Le 19 septembre, un commando héliporté des gardes-frontières russes, dépendant des services de sécurité placés directement sous les ordres du président Vladimir Poutine, avait arraisonné le navire Artic-Sunrise de Greenpeace battant pavillon néerlandais en mer de Barents (Arctique russe). Les vingt-huit membres de l’organisation écologiste et deux journalistes ont été arrêtés et placés pour deux mois en détention préventive dans un centre de rétention de Mourmansk. Ils ont été inculpés de « piraterie en groupe organisé » et encourent jusqu’à quinze ans de prison. Aucune précision n’a encore été fournie quant au calendrier judiciaire.
Plusieurs militants détenus « n’ont pas d’accès à l’eau potable » et tous font l’objet « d’une vidéosurveillance permanente » jusque dans les toilettes, a relaté un avocat de Greenpeace, Sergueï Goloubok, à Mourmansk, lundi 7 octobre. Il envisage de déposer plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme. « Sur une journée, ils passent vingt-trois heures en cellule et n’ont le droit qu’à une heure de promenade », confirme au Monde Ben Ayliffe, de la direction internationale de Greenpeace et responsable de la campagne Arctique.
« COMME DES ANIMAUX »
Une autre plainte pourrait être déposée sur les conditions d’arrestation : « Des hommes armés et masqués ont fait irruption sur le pont du bateau, ne se présentant pas et menaçant l’équipage de leurs armes. Ils ont saisi les effets personnels, et c’est seulement après qu’ils ont établi des PV d’interpellation », relate un autre avocat de Greenpeace, Alexandre Moukhortov.
Le site de Radio Svoboda (Radio Free Europe en russe) a publié le 5 octobre le témoignage de la Néerlandaise Faiza Oulahsen. Au quatrième jour de sa détention provisoire, elle a pu faire passer une lettre manuscrite à l’une de ses collègues aux Pays-Bas. Elle y raconte comment les militants ont été maintenus en détention quelques jours sur le bateau, puis transférés vers le port de Mourmansk et incarcérés dans un « SIZO » (centre de détention provisoire). Ils ont eu dix minutes pour prendre leurs affaires. Dans sa lettre, Faiza Oulahsen dit regretter « de ne pas avoir pris assez de vêtements chauds ».
A l’arrivée, elle a pu s’entretenir brièvement avec le consul des Pays-Bas. Après plusieurs heures d’interrogatoire et de démarches d’« enregistrement », Faiza a pu enfin gagner sa cellule glaciale, éclairée en permanence par une ampoule. Le 26 septembre, les militants ont, selon elle, été transférés « dans des cages métalliques à barreaux, comme des animaux ».
L’ACCUSATION DE PIRATERIE NE TIENT PAS
« La réponse du gouvernement russe est totalement excessive, folle, estime Ben Ayliffe. Les Russes veulent nous intimider, mais je peux vous assurer que nous n’arrêterons pas : les dangers d’un forage dans l’Arctique sont plus importants que ceux que nous encourons. »
L’organisation internationale a-t-elle sous-estimé la riposte russe ? « Nous avions mené une action similaire en août 2012 et, malgré notre présence sur une plate-forme de Gazprom, il n’y avait eu aucune intervention des gardes-côtes russes », raconte M. Ayliffe. Pour Greenpeace, l’accusation de piraterie ne tiendra pas devant une cour de justice. « La piraterie ne peut se faire qu’à l’encontre d’un navire, ce que n’est pas une plate-forme pétrolière et même Gazprom le reconnaît, note Ben Ayliffe. Enfin, un acte de piraterie signifie que l’on veut prendre le contrôle par la violence d’un navire, ce qu’aucun acte de nos militants ne montre. »
Face à cette situation inédite pour l’ONG, qui n’a jamais connu de répression aussi massive, une cellule de crise internationale a été mise en place. Plusieurs équipes sont chargées de la communication, des questions juridiques ou encore des liens avec les familles des détenus. « Nous avons mis nos autres campagnes en sourdine et toutes nos actions vont être tournées vers la libération de nos militants, durant leurs deux mois de détention préventive », explique le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard.
Le gouvernement néerlandais a annoncé le lancement d’une procédure d’arbitrage internationale contre Moscou. Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Alexeï Mechkov, s’est contenté de répondre : « Nous avons beaucoup plus de questions à poser aux Néerlandais qu’ils n’en ont à nous poser. »
Rémi Barroux et Marie Jégo (à Moscou)