Paris, le 27 août 2013
Monsieur le Rédacteur en chef,
Lecteurs réguliers de divers périodiques dont « l’Humanité », nous sommes surpris et choqués par le traitement, dans les colonnes de votre journal, de la situation en Syrie depuis le soulèvement de mars 2011, particulièrement les aspects suivants recoupant ceux déjà relevés dans une Lettre ouverte antérieure [voir ci-dessous] qui vous avait été adressée le 12 mars 2012 :
• Une insolite discrétion, aux antipodes des pages d’autres médias, sur les atrocités de la terreur d’État,
• Une minoration, sous couvert d’incertitude, de l’ampleur des massacres malgré les témoignages qui l’attestent,
• Une complaisance envers le régime Al Assad et ses affidés (choix d’invités, phrases en exergue),
• Une mansuétude envers l’attitude de blocage à l’ONU de la Russie de V. Poutine et de la Chine,
• Une condamnation par avance de toute initiative internationale visant à mettre fin à la terreur d’État
• Une présentation malveillante des instances de l’opposition ignorant leur diversité (le rôle des chrétiens notamment), en caricaturant leurs objectifs [1], en les présentant comme inféodées aux tenants de l’Islam radical.
• La place démesurée accordée à des aventuriers se réclamant de l’Islam radical et faisant le jeu du régime.
• La connivence vis à vis des mouvances ou personnalités prônant un « dialogue » avec le régime criminel.
• Le renvoi dos à dos des agents du régime et des activistes dès lors que ces derniers résistent par des armes,
• Une islamophobie rampante ; une rhétorique assimilant souvent musulman pratiquant à islamiste radical.
• De troublantes parentés avec les positions « anti‐impérialistes » de mouvances rouge‐brun (Comité Valmy, ...).
• Un silence complice sur l’appui indéfectible de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah (armes, experts, combattants, chars, avions, navires de guerre, ...) au régime syrien, qui sont de facto des interventions étrangères massives,
• Une couverture inexistante ou minime des initiatives de l’important mouvement de soutien au peuple syrien en France.
En témoignent parmi bien d’autres les articles suivants faisant suite à ceux publiés depuis le printemps 2011 :
• la longue interview [2] du président de la chambre de commerce France‐Azerbaïdjan, le 9 novembre 2012, faisant bon marché de l’aspiration à en finir avec 40 ans de dictature et figé dans une géopolitique confessionnelle,
• l’article [3] du 7 mai 2013 attribuant hâtivement des attaques chimiques à « la rébellion » et postulant que ces « révélations » controversées « mettent un terme à la fable du camp des gentils contre les méchants »,
• l’article [4] du 24 juillet 2013 déplorant la mise au ban de l’UE du Hezbollah et de son bras assassin en Syrie,
• l’article [5] du 22 août 2013 mettant en exergue dans la page la citation de l’Agence Sana du régime : « les allégations sur l’utilisation d’armes chimiques sont nulles et non avenues »,
• l’article « Retour sur deux ans d’une descente aux enfers » publié le même jour, présentant les civils comme « pris en otages » entre armée et « forces rebelles », étrangement accusées de soumettre l’ouest d’Alep à un « rude blocus » sur les produits de première nécessité. Avec le parti‐pris d’une symétrie entre oppresseur et opprimés.
Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Selon nous, ces orientations tournent le dos à « L’humain d’abord » et au devoir de solidarité envers un peuple en détresse. Pire, elles sont de nature à dissuader le lecteur de s’y impliquer, sous peine de croire qu’il serait alors voué à « rouler » tour à tour pour l’impérialisme, l’atlantisme, les monarchies du Golfe (pourtant peu soucieuses de voir émerger une démocratie), les États‐Unis, ... Ainsi, sous la plume de certains rédacteurs, tout se passe comme si le peuple syrien n’existait plus, ne comptait plus, ce qui est précisément l’objectif de la dictature. Comment un régime faisant preuve d’une telle sauvagerie peut‐il être ainsi épargné dans vos colonnes ? Alors que l’ancien sénateur communiste Jack Ralite ne cesse d’exhorter à « des excès de courtoisie envers le peuple syrien », nous déplorons de constater que l’Humanité fait preuve envers lui d’une étrange impolitesse.
Les Syriens et leurs amis sont attentifs au soutien que les médias accordent ou non à leur Révolution et à leur détresse immédiate. Leur espoir réside dans des initiatives de la communauté internationale, de nature à mettre fin à l’horreur [6]. Bien à vous,
Signataires : Delphine Deboutray, Metteur en scène et Directrice de compagnie – Gérard Lauton, Université Paris‐Est Créteil, Coordonnateur de l’Appel Solidarité Syrie – Isabelle Hausser, Écrivain, Michel Morzière, Collectif Urgence Solidarité Syrie – Emmanuel Wallon, Université Paris‐Ouest Nanterre, coordinateur de l’Appel d’Avignon à la solidarité avec le peuple syrien.
* http://appelsolidaritesyrie.free.fr/MEDIAS/HUMANITE/130827_Lettre.Ouverte%20Humanite.Syrie.pdf
Syrie : (première) lettre ouverte à la rédaction de l’Humanité
Monsieur le Rédacteur en chef, Paris, le 8 mars 2012
Lecteurs réguliers de divers périodiques dont l’Humanité, nous soussignés sommes attentifs aux appréciations formulées sur l’actualité internationale. Nous sommes surpris et choqués par le traitement, dans les colonnes de ce journal, de la situation en Syrie depuis le soulèvement de mars 2011, particulièrement les aspects suivants :
♦ Une insolite discrétion, aux antipodes d’autres médias, sur les atrocités de la terreur d’État,
♦ La présentation comme hypothèse non prouvée de l’ampleur des massacres malgré les témoignages qui l’attestent
♦ La complaisance récurrente envers le régime Al Assad, ses alliés, ses affidés (Pierre Piccinin, ...),
♦ La mansuétude envers l’attitude de blocage à l’ONU de la Russie de Poutine et de la Chine,
♦ Le dénigrement par avance de toute initiative de l’ONU, de l’Europe, des pays arabes ; les pays du Golfe n’étant vus que comme « pétromonarchies », même si leurs peuples crient leur solidarité avec les syriens.
♦ La présentation malveillante faite du Conseil National Syrien (CNS) en ignorant la Charte qui lie ses membres en vue d’une société démocratique, pluraliste et séculière, en le montrant comme purement « dominé » par une composante confessionnelle. Un tel traitement manque de professionnalisme, d’analyses et de nuances.
♦ La place accordée à des mouvances ou personnalités prônant un « dialogue » avec le régime criminel.
♦ L’image péjorative des déserteurs de l’armée syrienne, qui ont pourtant refusé, en payant le prix fort, de tirer sur la foule, accusés d’être ceux qui déclenchent une « guerre civile ».
♦ Le renvoi dos à dos des agents du régime et des activistes dès lors que ces derniers prétendent s’armer,
♦ L’islamophobie rampante du journaliste de la rubrique, assimilant fréquemment musulman à islamiste radical.
♦ De troublantes parentés avec les positions « anti-impérialistes » de mouvances rouge-brun (Comité Valmy, ...).
♦ Le silence sur l’appui indéfectible de l’Iran et du Hezbollah (fourniture d’armes, de combattants, arrivée récente de 2 navires de guerre iraniens) au régime syrien : une intervention étrangère est donc déjà en cours, de longue date ...
♦ Une couverture inexistante ou minime du mouvement de soutien au peuple syrien en France.
Ces orientations qui selon nous et de nombreux lecteurs, inspirent, pages en main, les articles de l’Humanité et de l’Humanité-Dimanche (versions papier), ignorent « L’humain d’abord » et tournent le dos au devoir de solidarité envers le peuple syrien. Pire, elles sont de nature à dissuader le lecteur de s’y impliquer sous peine de croire qu’il serait alors voué à « rouler » tour à tour pour l’impérialisme, l’atlantisme, les États-Unis, ...
Elles apparaissent contraires aux positions du Parti communiste français qui jusqu’ici a signé tous les Appels à se rassembler ou à manifester en France pour la solidarité envers les syriens, en étant y représenté au plus haut niveau.
Nous faisant l’interprète du malaise qui s’exprime parmi les acteurs (syriens, franco-syriens, français) du mouvement de solidarité envers le peuple syrien en France, nous demandons instamment en leur nom qu’il soit mis fin à ces orientations peu dignes à l’heure où Homs se meurt, ainsi qu’à l’ostracisme de la Rédaction de l’Humanité envers les organisations qui animent en France le mouvement de soutien au soulèvement syrien.
Leurs auteurs relèvent-ils d’une « certaine gauche pavlovienne qui, de l’Europe à l’Amérique latine, nous ressasse l’antienne usée du « complot israélo-américain contre la Syrie résistante » sans s’interroger un instant sur la nature du régime légué par Hafez al-Assad à son fils ni sur les forces sociales qui le soutiennent et celles qui déploient tant de courage et consentent tant de sacrifices pour s’en débarrasser », évoquée par l’écrivain Farouk Mardam Bey ?
Ignorent-ils ce qu’écrit aussi Khaled Khalifa, écrivain syrien ancien détenu politique : « Mon peuple est un peuple de paix, de café, de musique que j’espère vous savourerez un jour, de roses, dont j’espère qu’un jour le parfum vous parviendra, afin que vous sachiez que le cœur du monde est aujourd’hui exposé au génocide » ?
Attachés à l’Humanité,nous exhortons sa Rédaction, – de concert avec les acteurs syriens, franco-syriens,français – du mouvement de solidarité envers le peuple syrien en France, qui nous l’ont demandé, à rompre avec ces dérives, et à tenir sa place dans ce mouvement qui exige la chute du régime, des sanctions contre les fauteurs de crimes contre l’Humanité, leur traduction devant les juridictions internationales, des mesures permettant que les civils soient de toute urgence protégés, une autodétermination ouvrant la voie à une Syrie libre. Les Syriens seront attentifs au soutien que les médias français, notamment l’Humanité, auront accordé ou non à leur soulèvement.
Cordialement,
G. Lauton, Université Paris 12, syndicaliste – Cl. Szatan, militant de la solidarité internationale – Collectif Urgence Solidarité Syrie.
Pour l’annexe présentant une liste d’articles en cause, avec citation de leur contenu, se reporter à :
http://appelsolidaritesyrie.free.fr/MEDIAS/HUMANITE/120308_Lettre.Ouverte%20Humanite.Syrie.pdf