egypte, 1er juillet, 21 H, Immense fête populaire et...
Partout dans les rues du Caire, les gens descendent dans la rue, se congratulent, s’embrassent et dansent. Il y a encore plus de monde dans les rues qu’hier. Reste-t-il des gens dans les immeubles ? Pour eux, c’est quasi fait, Morsi est « dégagé ». En tous cas, le compte à rebours a commencé. Peut-être a-t-il également commencé pour les autres dictateurs en place de la région mais dans un autre timing ?
Même immense joie que lors de la chute de Moubarak, mais cette fois beaucoup sont avertis et ont bien l’intention de ne pas se laisser faire par l’armée. Des chants certes, « l’armée est le peuple sont une seule main » mais aussi « il partira nous resterons »... Avec 40% des égyptiens en dessous de la ligne de pauvreté, les hausses de prix, les coupures de courant et d’eau, la pénurie d’essence, des milliers de grèves en quelques mois sur ces sujets, tout nouveau gouvernement devra commencer par régler ça et toute réelle démocratie ne peut se faire sans démocratie économique. Hui députés viennent de démissionner. Tamarod, qui a initié la pétition de 22 millions de signatures contre Morsi qui a débouché sur la journée d’hier, vient de dire que la déclaration de l’armée couronne le mouvement du peuple, déclare que Morsi n’est plus président et donc que le peuple doit occuper lui-même les deux palais présidentiels à partir de demain mardi 2 juillet à 17 h 00.
En même temps Tamarod demande des élections présidentielles anticipées et un gouvernement technocratique de transition présidé par le président de la Haute Cour constitutionnelle et le Conseil national de Sécurité (l’armée). Le parti al Nour (salafiste) vient de dire qu’il avait neutre pendant les manifestations d’hier et que la déclaration de l’armée était ambiguë et ne protégeait pas le peuple d’une possibilité de dictature militaire. Des dirigeants des Frères Musulmans seraient en train de demander l’asile politique en Europe ? Le siège du gouvernorat de Kafr el-Sheikh vient d’être saccagé par la foule mobilisée, le gouverneur, Frère Musulmans, s’est enfui. Le siège du parti islamiste Wasat, incendié. Manifestations géantes partout en Egypte. L’armée s’est emparé du siège du gouvernorat de Fayoum et a arrêté le gouverneur.
Egypte, 1er juillet, 19 h 00, coup d’Etat militaire et manifestations de masse
Les gens dansent sur la place Tahrir, les hélicoptères militaires passent très bas avec d’immenses drapeaux égyptiens et des ballons et les pilotes saluent la foule, les gens hurlent leur joie et crient maintenant « le peuple et l’arme sont une seule main », la place et les rues devant le palais présidentiel sont également pleines de gens dont certains demandent à l’armée d’intervenir tout de suite pas dans 48 h. Mais ce n’est pas parce que la foule applaudit au soutien de l’armée qu’elle souhaite un retour au pouvoir de l’armée et un régime anti-démocratique. De grosses manifestations commencent à Mahalla, Sharqeya, Port Saïd, Monofeya et d’autres villes. Il semblerait que des troupes de l’armée se soient saisies de l’aéroport, où ils ont arrêté des dirigeants des Frères Musulmans qui fuyaient, et de la TV d’Etat.
La maison du multi milliardaire et véritable homme fort des Frères Musulmans, Kairat al-Shaker a été brûlée par la population pendant que ses gardes du corps ont été arrêtés par l’armée. Le ministère de l’intérieur déclare qu’il ne prendra aucune mesure contre les policiers qui manifesteront. Un compte à rebours de 48 h commence à s’égrener sur certaines télés privées. 10 ministres ont démissionné, les gouverneurs de Damiette et Ismailiya également. Tamarod annonce qu’il ne participera pas aux négociations entre partis demandées par l’armée pour trouver une solution à la demande du peuple. Les procureurs viennent de demander au procureur général de démissionner. Des annonces de meetings et conférences de presse des partis se multiplient ce soir. Des rumeurs disent que Morsi proposera ce soir un référendum « dois-je rester ou partir ? »