Cette initiative doit nous servir à reprendre l’offensive, à lutter pour nos droits, menacés par le libéralisme triomphant et les réactionnaires de tous horizons. Ce sera le vingt-cinquième anniversaire de la loi Veil autorisant l’avortement en France, mais sur cette question, comme sur les autres, il est urgent de rappeler nos revendications. Partout nos droits régressent, et si le sentiment d’égalité est largement partagé, il n’empêche ni les attaques ni les reculs. Alors qu’une minorité a tiré profit des luttes des femmes des années 1970, la majorité a vu ses conditions de vie et de travail se dégrader. Le libéralisme s’appuie plus que jamais sur les inégalités entre hommes et femmes qui structurent nos sociétés pour accentuer les déréglementations, détruire nos acquis et jouer sur la compétition individuelle. Au nom d’une véritable égalité, nous devons résister, ne pas renoncer à faire progresser les droits de toutes et tous.
Parité : égalité ?
La question de la parité est de nouveau à l’ordre du jour. Un avant-projet de loi vient d’être remis par le gouvernement au Conseil d’Etat et devrait être discuté au Parlement en janvier 2000. Il fait suite au vote du Congrès réunissant députés et sénateurs le 28 juin dernier, qui introduisait deux modifications dans la Constitution. Depuis, le nouvel article 3 précise que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » et l’article 4 que « les partis politiques contribuent à la mise en œuvre » de cette politique. Il s’agit pour le gouvernement de concrétiser cette orientation, en proposant d’introduire « l’égalité des candidatures féminines et masculines » pour les élections au scrutin de liste, notamment pour les prochaines municipales.
D’ores et déjà, de nombreuses paritaristes ont protesté contre plusieurs dispositions de ce projet de loi : rien ne contraint les partis à alterner sur leur liste femmes et hommes ; de plus, cette égalité ne concernera que les villes de plus de 3500 habitants, soit 2000 communes sur 36000. Par ailleurs, le projet institue un mécanisme de pénalisation financière pour les partis qui ne respecteraient pas cette égalité des candidatures.
Ce projet, dénoncé par Geneviève Fraisse comme une « coquille vide », a surtout le défaut de ne pas s’attaquer aux mécanismes qui marginalisent les femmes, en particulier celles des milieux populaires, dans la vie politique : il n’est pas question par exemple d’un statut de l’élu(e). Rien, dans la politique gouvernementale, n’est prévu pour financer l’amélioration de la vie quotidienne des femmes : ni dans la loi Aubry ni sur le plan des modes de garde des enfants de moins de 3 ans. Comme sur tous les terrains, le gouvernement Jospin n’est prêt qu’à faire quelques retouches symboliques, qui ne modifieront pas l’organisation de la vie politique.
Autonomie : pour de vrais emplois
Aujourd’hui il ne suffit plus d’avoir un emploi pour obtenir un droit véritable au travail. Les femmes en font les premières - massivement - l’expérience. Le temps partiel, une des modalités les plus utilisées par les patrons pour intensifier le travail et introduire davantage de précarité, creuse les inégalités : 31% des femmes actives contre 5% des hommes actifs sont à temps partiel. Cela signifie des rémunérations moindres, de faibles possibilités de promotion, des horaires flexibles et une protection sociale limitée. Des centaines de milliers de femmes travaillent pour un revenu mensuel inférieur au Smic.
L’idée du salaire d’appoint pour les femmes a la vie dure. Il apparaît presque normal qu’un temps réduit entraîne un salaire réduit. Quand on voit les difficultés pour imposer le maintien des salaires dans le cadre des négociations autour de la loi Aubry, il va sans dire que pour les salariées à temps partiel, toujours renvoyées à des négociations individuelles, le rapport de forces est encore plus défavorable. Enfin, la solution sans cesse avancée par les différents rapports n’est autre que l’extension du temps partiel « choisi » - alors qu’historiquement les femmes sont arrivées sur le marché du travail à temps plein et n’ont jamais exprimé massivement une « demande » de temps partiel.
Toute une législation sur l’égalité professionnelle avait été instaurée durant les années 1970-80. Mais ces lois n’ont empêché ni le maintien des écarts de salaire ni les discriminations à l’embauche. Rien n’a été fait pour modifier ou faire réellement appliquer ces lois. Le récent rapport Génisson sur l’égalité hommes-femmes se garde de le proposer. En revanche les politiques de l’emploi ou les politiques familiales ont accentué les inégalités sociales et de sexe, dans une belle continuité entre les gouvernements précédents et l’actuel : elles ont favorisé les solutions de garde individuelles et la création d’emplois de service - véritables « bonnes à tout faire » - ; elles ont surtout encouragé le retrait du marché du travail de nombreuses femmes qui ont ensuite de grandes difficultés à y revenir.
Liberté : le droit de choisir
L’avortement semble un droit acquis. Il est cependant sans cesse menacé. Les actions commandos des lobbies anti-IVG continuent, avec pour objectif d’exercer une pression sur les femmes et le personnel hospitalier. Il existe de véritables blocages, du côté de la justice, à appliquer la loi Neiertz, qui définit pourtant le délit d’entrave. Par ailleurs, l’offensive des anti-avortement est rendue d’autant plus efficace que l’IVG reste encore le parent pauvre de la médecine.
Le rapport remis à Aubry par le professeur Israël Nisand a mis au jour de graves dysfonctionnements dans la pratique de l’avortement en France. Il existe ainsi de fortes disparités régionales : en Ile-de-France, deux tiers des IVG sont réalisées dans le privé, et dans certains services hospitaliers elles sont inexistantes. Les difficultés rencontrées en termes de recrutement des personnels médicaux montrent que l’IVG est une pratique peu valorisée, voire marginalisée. De plus, chaque année, 5000 femmes vont avorter à l’étranger pour s’être retrouvées hors des délais prévus par la loi Veil : il existe de longues listes d’attente liées aux manques de moyens pour le service public. Cette situation illustre ainsi la question des délais parmi les plus courts d’Europe. La loi Veil est aussi restrictive pour les mineures, qu’elle oblige à demander une autorisation parentale. Alors que la contraception, et maintenant la pilule du lendemain, sont accessibles quel que soit l’âge, pour l’avortement, la prise de responsabilité n’est pas dévolue aux premières concernées. De même, concernant les femmes étrangères, l’accès à l’IVG est soumis à conditions ; dans leurs cas, l’état de détresse reconnu par la loi et qui permet à toute femme de demander un avortement n’est pas considéré comme suffisant.
Pour la contraception, le gouvernement avait promis une belle campagne d’information, mais nous n’avons rien vu venir. Pourtant chacun s’accorde à dire que la prévention est primordiale ; encore faudrait-il que les moyens contraceptifs soient connus et toutes les pilules remboursées. C’est surtout le cas de la pilule de la troisième génération : au milieu de l’an 2000, elle sera enfin disponible en générique, mais il faudra trouver un laboratoire pour la fabriquer, ce qui repousse encore les délais.
Dignité : assez des violences !
Au début des années 1970, quand les luttes du mouvement des femmes contre le viol ont débuté, les crimes ou délits concernant les violences faites aux femmes étaient quasiment inconnus dans le Code pénal. Seul le viol y figurait, mais n’était que très rarement réprimé. Grâce aux luttes massives des années 1970-80, tous les « types » de violences faites aux femmes entrent progressivement dans le Code pénal. Malheureusement, l’application réelle des lois n’est pas toujours au rendez-vous : classements sans suite, non-lieux, relaxes, constituent une part non négligeable des décisions de justice. La parole des femmes est souvent sujette à caution et invalidée auprès des magistrats. Pourtant, malgré ces difficultés, le nombre de plaintes augmente régulièrement et la société semble un peu moins tolérer ces violences. Le milieu des années 1980 a vu émerger, toujours grâce aux féministes, la réalité des violences, notamment sexuelles, faites aux enfants. Là aussi le Code pénal s’adapte et la société réagit.
Mais après un certain nombre d’années, ce sont les agresseurs qui réagissent. Certains, suite à une décision de justice qui leur est favorable parce qu’il y a eu un déni total des violences subies, portent plainte en diffamation contre les femmes victimes ! D’autres, dans le cas de procédures de divorce, accusent leur femme de manipuler les enfants qui s’étaient plaints de violences sexuelles. Certaines femmes préfèrent être poursuivies pour non-présentation d’enfant plutôt que de satisfaire aux exigences du droit de visite, pendant lequel l’enfant est de nouveau exposé à l’agresseur, et sont parfois condamnées à de la prison ferme. Des associations de pères font du lobbying auprès des magistrats, qui prêtent une oreille attentive à leurs accusations de « fausses allégations », et conseillent à leurs adhérents d’attaquer les professionnels qui font leur travail en signalant auprès des pouvoirs publics les violences faites à des enfants.
Solidarité
Se battre pour les droits des femmes en France, ce n’est pas ignorer le sort réservé aux femmes du monde entier, ni celui des femmes étrangères qui vivent ici. Les formes les plus réactionnaires du patriarcat perdurent dans de nombreux Etats et sont souvent associées à des situations économiques dégradées et des contextes de guerre. Partout, ce sont les femmes qui en paient les premières le prix. Elles subissent la pauvreté : environ 1,3 milliard d’individus vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont 70% de femmes. Elles sont aussi les premières victimes des violences, qu’elles soient perpétrées par des individus et tolérées, ou même exercées, par les Etats. Nombreux sont les pays où les femmes ne sont pas autorisées à travailler, ni même à sortir sans un parent de sexe masculin. Aucun des droits donnés aux hommes ne leur sont reconnus. C’est le cas en Afghanistan, devenu le symbole de la répression qui s’abat sur les femmes : elles doivent porter le burqua et sont battues à mort pour le moindre écart de conduite. Au mois de novembre, au Koweït, les parlementaires ont voté contre un décret permettant aux femmes d’accéder au droit de vote. Tous ces cas de violations des droits des femmes illustrent aussi l’absence de volonté politique de la communauté internationale qui, faute d’enjeux économiques et stratégiques, ne semble pas avoir intérêt à se manifester.
C’est d’ailleurs pour protester contre cet état de fait que la Marche mondiale des femmes de l’an 2000 prend tout son sens.
Correspondantes