Sylvie Gaillard a passé la moitié de sa vie derrière une caisse de supermarché. Des années à répéter les mêmes gestes, à soulever, pousser et mettre en sachet toutes sortes de produits. « Aujourd’hui, je suis cassée de partout », confie cette femme de 47 ans. « Je ne sais plus comment calmer mes douleurs. » Opérée à deux reprises des épaules, cette mère de deux enfants de 18 et 24 ans est en arrêt pour maladie professionnelle depuis plus d’un an.
« Après mon opération, en 2012, j’ai fait de l’algodystrophie, explique-t-elle. J’ai mal au niveau des bras, des mains et des épaules et je vais peut-être devoir me faire opérer du canal carpien. » Difficile, dans ces conditions, d’envisager l’avenir avec sérénité. A ses yeux, son métier cumule deux principaux facteurs de pénibilité : les horaires de travail et la manutention.
Horaires et charges à porter
« Le plus dur à vivre, ce sont les horaires, qui ne sont jamais les mêmes d’une semaine à l’autre, explique cette déléguée syndicale CFTC. On peut très bien travailler trois heures une journée, dix le lendemain, commencer dès 7h50 le matin ou finir vers 22h15 le soir. » De quoi compliquer la vie quotidienne et familiale. « Allez trouver une nourrice prête à garder votre enfant jusqu’à 22h30, poursuit-elle. Et quand vous travaillez le samedi, pas question d’aller voir votre fils jouer au football. »
Seconde difficulté du métier : porter des charges tout au long de la journée. « A la fin, cela se compte en tonnes », lance Sylvie, qui reconnaît quelques avancées ces dernières années, comme la fin de l’ensachage des denrées, les caisses équipées de roulettes pour faire glisser les produits et le fait que les gros volumes puissent rester au fond du caddie. « Physiquement, ça use, poursuit-elle. Combien de fois me suis-je levée le matin sans parvenir à serrer les poings… Il faudrait que les personnes chargées d’évaluer la pénibilité passent une journée derrière une caisse pour le comprendre. »
Départ anticipé à la retraite
Si elle devait bénéficier de la mise en place du compte de pénibilité, Sylvie sait déjà quelle modalité elle choisirait entre un départ anticipé, un passage à temps partiel ou une reconversion. « Je ne travaille que trente heures par semaine. Alors je ne me vois pas réduire davantage mes horaires, tranche-t-elle. Quant à la reconversion, j’ai déjà donné. J’étais auparavant coiffeuse et j’avais dû changer de métier à cause des allergies. »
Sylvie opterait donc sans doute pour un départ anticipé à la retraite. « Mais avec quel niveau de pension ? » s’inquiète-t-elle. Pour l’heure, elle espère retrouver des forces et reprendre le chemin de son hypermarché à un poste adapté. « La solidarité entre collègues est très forte et j’adore le contact avec les clients, même si on les sent de plus en plus pressés, confie-t-elle. Récemment, je suis venue faire des courses sur mon lieu de travail. Un vieux monsieur m’a reconnue et en avait les larmes aux yeux. Il croyait que l’on m’avait licenciée… »
Florence Pagneux, à Nantes (Loire-Atlantique)
Qui fait un travail pénible ?
Contraintes physiques : en 2010, 39,1% des salariés du privé subissaient au moins une contrainte physique intense, notamment dans l’agriculture (54,3% des salariés), la construction (51,8 %), les commerces et transports (44,8%) et l’industrie (41,2%). 10,6 % des salariés du privé portent des charges plus de dix heures par semaine, 20,8 % supportent des contraintes posturales plus de deux heures, 9,1% pratiquent des gestes répétitifs plus de vingt heures.
Environnement physique agressif : 5,6% des salariés du privé supportent des bruits supérieurs à 85 dB vingt heures ou plus par semaine, dans l’industrie (16,8%), la construction (10,7%) et l’agriculture (10,2%). 14% des salariés sont exposés à au moins trois produits chimiques, notamment dans la construction (29,2%), l’industrie (21%), et l’agriculture (19,8%).
Rythmes de travail : 13,9% des salariés du privé travaillent de nuit, notamment dans l’industrie (19,9%), l’agriculture (15,7%) et le commerce et les transports (15,5%).
Source : Les risques professionnels en 2010, Dares, février 2013.
Article publié dans le quotidien français La Croix, en date du 18 septembre 2013