La gifle n’a pas de précédent. Mardi 22 octobre, lors de la réunion hebdomadaire du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, Harlem Désir s’apprête à intervenir sur l’affaire Leonarda, la jeune collégienne expulsée au Kosovo. Le 19 octobre, le premier secrétaire du Parti socialiste avait désavoué le président de la République, en souhaitant que « tous les enfants de la famille de Leonarda puissent finir leurs études en France accompagnés de leur mère ». Des voix s’élèvent : « Non ! », « Pas lui ! » M. Désir est empêché de s’exprimer devant les députés de son propre parti. Une première.
Depuis c’est l’hallali sur M. Désir, un an après sa prise de fonctions élu par les militants le 18 octobre 2012 et investi le 28 octobre au – congrès de Toulouse. Alors que l’exécutif est frappé par une grave crise d’autorité, qui surplombe les autres – économique, sociale, morale, politique – et par une impopularité record, un ministre confie : « Il y a à l’évidence un problème Harlem Désir. »
Historiquement, quand le PS est au pouvoir son rôle est toujours compliqué. Mais il ne s’est jamais trouvé dans une situation aussi critique. Entre 1997 et 2002, lorsque Lionel Jospin était le premier ministre d’un gouvernement de « gauche plurielle », le PS dirigé par François Hollande avait joué un rôle de premier plan. Le contexte était certes différent.
EN CE TEMPS-LÀ LE PS PESAIT
C’était la cohabitation et l’économie se portait bien. M. Hollande avait l’oreille de M. Jospin. Il s’entretenait au moins deux fois par semaine en tête-à-tête avec lui. Il influençait ses décisions, parfois plus que certains poids lourds du gouvernement, comme Martine Aubry ou Dominique Strauss-Kahn, et il ferraillait en même temps contre Jacques Chirac, ce qui ne l’a pas empêché ensuite de nouer d’excellentes relations avec lui.
« Celui qui a connu l’ensemble de la sphère d’actions d’un gouvernement, c’est François Hollande », avait affirmé Lionel Jospin le 17 octobre 2011. Et le futur président en avait fait un argument face à ceux qui lui reprochaient son absence d’expérience ministérielle, en se référant à cet âge d’or : « Quand nous gouvernions ensemble [avec M. Jospin] le pays avec honneur. »
Même s’il a un peu survalorisé son rôle, il est indéniable qu’en ce temps-là le PS pesait. Il avait même réussi à estomper son image de godillot, en montrant qu’il pouvait d’autant plus approuver tous les choix du gouvernement qu’il en était souvent partie prenante.
Aujourd’hui le PS est à des années-lumière de 1997. Il ressemble à un astre mort qui n’émet plus aucun signal audible et déploie une activité réduite au minimum vital. « Le PS est plus mort que jamais, confie, sous couvert d’anonymat, un de ses 56 secrétaires nationaux. On n’en attend plus rien. Il ne s’y passe plus rien. Harlem est replié sur son cabinet et ne voit personne. Le bureau national (BN) n’est plus qu’une boîte d’audition des ministres. »
Moins sévère un autre secrétaire national observe : « Au BN, ce n’est pas qu’il ne s’y passe rien mais il n’en sort rien. Mais le PS n’est pas encore cliniquement mort, car il reste une machine électorale. » Le 16 novembre, un conseil national ratifiera les investitures pour les élections municipales.
Jean-Christophe Cambadélis, l’ancien lieutenant de DSK, se comporte de plus en plus en premier secrétaire bis. En 2012, il avait les faveurs de Jean-Marc Ayrault et de Martine Aubry pour devenir le patron du PS. Mais M. Hollande avait imposé M. Désir. Sur son blog, le 6 novembre, le député de Paris s’est enflammé : « J’enrage de voir la gauche l’arme au pied face aux remises en cause de la République. »
« LES SOCIALISTES DANS LES CORDES »
Le lendemain, sur RTL, M. Cambadélis a de nouveau enragé de voir « le PS, les socialistes dans les cordes. J’ai envie de leur dire : résistez, défendez ce gouvernement, c’est le vôtre ! » « Le temps n’est pas pour la gauche à s’autoflageller », a répliqué M. Désir, vendredi 8 novembre, sur RFI.
Pour autant, le sort de M. Désir paraît scellé. « Il faut le débarquer en douceur », assène un dirigeant. Chaque lundi soir, à la veille du petit déjeuner de la majorité, M. Ayrault réunit à Matignon les principaux ténors socialistes. « On n’y parle pas du parti, note un participant, parce qu’Harlem est là et que personne ne croit à sa capacité de rebond. »
Le scénario le plus probable est que M. Désir conduise une liste en Ile-de-France aux européennes en mai et qu’après l’échec attendu, il soit libéré de ses fonctions. « C’est Hollande qui a les cartes en main, relève un hiérarque. S’il veut un sursaut, il faut qu’il revoit l’ensemble de son dispositif : premier ministre, gouvernement, parti. Sauf surprise, Harlem devrait rester jusqu’aux européennes. »
Le cactus est que depuis que M. Jospin a instauré, en 1995, l’élection du premier secrétaire par les militants, ce dernier ne peut plus être « débarqué » par le « parlement » du PS comme l’avait été Michel Rocard après son échec aux européennes de 1994.
A défaut du vote d’une motion de défiance – plus qu’improbable –, il faudrait « prier » M. Désir de rendre son tablier, quitte à désigner une direction provisoire jusqu’au congrès de la fin 2015 ou à revenir avant devant les militants.
Pour élire qui ? Alors que des baronnies resurgissent, aucun nom ne fait véritablement consensus. Une situation qui peut donner une seconde chance à M. Cambadélis si les hollandais se résignent à l’adouber pour... tenter de réanimer l’astre mort.
Michel Noblecourt