Le vendredi 19 juillet, des manifestants pro-Morsi se sont mobilisés, en nombre limité, devant le MPC, soit le lieu où se trouvent les médias privés qu’ils accusent de désinformation
La « question sociale » est le terreau de l’ensemble des « événements » politiques des derniers mois en Egypte, et de leur expression aiguë du 30 juin au 3 juillet, date de la destitution de Mohamed Morsi. Il ne s’agit pas ici d’analyser la situation en Egypte. Divers articles y ont déjà contribué. Une question devra être abordée : l’alliance entre, d’une part, le « big business » de retour sur la scène politique, comme le copte Naguib Sawiris (qui a un pied à terre distingué en Helvétie) et d’autres personnalités, et, d’autre part, un acteur économique disposant d’une sorte de rente, l’armée égyptienne.
Toutefois, une des questions qui sont posées par les analystes de la conjoncture en Egypte et des tendances plus fondamentales travaillant cette formation sociale est la suivante : certes, les Frères musulmans ont pris un coup sec sur la nuque – à l’occasion de manifestations d’une ampleur rare dans l’histoire et de l’ultimatum posé par l’armée qui fit tomber son couperet le 3 juillet –, néanmoins disposent-ils les ressources d’une résistance et d’une reconstitution plus marquées de leurs capacités de mobilisation ? Certains tirent des conclusions immédiates à partir de l’ampleur comparativement limitée de leurs mobilisations entre le 20 juin et le 3 juillet et depuis lors. Leurs principaux dirigeants ont été arrêtés et transférés dans des prisons de haute sécurité (prison d’Akrab au sud du Caire). Il ne semble pas que le nouveau gouvernement, en particulier le chef du Conseil suprême des forces armées, Al-Sissi, veuille appliquer la demande de Catherine Ashton, responsable de la dite politique extérieure de l’Union européenne, de libérer l’ex-président Morsi. Les accusations contre des figures aussi importantes des Frères musulmans que peut être le grand capitaliste Khairat al-Chater sont sérieuses, au sens des peines d’emprisonnement possibles. Elles mettent en avant « l’incitation à la violence », « le financement d’actes de violences » et des « actes de casseurs ».
Dans l’immédiat, divers facteurs peuvent expliquer la faiblesse de la riposte des Frères musulmans. La crise de l’islamisme politique, rongé par le fossé entre ce qu’ils proposent et la misère sociale de centaines de milliers de personnes qui avaient voté Morsi et attendaient des Frères musulmans un changement, rapide, est d’évidence un facteur important. Néanmoins, il ne faudrait pas sous-estimer des effets aussi concrètement matériels sur la possibilité des Frères musulmans d’organiser une mobilisation permanente contre le coup qui leur a été porté que les contraintes de survie de couches paysannes paupérisées, de petits artisans tentant de surnager dans la grande périphérie du Caire, de la fatigue psychologique accumulée par quelques semaines d’affrontements. Sans mentionner même les contraintes liées au Ramadan, pour une population beaucoup plus encline au respect des règles religieuses que celle, socialement composite, qui s’est mobilisée pour le 30 juin et ses suites immédiates.
Enterrer tout de suite les Frères musulmans et leur base, même si l’Arabie saoudite veut calmer le jeu, est peut-être aller trop vite en besogne. D’autant plus que le nouveau gouvernement aura de la difficulté à faire face à l’ampleur de la crise socio-économique. Enfin, pour la direction des Frères musulmans, se retrouver dans une position historique de martyrs et d’opposants au régime renvoie à un terrain politique et à une pratique qui leur sont plus connus. Dans ce sens, leur présence dans un certain nombre d’associations professionnelles – qui sera un élément de conflits et de batailles pour le maintien de leur contrôle – ne peut être balayée d’un revers de main. Quiconque connaît les liaisons sociales tissées par un médecin, un vétérinaire, un pharmacien, etc. peut comprendre qu’ils sont aptes à jouer un rôle de médiation, moins visible et n’ayant pas le statut d’une cible aisément réprimable – comme le furent les sièges des Frères musulmans attaqués et saccagés de manière quasi simultanée en étant délaissés par les forces de sécurité –, pouvant servir de réservoir et de reconstitution de forces et d’initiatives. C’est dans ce sens que l’article de Jano Charbel est une contribution à lire avec un peu d’attention [1].
Charles-André Udry