« L’homme plus grand que l’homme ». L’avenir de l’homme viendra de l’idéogramme, le seul qui puisse sauverl’humanité. L’idéogramme est fait de plusieurs mots, il fonde la théorie des groupes. Une théorie des groupes que l’on retrouve dans la culture et la langue mayas. Plusieurs références signifiées : l’eau c’est quatre points, la famille c’est le toit différents éléments qui, réunis, donnent un signe, mais ce signe ne dit pas la même chose suivant les signes avec lesquels ils coexistent. Toute l’histoire que j’ai écrite, la Parole errante, c’est ça. C’est 20 ans de travail.
La Révolution. C’est toute l’aventure du mot. Lorsque l’on fait la révolution. Khlebnikov a dit : « Les seuls qui font la révolution ce sont les astres. Il n’y a de révolution que celle du soleil. » L’idée de Révolution est portée par le mot, s’il n’y a pas de mot il n’y a pas de révolution. Les révolutions n’existent qu’à partir du moment où elles sont véhiculées par le langage. Il n’y a que le langage. Or il arrive que le mot qui transporte la révolution, qui devrait transporter l’idéal, se détériore. Il devient langue de bois. Il ne faut pas oublier une chose capitale : nous sommes victimes du langage déterministe, 1+1 font 2, en dehors de cela vous êtes en dehors de la « vérité ». Vérité, mot qui n’existe pas. Nous essayons de cerner cette chose qui n’existe pas, la réalité. Ce sont deux scientifiques, Bohr et Heisenberg, qui nous ont dit que 2+2 pouvait faire 14, 28 ou, parce que nous ne sommes pas staliniens, 4, c’est aussi une possibilité. Ici, c’est le principe d’incertitude qui domine.
1500000 enfants. 1500000 enfants juifs et leurs jouets, ceux qu’ils ont laissés devant la chambre à gaz c’est pour eux que j’écris. Pour eux et pour le dialogue qu’ils ont pu avoir avec leurs jouets. D’ailleurs je termine là-dessus, « il était une fois un livre », c’est celui-ci. Ce livre-là n’a pas de fin parce que le dialogue avec ces enfants n’a pas de fin.
Le camp. Je vis toujours dans le camp. Je n’en suis jamais sorti. D’une façon ou d’une autre, j’y suis toujours. Le camp, avec le maquis de la forêt de la Berbeyrolle, sont des lieux qui ont compté pour le langage. La rencontre avec le judaïsme s’est faite au camp de concentration avec la pièce jouée par les trois rabbins : Ich war, Ich bin, Ich werde sein (j’étais, je suis, je serai). Ce fut la révélation du théâtre. Deux choses sont présentes dans tout ce que je fait : le soufisme et la kabbale, une des plus grandes aventures de l’esprit.
La guerre d’Espagne. Tout le drame de l’Europe et tout ce qui s’est passé après vient de la guerre d’Espagne. On a perdu à Barcelone, avec la mort de Durutti. Barcelone, lieu de la défaite anarchiste. Barcelone, où on entrait libertaire et d’où on sortait militaire.
Le camp des vaincus. Raymond Mas, le boulanger de Tarnac (Corrèze), l’âme de notre maquis où nous étions quatre chats, le jour de la Libération, a dit : « c’est pas ça ». Il a pris une tente qu’il est allé planter à la lisière de la forêt, et au sommet de celle-ci il a planté une faucille et un marteau. Et il a dit : « j’attends ». J’attends le moment propice pour reprendre le combat parce qu’il fout le camp de tous les côtés. Il est mort sous sa tente. Le camp des vaincus, c’est ma façon à moi d’illustrer la lutte des classes. J’écris pour changer le passé
Fidel Castro. C’était lors d’une célébration de la prise de la Moncada, l’assaut vers le ciel. On attend le discours de Fidel. L’attente dure, puis à un moment donné, on voit Fidel arriver sur un bulldozer et foncer sur un des murs de la Moncada. Il est arrivé à 10 heures et il a fini de renverser les murs de la Moncada vers 16 heures, sans dire un mot. Lorsqu’il eut fini, il s’est mis debout sur son bulldozer et il s’est exclamé : « Compañeros, a partir de hoy es una escuela » à partir d’aujourd’hui c’est une école. L’image d’aujourd’hui de Fidel est une image aux trois quarts fabriquée par la CIA et on y est soumis entièrement, et ce n’est pas Monsieur de La Grange qui écrit dans le Monde qui va me démentir. Maintenant, que ce soient les partis politiques, que ce soient les révolutions, que ce soient les maoïstes, les trotskystes, les anarchistes,etc., tous ont ceci de commun : l’incapacité de régler l’exploitation de l’homme par l’homme. Il ne nous reste qu’une voie : la poésie, ce qui a fait rire beaucoup de gens.
Marcos. Ce qui est formidable, c’est que la théologie de la libération soit passée de ce côté-là. Et cela m’a permis de récupérer quelqu’un d’avec qui je vivais mal la séparation, c’est saint François d’Assise, celui que ma mère portait. Ma mère était franciscaine.
Arbres. [Gatti montre un arbre, un platane que l’on voit depuis la fenêtre de son bureau.] Cet arbre a 130 ans, il a connu Méliès, il a joué dans Méliès. « J’ai lutté pour que cet arbre soit sauvé du béton. » Et je lutte aussi, toujours dans la suite de mes idées biscornues, pour planter des cerisiers dans tout Paris. Le contact avec l’arbre, la communication avec lui, c’est quelque chose de très important. Le merveilleux. c’est quand le vent passe et que les oiseaux vont dedans. Ce n’est pas de la mystique, c’est du réalisme. Cette rencontre entre le soleil, l’arbre, les oiseaux et l’homme, est plus qu’un fantasme, c’est une raison de vivre.
Loulous [« exclus », chômeurs]. La première chose que je leur dis c’est : « Au commencement était le verbe, et le verbe était Dieu. » Voulez-vous être Dieu avec moi ? Pendant six mois seulement parce que l’on a pas les moyens de faire autrement. Ce que je leur demande, c’est d’essayer de répondre à ces deux questions : Qui je suis ? A qui je m’adresse ? C’est une prise de parole pour exister. Dieu est un mot, une fabrication humaine comme l’a dit Lacan.