Triste leçon de choses. Les pétroliers constituent l’un des principaux secteurs industriels du monde et TotalFina s’affirme l’une des toutes premières multinationales de France. Or, pour quelques milliers de dollars de plus, ils n’hésitent pas à utiliser et à alimenter un système de transports maritimes, symbolisé par les pavillons de complaisance, qui vit de la surexploitation des hommes et provoque des catastrophes écologiques récurrentes.
Les apôtres du libéralisme invoquent la fatalité : il n’y a pas de risque zéro. Mais le naufrage de l’Erika semble bien dû, en l’état des informations, à l’usure du tanker et non à des conditions météo exceptionnelles ou à une erreur de navigation : le bâtiment s’est brisé en deux sans avoir heurté des hauts fonds. Si fatalité il y a, elle résulte de la course aux profits. Ce qui est aussi le cas pour cette pollution permanente que provoque le dégazage sauvage des navires, effectué dans la mer, pour ne pas payer le coût d’une vidange faite dans les règles.
Réglementations
Des mesures importantes ont été prises par l’Etat dans l’organisation du trafic maritime sur le rail d’Ouessant où transitent quotidiennement des quantités énormes d’hydrocarbures ; c’est pour cela que les accidents restent rares. Mais il n’en va pas de même en ce qui concerne le contrôle de l’activité économique et des navires. Les réglementations internationales sont insuffisantes. Les experts chargés des vérifications sont choisis et rémunérés par leurs clients, ce qui nuit à leur indépendance. Quant aux pavillons de complaisance, ils ont pour fonction de contourner les règlements tant en matière d’emploi que de sécurité ; leur existence prouve l’incurie du droit international. D’où la responsabilité d’une firme comme TotalFina : quand elle utilise un navire sous pavillon maltais, elle sait ce qu’elle fait. Le problème est connu depuis longtemps, et pourtant, l’incurie tend à s’aggraver avec la déréglementation libérale du commerce mondial.
L’ordre économique est en cause, avec son pendant judiciaire : le capitaine indien se retrouve en prison alors qu’aucun autre responsable n’a été inquiété. Comment le justifier s’il s’avère que ce n’est pas une faute de navigation qui est à l’origine du naufrage ? Le capitaine est en effet loin d’être seul maître à bord : il n’a pas décidé de maintenir l’Erika en activité et il est soumis aux exigences d’un employeur soucieux avant tout de limiter les pertes financières. La logique capitaliste apparaît dans sa nudité : l’Etat doit organiser la sécurité sans se voir doté (et sans se doter lui-même) de moyens humains, techniques et juridiques suffisants pour imposer aux entreprises les contraintes nécessaires, ou pour faire respecter la loi telle qu’elle est.
Les initiatives se multiplient pour que la responsabilité du propriétaire, de l’armateur ou de l’affréteur soit reconnue. Une pétition circule qui exige la libération du capitaine, bouc émissaire idéal. Le collectif « TotalFina-Elf ne fera pas la loi » rappelle qu’une mission parlementaire, présidée par Marie-Hélène Aubert, avait présenté en octobre un rapport mettant en cause la politique des compagnies pétrolières en matière sociale et environnementale ; il demande que la direction de TotalFina finance la dépollution de la marée noire. Le comité des pêches du Guilvinec appelle au boycott des produits TotalFina. Des manifestations sont organisées en Vendée et Bretagne, comme à Quimper avec le soutien de la LCR.
Les pêcheurs s’inquiètent de la bombe à retardement que représentent les 20 000 tonnes de pétrole contenues dans l’épave de l’Erika. Des milieux vitaux (estuaires et vasières, bien plus que les plages) sont menacés si la marée noire les atteint. En attendant, les cadavres de guillemots, pigouins, macareux et fous de Bassan sont
rejetés sur la côte.