Une prise d’otages en pleine ville, en plein jour, suivie d’une exécution à une dizaine de kilomètres, dans des circonstances encore confuses, voilà qui n’enlève rien à la démonstration : frapper dans Kidal, en enlevant les deux envoyés spéciaux de Radio France internationale (RFI), Ghislaine Dupont et Claude Verlon, constitue, de la part des ravisseurs, un coup d’éclat dévastateur, au moment où le Mali s’interroge sur sa stabilisation en cours.
Les preneurs d’otages, décrits comme « quatre hommes à bord d’un pick-up » par une source sécuritaire de Kidal, ont lancé leur opération devant la porte d’un responsable touareg, Ambéry ag Rissa, avant d’emporter les deux journalistes, et de faire route vers l’Est, en direction de Tin-Essako. A environ douze kilomètres de Kidal, les deux otages ont été exécutés. Plusieurs sources au sein de la mouvance touareg affirment qu’un ou plusieurs hélicoptères de l’armée française avaient pris le véhicule en chasse, et pourraient avoir été repérés par les ravisseurs.
Cet épisode demeure encore difficile à reconstituer avec précision, mais d’ores et déjà, il est possible de constater que cette prise d’otages a pour effet immédiat d’infliger un camouflet tout à la fois aux forces françaises, touareg et maliennes présentes à Kidal, sans parler des casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). La leçon est dure : la somme de ces contingents est incapable d’assurer dans cette toute petite ville une protection suffisante pour y empêcher une opération de prise d’otages.
Le fait est d’autant plus important que Kidal est la capitale symbolique des mouvements touareg, et qu’à la différence d’autres villes du Nord, elle demeure le théâtre de divisions profondes. D’abord entre le petit contingent de l’armée malienne et les ex-rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ou de leurs alliés, qui se sont trouvés au bord d’affrontements ouverts au cours des semaines passées – les soldats français et les casques bleus sont parvenus à s’interposer. Mais aussi, plus en profondeur, entre groupes touareg rivaux. Des rivalités qui recoupent parfois des lignes de partage entre tribus, entre affiliations politico-militaires, ou plus simplement dans la perspective de futures captations de l’aide qui devrait être déversée sur le nord du Mali.
LE REPOUSSOIR DES ANNÉES « ATT »
Alors qu’il tente de réinstaurer son autorité dans la région, le pouvoir central s’efforce d’aplanir une partie de ces divisions. Cela passe par une paix des braves avec l’ex-rébellion touareg. Des mandats d’arrêt qui avaient été émis contre quatre responsables ayant joué un rôle important dans la rébellion ont été levés le 29 octobre. L’un de ces responsables, Ahmada ag Bibi, sera même candidat du RPM, le parti du chef de l’Etat, lors des élections législatives qui doivent se tenir le 24 novembre.
Est-ce le signe d’une tentative d’acheter la paix en distribuant des postes, l’un des points de faiblesse du pouvoir du président renversé, « ATT » ? Certains observateurs le redoutent déjà. Le « modèle ATT » (du nom de l’ancien président renversé, Amadou Toumani Touré) fonctionnait sur un système d’intégration de toutes les forces politiques dans les rouages du pouvoir, au risque de ne plus tenir que grâce au clientélisme. C’est dans ce contexte que s’est développée une caste de notables impliqués dans les narcotrafics, et que le Nord-Mali est devenu un terrain d’entraînement pour les groupes originaires d’Algérie, initialement, qui ont créé Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Le Mali d’après l’opération « Serval » est encore loin d’être de retour aux années ATT, qui font désormais figure de repoussoir. Vendredi et samedi, des assises nationales sur le Nord se sont tenues à Bamako, destinées à tenter de mettre à plat une partie des griefs nationaux au sujet de cette région. Une Commission vérité et réconciliation devra bientôt se consacrer au Nord-Mali et aux nombreux abus et violences qui y ont été commis pendant la période où la région a été sous le contrôle de mouvements rebelles. Onze milliards de francs CFA ont été débloqués pour financer les premières tranches de la reconstruction de cette partie du pays.
Le président Ibrahim Boubacar Keita, élu à la mi-août, a tenté vendredi de restaurer la confiance dans un apaisement national, en déclarant : « A ceux qui ont pris les armes, je tends encore la main afin qu’ils s’inscrivent dans une dynamique de paix et de réconciliation. Travaillons à faire en sorte de bannir pour toujours les armes de notre commerce social. »
L’OPÉRATION SERVAL
La nouvelle rébellion touareg, apparue à la fin 2011 dans la foulée de la défaite du régime de Mouammar Kadhafi (certains responsables touareg ont passé de nombreuses années dans l’armée libyenne), avait humilié l’armée régulière malienne dans les premiers mois de 2012, au point de précipiter le pourrissement et de contribuer au coup d’Etat du 22 mars, qui avait chassé ATT du pouvoir.
En avril, presque tout le Nord tombait sous le contrôle d’une coalition hétéroclite composée du MNLA, mais aussi d’AQMI et de groupes djihadistes alliés ou satellites, comme le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Quelques mois plus tard, le MNLA s’est éloigné d’AQMI, et a été chassé de la plupart des villes du Nord par ses anciens alliés, jusqu’à l’intervention française, le 11 janvier 2013.
En un peu plus de deux mois, l’armée française et ses alliés (essentiellement le Tchad, mais aussi le Niger) ont repoussé les groupes djihadistes des villes principales, et de leurs bastions du triangle Kidal-Tessalit-Aguelhoc. Au cours des derniers mois, certains groupes semblent cependant être parvenus à se réorganiser, au point de fomenter des attentats ou des attaques.
Parallèlement, les contacts avec une partie des ex-rebelles touareg (et arabes) sont maintenus, mais une certaine confusion règne encore sur les intentions d’une partie de leurs responsables. Le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), qui participe aux discussions aux côtés du MNLA, a par exemple bénéficié de ralliements de l’ex-Mouvement islamique de l’Azawad (MIA), l’une des portes de sortie de certains responsables du mouvement d’Iyad ag Ghali, Ansar Eddine. Ansar Eddine était proche d’AQMI, au point d’avoir été à la pointe de l’offensive vers le sud du pays, début 2013, qui a entraîné l’opération « Serval ».
UN PAYS ENCORE EN PROIE À L’INSTABILITÉ
Depuis, le nord du Mali, et tout particulièrement la région de l’Adrar des Ifoghas (où se trouve Kidal), a été, en théorie, en voie de « désansardinisation », sans que jamais aucune preuve de la fin réelle du mouvement d’Iyad Ag Ghali soit donnée. Celui-ci, de plus, n’a jamais été inquiété, alors que plusieurs sources affirment qu’il a passé cette période non loin de son fief d’Abeïbara. Il aurait même joué un rôle dans la libération des otages d’Areva et Satom, le 29 octobre.
Un autre péril, encore sous-estimé, menace la tentative de stabilisation de la région : les tensions entre Arabes et Touareg, qui ont déjà éclaté dans différentes villes (notamment à In Khalil, à la frontière algérienne, ou à Ber, près de Tombouctou).
De plus, d’autres pays de la région sont menacés par la violence de groupes armés djihadistes, d’AQMI à ses satellites, à commencer par le Niger voisin, qui a déjà subi des attaques avec attentats suicides à Agadez et à Arlit (où avaient été enlevés les employés d’Areva et de Satom). Dans le sud du pays, des villes servent de bases arrières au Mujao ou aux combattants du mouvement nigérian, Boko Haram. Après l’élection présidentielle de juillet, une euphorie trompeuse s’était emparée du Mali. Désormais, le président Keita peut le constater : il ne dispose que de peu de temps pour tenter de mener les discussions pour stabiliser le nord du pays. Le cas échéant, ce sont les groupes djihadistes qui pourraient multiplier leurs actions, au Mali comme dans les pays voisins.
Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Journaliste au Monde