Présentation :
Le Mouvement Passe Livre (MPL), qui a indiscutablement impulsé l’explosion des protestations dans le pays [Brésil], se trouve sur le devant de la scène sur la place publique, cela de façon inédite. Il est même reçu par le cabinet de la présidence de la République. Avec l’ensemble des prises de position qui se sont ajoutées aux revendications ayant trait transport collectif, le prochain moment semble être celui de la réflexion et de la réorganisation des luttes qui ont éclaté en plein milieu de la Coupe des Confédérations de la FIFA [Fédération Internationale de Football Association].
Dans ce contexte, le {}Correio da Cidadania [le Courrier de la Citoyenneté] en partenariat avec webràdio Central 3, s’est entretenu avec Daniel Guimarães, membre du Mouvement (MPL), pour débattre avec lui et approfondir des orientations politiques quand diverses questions sociales se sont imposées dans le cours du débat. Des entretiens avec des militant·e·s d’autres mouvements sociaux progressistes suivront.
Pour Daniel, « ce qui se passe est le reflet du processus conduit par le gouvernement fédéral et la FIFA, contre les intérêts populaires, s’attaquant aux intérêts de la population, retirant le droit de libre manifestation des personnes, allant jusqu’à l’expulsion forcée de personnes de leur logement et utilisant l’argent public pour financer un événement privé. La facture qu’il faut payer commence à être présentée ».
Dans ce nouveau moment des luttes qui se profilent à l’horizon, il souligne « que le MPL se revendique de la tradition des luttes de gauche, des luttes pour les intérêts de la population, de ceux « d’en bas », contre l’offensive du capitalisme, de l’ Etat et de la violence ». Sur les transports, après cette première victoire – l’annulation de l’augmentation des tarifs – il dit que le mouvement continuera à travailler sur ce thème, y compris avec un projet de loi d’initiative populaire pour le « transport gratuit ».
Ci-après l’entretien complet de Daniel Guimarães.
Rédaction de A l’encontre
Correio da Cidadania : Comment le mouvement a-t-il reçu la victoire de la réduction du tarif d’autobus, du métro et des trains à São Paulo ? Comment analyse-t-il le moment et digère-t-il toute cette présence visible sur la place publique ?
Daniel Guimarães : En réalité, ce n’est pas la première fois que nous obtenons l’annulation d’une augmentation ; il y a eu d’autres annulations au Brésil, antérieurement. Mais à São Paulo c’est la première fois, ce qui a un impact important, car il s’agit de la plus grande ville du Brésil.
C’est un pas en avant très important, non seulement pour le MPL, mais pour toute la gauche, qui n’est pas nécessairement habituée à vaincre dans l’affrontement pour de meilleures conditions de vie et à connaître des avancées dans ses luttes… Ce n’est pas tous les jours que cela arrive et il s’agit là d’un facteur qui va avoir un effet pédagogique important.
Correio da Cidadania : Comment vois-tu le moment politique, après ces semaines de manifestations massives ? Y a-t-il eu une accalmie ?
Daniel Guimarães : Je pense que ces manifestations furent réellement très inattendues. Elles sont même sorties hors du champ habituel de la gauche. Et il est arrivé un certain moment où il y a eu la crainte que des groupes de droite ne puissent bénéficier des manifestations de masse. Mais nous pouvons observer que là où il y a eu victoire, ce fut une victoire de gauche, dans le cas de l’annulation des augmentations des tarifs de transport. Et cela dans plus de 50 villes du Brésil ; parmi elles, se trouvent les 11 capitales régionales.
Et quand les groupes de gauche se sont retirés de la lutte, pour pouvoir réfléchir et donner une continuité à leurs objectifs, les manifestations de masse – que la grande presse a appelées, en tentant de les encadrer dans leurs propres plans contre le gouvernement du PT – ont été moins nombreuses. Il semble que c’est ce qui est arrivé à São Paulo et ce qui commence à se passer au Brésil.
Correio da Cidadania : Comment analysez-vous les massives protestations dans les villes qui étaient le lieu du déroulement de la Coupe des Confédérations ? Comment penses-tu que les événements vont se développer après la fin de cet événement test pour la Coupe de 2014 ?
Daniel Guimarães : Tout d’abord, ce qui arrive maintenant est le reflet du processus conduit par le gouvernement fédéral et la FIFA, contre des intérêts populaires, attaquant les intérêts de la population, retirant le droit de libre manifestation des personnes, arrivant jusqu’à l’expulsion forcée de personnes de leur logement et utilisant l’argent public pour financer un événement privé.
Maintenant l’addition commence à être présentée. Je crois que probablement, à la fin de la compétition, les groupes spécialisés sur ces questions vont évaluer leurs participations, intensifier leurs débats et mener un combat idéologique au sein de la société.
L’an prochain il y a la Coupe du Monde et je n’arrive pas à imaginer que pendant sa réalisation puisse régner le silence. La tendance est que ces processus de lutte s’intensifient durant le grand moment que représente la Coupe du Monde.
Correio da Cidadania : Comment le MPL se prépare-t-il pour continuer la lutte pour le transport gratuit ?
Daniel Guimarães : Il y a déjà quelque temps, nous avons un projet de loi d’initiative populaire qui a besoin de 430’000 signatures pour être officiellement présenté à la Chambre des conseillers municipaux de São Paulo. Nous avions commencé la campagne de signatures. Maintenant, après ce processus, qui a mis tellement en avant le nom du MPL ainsi que le débat sur la gratuité des transports, nous allons reprendre la question. Nous allons nous organiser pour définir le mois prochain comment sera la nouvelle journée de mobilisation. Mais l’idée est maintenant de mettre en place le projet, de le faire transiter par la Chambre municipale et d’« attendre » le temps nécessaire pour conquérir la gratuité du transport dans la ville de São Paulo.
Correio da Cidadania : En plus de la gratuité du transport, quelles autres revendications doivent figurer dans l’agenda du mouvement ? N’est-il pas indispensable de poser la question de l’étatisation des transports publics, face à des gouvernants qui déclarent nécessaire d’arrêter des investissements pour pouvoir baisser les tarifs ?
Daniel Guimarães : Nous avons aussi cette discussion (de l’étatisation). Il y a plusieurs noms et dénominations attribués à ce que nous défendons. C’est-à-dire que la gestion du système de transport collectif public doit relever d’une responsabilité du pouvoir public, non pas des entreprises privées. Et ceci avec la participation populaire directe et délibérative, définissant comme devrait être le système : où il doit y avoir des autobus, pourquoi il y aura des autobus à tel endroit, la quantité de véhicules… Ces choses ne doivent pas être laissées aux mains de l’entreprise privée.
Fernando Haddad [nouveau maire du PT] a annulé l’appel d’offres qui prévoyait l’entrée de nouvelles entreprises dans la gestion du transport collectif. Toutefois, en deçà de toutes les mobilisations qui ont forcé le maire à prendre cette décision, les chefs d’entreprise étaient en train de faire pression sur lui parce qu’ils considéraient que le modèle présenté par la municipalité réduisait leurs bénéfices de 10%. Et ils étaient disposés à déposer des enveloppes en blanc lors de l’examen de l’appel d’offres, comme forme de protestation et de boycott, menaçant de retirer une certaine quantité d’autobus des rues.
Ceci est un exemple clair qui montre pourquoi on ne peut pas avoir d’entreprises privées qui déterminent le fonctionnement du système de transport dans la ville.
Si cela s’appelle municipalisation ou étatisation, c’est une discussion secondaire, dans ce moment où nous allons approfondir un modèle spécifique possible et adéquat pour le MPL, en lien avec les autres groupes qui voudraient nous appuyer dans ce projet. L’important c’est qu’il soit en faveur de l’intérêt public et non privé.
Correio da Cidadania : Comment appréciez-vous les deux dernières rencontres avec l’exécutif, de tous les niveaux, d’abord la rencontre avec Dilma Rousseff à Brasilia, ensuite la décision de Geraldo Alckmin (gouverneur de l’Etat de São Paulo) après la rencontre avec le MTST (Mouvement des travailleurs sans-toit) ?
Daniel Guimarães : Tout d’abord, disons qu’ils ont dû céder ces espaces de discussion. Au tout début, ils n’ont pas cherché les mouvements pour discuter. Au contraire, ils ont creusé une distance ; ils disaient explicitement que ces revendications revenaient à demander l’impossible, ils disqualifiaient les mouvements les traitant de casseurs, de vandales, essayant de nous criminaliser.
Grâce à la pression populaire, massive, ils ont dû reculer. Comme on dit : sous la pression, ils ont cédé les bagues pour ne pas perdre les doigts. C’est bien ainsi que cela s’est passé tant à la Mairie de São Paulo qu’au niveau du gouvernement de l’état de São Paulo.
Au niveau fédéral, je crois qu’il y a eu une autre composante. Le gouvernement fédéral s’est vu dans l’obligation de répondre par un « agenda positif ». Le MPL n’était même pas dans les rues en train de manifester quand la présidente, Dilma Rousseff, invita le Mouvement (MPL) à lui faire entendre nos propositions. Certaines, c’était amusant, elle ne les a pas comprises ; la présidente ne s’était pas préparée à discuter transport gratuit et public.
Mais nous ne pensons pas que le Mouvement a été appelé seulement parce qu’il a de bonnes idées ou parce qu’il s’organise autour de cela depuis longtemps. En réalité, ce fut parce qu’il a réussi, aux côtés de plusieurs autres organisations, à construire une pression populaire, et c’est seulement celle-ci qui est capable de modifier un rapport de forces qui semblait jusque-là apparemment stabilisé.
Correio da Cidadania : Le MPL prétend-il affirmer publiquement une position politique plus claire, face à la variété de positions mises en avant par les médias et en fonction des offensives de la droite ?
Daniel Guimarães : Pour le moment, il n’y a pas eu une discussion à ce sujet. Le mouvement se réunit constamment, mais nous sommes dans un tourbillon nous poussant à offrir des réponses à la question des transports.
Cependant, il est bon de clarifier que le MPL se situe dans le camp de la gauche dans le processus politique. Le MPL se revendique de la tradition des luttes de gauche, des luttes pour les intérêts de la population, de « ceux d’en bas », contre l’offensive du capitalisme, de l’Etat et de la violence.
Même si nous sommes centrés sur notre question, celle du transport, et que nous n’avons pas mis en avant certaines revendications ensemble, nous avons adressé dans notre lettre à Dilma Rousseff une série de revendications d’autres mouvements, exigeant y compris la fin de la violence de l’Etat contre des populations indigènes et les luttes des travailleurs.
Correio da Cidadania : En ce qui concerne les prisonniers politiques, le MPL, est-il en train de chercher une sorte de solution et de négociation d’ensemble sur leur situation ?
Daniel Guimarães : Oui, le mouvement apporte son appui aux détenus. Il n’existe aucun prisonnier pour l’instant ; ils ont tous été libérés, mais certains peuvent être poursuivis pour « constitution de bande ». Nous luttons collectivement, bien sûr, et donnons notre appui pour que la Justice ne tienne même pas compte de telles accusations avant qu’elles ne deviennent un procès criminel. Et il est possible, oui, que nous obtenions cela.