Pèches, pommes, kiwis mais aussi petits fruits et légumes proviennent de cette région. Les alignements interminables d’arbres fruitiers dominent le paysage. Les fruits et les souches sont choisis selon les critères du marché : uniformité, facilité de manutention et de transport, timing du murissement, etc. Les paysans sont devenus des entrepreneurs. Tous les quelques kilomètres, se dressent les immenses halles des entreprises et coopératives de conditionnement. Les fruits y sont acheminés, lavés, triés, empaquetés et envoyés aux quatre coins de l’Italie et de l’Europe.
Le seul élément de la production qui n’est pas sous contrôle est la main-d’œuvre saisonnière : à l’origine italienne, elle est devenue, comme partout, étrangère. Le marché du travail est disputé par différentes communautés : Roumains, Bulgares, Maghrébins et Chinois entre autres. Dans la région de Saluzzo, les travailleurs migrants les plus visibles aujourd’hui sont les hommes originaires d’Afrique subsaharienne. Ils sont quelque 500 à camper au Foro Boario, en bordure de la ville. Ils se sont construit des habitations avec des matériaux de récupération. Les conditions sanitaires sont désastreuses. Tous les matins, ces travailleurs sillonnent la campagne à la recherche de travail et rentrent souvent bredouilles.
Il y a quelques années, leur nombre était moins élevé et permettait de trouver du travail. Année après année, ils ont été de plus en plus nombreux et les logements mis à disposition vinrent à manquer. En 2012, la situation est devenue explosive et les autorités ont été appelées à mettre à disposition des logements. Trop peu de mesures ont été prises depuis. En 2013, le nombre de saisonniers sans logement a encore augmenté car ces derniers sont obligés, outre de gagner leur vie, de présenter un contrat de travail pour obtenir la prolongation de leur permis de séjour. Ceci les met en dépendance directe des patrons.
Beaucoup d’employeurs n’hésitent pas à profiter de cette situation pour payer des salaires au rabais et ne déclarer qu’une partie des jours travaillés, sans pour autant reverser les cotisations sociales. Donc pas de droit au chômage et pas de prolongation du permis de séjour ! Les travailleurs africains ne sont que peu soutenus : ostracisés par la couleur de leur peau, les syndicats et organisations politiques (à quelques exceptions près) les laissent à leur sort.
Esclaves de l’industrie
Sur place, début septembre, une petite délégation du groupe de travail sur les travailleurs saisonniers migrants de la Via Campesina a rencontré les travailleurs de Saluzzo. Lors d’une conférence de presse, avec les associations de soutien, nous avons dénoncé les conditions de travail et de logement intolérables et appelé les autorités à agir tout en relayant les revendications des travailleurs (voir en encart un extrait de notre communiqué). Le 7 septembre, la ministre de l’intégration du gouvernement italien est venue à Saluzzo pour y rencontrer les autorités. Les travailleurs africains du Foro Boario lui ont remis une lettre ainsi qu’un catalogue de revendications.
Début octobre, la récolte sera terminée, le froid s’installera et les travailleurs saisonniers migreront vers le sud de l’Italie pour la récolte des agrumes. Ils se heurteront à nouveau à des conditions de travail déplorables. L’agriculture industrielle et la concurrence effrénée ont besoin d’esclaves, et elles les trouvent parmi ces travailleurs migrants venus de très loin dans le but de trouver des conditions de vie meilleures.
Pour l’Autre syndicat et la Plateforme pour une agriculture socialement durable : Philippe Sauvin, Noé Graff, Yannick Arnold et Werner Schmid.
Communiqué concernant les conditions de travail des ouvriers agricoles dans le Piémont
A l’initiative de La Via Campesina, organisation internationale des travailleurs de la Terre, nous nous sommes rendus à Saluzzo, dans le Piémont à 50km au sud de Turin, en Italie, du 1er au 3 septembre 2013, afin de faire un rapport sur les conditions de travail des ouvriers agricoles. Le constant est accablant.
On pourrait le résumer en disant ceci :
« un hôtel 4 étoiles pour les animaux, et même pas une écurie pour les travailleurs ».
Ce jour-là, à Saluzzo, a lieu la foire agricole ; à proximité immédiate sont « installés » environ 500 africains, sur des palettes en bois, avec une toile en plastique sur la tête, tenue par des branches et des ficelles.
Pas d’eau, pas d’électricité, sanitaires inexistants ; les déchets s’accumulent le long de ces cabanes de fortune.
Les occupants sont en attente d’un hypothétique employeur qui viendra le matin les charger à bord d’une camionnette, avec à la clé un salaire au lance-pierre.
Dans le même temps, et au même endroit, les animaux de concours (vaches laitières) font l’objet de soins intensifs ; vu la chaleur ambiante, les animaux sont douchés 2x par jour, un coiffeur est à disposition ainsi qu’un spécialiste des onglons. La litière est maintenue propre en permanence et l’alimentation est donnée individuellement au moyen d’une puce électronique.
Les travailleurs agricoles, qui sont à proximité immédiate, sont par contre dans le dénuement total. Ceci est une honte et un scandale absolus et permanents.
En tant que syndicalistes, en tant que consommateurs, en tant qu’êtres humains, nous élevons une vive protestation
Contre cette situation inacceptable, nous exigeons des conditions de vie et de travail décentes pour tous ces travailleurs agricoles !