Beaucoup d’entre nous se souviennent des Coréens qui se sont jetés à la mer en décembre 2005 à Hong Kong, dans le cadre des négociations OMC, pour rendre les médias attentifs à la situation des paysans dans le monde. Membre de La Via Campesina, la Ligue des Paysans Coréens (KPL) représente 30’000 membres cotisants. Sungho Cho, vice-président de ce syndicat, producteur de riz et de melon, était présent fin juin à Genève pour suivre la mini-ministérielle de l’OMC ; une occasion pour faire le point sur la situation en Corée du Sud et découvrir leurs revendications.
Un grain de riz dans l’engrenage
La Corée du Sud est peuplée de 47.2 millions d’habitants dont 9% travaillent dans l’agriculture et créent 5% du PIB. Jusqu’à 70% des produits agricoles sont importés. Sans le riz, l’autosuffisance alimentaire se limite à 5%. En 10 ans, la part des produits importés a dramatiquement augmenté. Le montant de ces marchandises correspond au budget agricole du gouvernement sud-coréen (6.2 milliards de dollars). Les principaux produits agricoles sont le riz, les racines fourragères, l’orge, les légumes, les fruits, les bovins, les porcs, les poulets, le lait et les œufs. En 2005, la Corée du Sud a modifié ses engagements envers l’OMC en ce qui concerne les contingents tarifaires visant le riz. Le contingent des importations admissibles au taux réduit augmentera sur une période de 10 ans pour représenter 8% de la consommation nationale, et de ce volume, 10% dans un premier temps et puis jusqu’à 30% à plus long terme sera dirigé vers le secteur du détail. Ce marché s’ouvrant à la concurrence, le prix du riz a chuté de 170 dollars à 130 dollars en quelques mois. Sachant que 50% des producteurs vivent essentiellement de cette culture, c’est un véritable électrochoc.
Ouverture des marchés
En 10 ans, le nombre de familles paysannes est passé de 6 millions à 3.4 millions. L’âge moyen des exploitants se situe autour de 60 ans alors que la tranche d’âge de moins de 40 ans ne représente que 3 % des producteurs. Depuis janvier, lorsque les négociations commericales entre la Corée du Sud et les USA se sont intensifiées, plus de 84’000 familles ont quitté leur exploitation ; la plupart de ses exploitants étant âgés de 20 à 30 ans. Très peu de jeunes sont motivés à travailler la terre ; nombreux sont ceux qui quittent les zones rurales. Ils ne se risquent plus dans le métier car la baisse des prix ne permet plus de payer les frais, au demeurant très élevés, de scolarité de leurs enfants. En raison de graves difficultés économiques, la dette moyenne de chaque famille est passée de 6’000 dollars à 40’000 dollars.
Agriculture, un frein au développement ?
Une certaine fracture sociale s’est développée entre les zones urbaines et rurales. Il y a quelques années encore, l’espace rural était très apprécié et les Coréens le considéraient comme un « foyer » pour chacun d’entre-eux. Les milieux favorables au libre-commerce ont jeté la faute des échecs des négociations sur les paysans. Ces derniers devenant pour ainsi dire un frein au développement et au bien-être de la société coréenne. Pour les producteurs de riz, de piment ou d’ail, il est en effet difficile de s’aligner avec les producteurs d’ordinateurs, de voitures, de téléphones portables ou réfrigérateurs. La KPL affirme que le gouvernement sud-coréen considère l’agriculture come une quantité négligeable dans les accords négociés au sein de l’OMC. Elle n’est qu’une simple carte à jouer pour obtenir des concessions dans d’autres secteurs.
Mobilisations
Depuis de très nombreuses années, les luttes se succèdent pour un prix rémunérateur dans le secteur du riz et le droit de se protéger des importations à prix de dumping. La KPL a embrassé la notion de souveraineté alimentaire et cherche à convaincre la société coréenne qu’elle est tout autant concernée que les paysans. Le syndicat se positionne clairement contre l’OMC et les accords de libre-échange jugés largement responsables de l’effondrement du marché du riz.
Les mobilisations à Hong Kong, où plus de 1’000 paysans se sont déplacés, ont servi de caisse de résonance pour leurs revendications, que ce soit en Corée du Sud ou au plan international. De nombreuses actions symboliquement fortes, mais pacifiques, se sont déroulées. Pendant ces mobilisations plus de 900 paysans ont été interpellés par la police de Hong Kong. 9 sont restés en prison, puis ont été jugés 1 mois plus tard. Ils ont été relaxés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux ; ce qui leur fait dire que leurs actions étaient parfaitement légales et légitimes.
Leur volonté est de faire échouer les négociations OMC et de repartir sur de nouvelles bases qui prennent en compte les besoins des populations et non ceux des multinationales. Plusieurs dizaines de Coréens se sont également rendus à Washington pour exprimer leur opposition au libre-commerce entre les deux pays. A la mi-juillet, de fortes mobilisations sont prévues en Corée du Sud pour s’opposer à ce projet d’accord.
Pour la première fois depuis plus de 20 ans, la société civile coréenne s’est regroupée au sein d’une coordination qui fédère plus de 270 organisations, tout secteur confondu. Ils s’attendent à réunir plus de 100’000 personnes dans la rue.
Une présence de la KPL est également prévue pour la fin juillet à Genève. De mobilisation en mobilisation, avançant pas à pas leurs revendications, les paysans coréens cherchent à créer une lame de fond suffisamment importante pour empêcher des accords qui ne prendraient pas en compte les aspects non marchands, les réalités sociales, économiques, environnementales et culturelles de la Corée. Comme le disait Sungho Cho : « Pascal Lamy répète que l’OMC va améliorer le bien-être, la prospérité et les richesses. Où sont-elles ? Dans le ciel ? Sous terre ? Je suis venu vers lui à la fin juin, mais il ne m’a rien donné. Je reviendrai donc en juillet, pour les trouver par moi-même, avec La Via Campesina, grâce à la concrétisation de la souveraineté alimentaire ».