Quelles sont les difficultés sociales auxquelles tu es confrontée dans ton travail à Trappes ?
Guilaine : Les habitantEs de Trappes vivent les mêmes conditions de vie que la majorité de la population. Leur enfer est celui vécu dans les quartiers populaires : s’épuiser à chercher du travail ou en menant de front plusieurs boulots précaires chez des employeurs différents, tenter de régler les factures, effectuer des démarches administratives devenues chaque jour plus complexes, résoudre les problèmes familiaux et éducatifs avec leurs enfants...
Parmi les plus exposéEs, les femmes seules ou les sans papierEs se débattent dans un cumul de difficultés. Cette misère pèse aussi sur les jeunes. La plupart tentent de s’insérer, avec beaucoup de difficultés. Certains sortent du système scolaire sans aucun diplôme. D’autres, qui arrivent à s’accrocher scolairement, sont obligés de quitter leurs parents très tôt et de s’autonomiser, vivre en foyer ou du bizness pour s’en sortir. Les obstacles sont nombreux, et plus difficiles à franchir quand on est pauvre !
Quel est la responsabilité de la politique municipale dans cette situation ?
Didier : La liste d’attente en logement sociaux sur Trappes est d’environ 5 ans... Le coût d’un loyer dit HLM est quasiment le même que dans le privé. La population de Trappes est la plus pauvre de toutes les communes de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines et les prestations municipales les plus chères. Cherchez l’erreur ! Il y a aussi un manque de places en crèche. Autrefois très actif, le tissu associatif est aujourd’hui en difficulté, à cause de la politique de l’équipe actuelle qui taille à la hache les subventions. Le maire PS, qui s’est fait élire par un électorat votant à gauche, applique une politique « de droite ». Bien qu’élu au premier tour, il ne l’a été que par un quart des électeurs inscrits, avec un taux d’abstention de 50 %. Les quartiers en difficultés se sont le plus abstenus. Le maire dirige la ville sans toujours tenir compte des avis et des besoins de sa population. Dernier exemple en date : la mise en place à marche forcée des nouveaux rythmes scolaires dès la prochaine rentrée, malgré l’opposition des parents d’élèves et des équipes pédagogiques.
Les derniers événements étaient-ils prévisibles ?
Guilaine : Bien évidemment oui ! Face à la galère, l’obscénité des richesses affichées par les capitalistes et les exemples donnés par les politiciens sont des modèles désespérants. Aucune possibilité pour les jeunes de se projeter dans l’avenir. Cette explosion correspond à des réactions de ras-le-bol, dans un contexte de ramadan et de contrôles au faciès. De Sarko à Valls, pas de changement !
Didier : Compte tenu des problèmes, il est même étonnant que ça n’explose pas plus souvent. Les groupuscules religieux fanatiques cherchent à surfer sur la vague de la misère en profitant du vide créé par les services de l’État qui a laissé faire, et la municipalité avec, pensant acheter une relative paix sociale.
Comment la population de cette ville perçoit cette situation (avant et depuis les affrontements) selon les éléments que vous en avez ?
Guilaine : Se débattre tous les jours avec ses problèmes demande beaucoup de temps et d’énergie. Cela laisse peu de temps pour caillasser des commissariats de police ou casser des abri-bus. Ceux qui parlent, et c’est sans doute la majorité, déplorent ce type d’actions voire les dénoncent. Ils attendent plutôt des solutions concrètes à leurs problèmes. Ils se sentent laissés à l’abandon depuis des années. Un signe qui ne trompe pas : l’année dernière, Philippe Poutou a été très bien accueilli au marché de Trappes. Les habitantEs demandent de véritables mesures sociales, comme le droit à l’emploi, l’accès au logement, à la santé, à l’éducation, aux loisirs.
Didier : Les victimes sont nombreuses. Les jeunes, déjà discriminés, vont l’être encore plus dans leur recherche d’emploi. Le gouvernement va trouver prétexte à durcir sa répression car il a choisi de répondre à la révolte sociale par la répression plutôt que de s’attaquer aux causes de la misère.
Propos recueillis par Cathy Billard
Trappes (29 400 habitants) est une des six communes de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. En 2012, le taux de chômage y était de 15, 8 % et 62 % des jeunes sont sans diplôme ou ont un diplôme inférieur au bac. À l’élection présidentielle de 2012, Hollande avait obtenu 77 %, Sarkozy 23 %, et l’abstention avait été de 23,6 %.
Trois jours après le contrôle de la jeune femme portant le niqab, la ville est redevenue calme comme avant les événements surmédiatisés. Le niqab, un masque pour cacher le malaise social qui s’aggrave depuis de nombreuses années. Un vieux trappiste déclare : « L’islam n’est pas à l’origine de cette révolte de la population, mais sans aucun doute le manque de vision d’avenir et l’agressivité quotidienne de la police vis-à-vis des jeunes. »
La population jeune subit la crise de plein fouet : un chômage important et des problèmes pour se loger. La ville est livrée aux promoteurs par le maire PS et la prétendue « rénovation urbaine » (des digicodes, des kilomètres de grilles autour des squares) répond aux normes d’architecture sécuritaire et les camionnettes de CRS ont repris leurs rondes...
La jeunesse est profondément déçue et en colère, mais c’est une grande partie de la population qui est touchée : impôts parmi les plus chers de la ville nouvelle, une vie associative bien affaiblie... C’est la mosquée ou l’Union des musulmans de Trappes qui créent aujourd’hui du lien social dans les quartiers. On constate désormais que le discours de quelques intégristes est de plus en plus audible auprès de certains jeunes désorientés.
Tabassages, mises en examen, condamnations, tournoiement des hélicoptères afin de mettre la pression sur la population, et la déclaration de Valls (« Acceptez les lois de la République dans tous les sens ») sont donc les seules réponses du gouvernement...
Correspondant
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 206 (01/08/13).
Trappes : Valls et ses flics sèment la colère
Un contrôle d’identité musclé par les policiers jeudi soir a mis le feu à la poudrière qui existe à Trappes et dans bien d’autres quartiers populaires. Le cocktail de jeunes (50 % de la population a moins de 30 ans), frappés par le chômage, le mal logement des familles pauvres, quotidiennement confrontés au harcèlement policier et au racisme banalisé est explosif.
Un contrôle injustifié qui tourne à l’insulte et aux menaces, une arrestation, un jeune de 14 ans qui perd un œil, et plusieurs nuits de tensions dans les cités de Trappes et alentour
Dans ce contexte, le NPA comprend la riposte collective des centaines d’habitants du quartier qui se sont mobilisés pour exprimer leur colère face à cette nouvelle provocation policière raciste, exprimant leur ras le bol des contrôles islamophobes et racistes, transformant le commissariat en camp retranché.
La politique du gouvernement fait payer la crise aux classes populaire et sacrifie la jeunesse. Pour contenir les révoltes, Valls applique les méthodes de Sarkozy : alimenter le racisme d’Etat contre les sans-papiers, les Rroms et les musulmans. En légitimant les agressions policières et dénonçant les réactions de révolte des jeunes, Valls et le gouvernement font encore gagner des points au Front National.
NPA, Montreuil, le Mardi 23 juillet 2013
Edito : Valls, sarkozyste zélé
L’attitude provocatrice des policiers lors d’un contrôle d’identité musclé, jeudi 18 juillet, est à l’origine de la colère de plusieurs centaines d’habitants et de jeunes du quartier des Merisiers à Trappes. L’arrestation du mari de la femme contrôlée a mis le feu aux poudres, alors que son seul tort a été de se révolter face aux insultes, menaces et violences que sa femme et sa belle-mère subissaient de la part des policiers. Tandis que deux cents personnes s’étaient rassemblées devant le commissariat pour exiger la libération du mari, un jeune de 14 ans, atteint par un tir de flash-ball, a été grièvement blessé à l’œil.
Face au ressentiment provoqué par le développement du chômage, de la pauvreté, du mal-logement et le désengagement de l’État social qui délabrent les quartiers, le gouvernement Hollande-Ayrault, dans la continuité de ses prédécesseurs, ne trouve qu’une seule réponse : accroître l’État pénal. Contrôles, propos agressifs et souvent racistes, c’est le lot des quartiers populaires, alors que la population et en particulier les jeunes ont besoin de travail, de lieux de réunion, d’un renforcement des services publics. À ces ingrédients s’ajoute un climat pourri par les agressions racistes contre les musulmans, amplifié après les mobilisations réactionnaires contre le mariage pour tous et les effets d’une politique de racisme d’État contre les sans-papiers et les Roms. L’exacerbation de ces tensions, au moment où se déroule le ramadan, ne peut que fabriquer un cocktail explosif, à Trappes comme dans beaucoup d’autres villes.
Ce n’est donc pas un hasard si les seules déclarations de Manuel Valls, surjouant au Père Fouettard, ont été pour défendre inconditionnellement des policiers appliquant avec zèle une loi sarkozyste et pour dénoncer les manifestants. En visite au commissariat ce lundi, il a déclaré que « l’État est bien là et il ne laissera pas faire ». Il sait que la politique d’austérité de son gouvernement génère l’insatisfaction et accumule les motifs de révolte. La baisse des budgets sociaux va dégrader encore la situation de la majorité de la population, en premier lieu dans les quartiers. En alimentant les réactions hostiles face aux explosions de colère comme en se présentant en super flic, adepte de la violence d’État, Valls fait le lit du FN.
D’où l’urgence de construire les mobilisations contre la politique du gouvernement ainsi qu’une opposition combative porteuse d’une vraie alternative politique.
Côme Pierron
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 205 (25/07/13).