L’encre de notre article « Fossiles pas contents. Syndicats, attention » [1] était à peine sèche que la Commission européenne s’alignait sur les souhaits des patrons du secteur des énergies fossiles.
Nouvelle rengaine
Pour rappel, début octobre, les porte-parole d’une série de grandes entreprises énergétiques européennes (GDF-Suez, EON, ENI et RWE, notamment) organisaient une conférence de presse pour exiger la fin des subsides aux renouvelables et « un changement radical de la politique énergétique de l’UE ».
Emballé dans des propos démagogiques sur l’emploi et sur les prix excessifs auxquels les consommateurs paient l’électricité, ce coup de gueule des patrons fossiles visait en réalité la politique de l’Union Européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Tant que cette politique leur permettait de s’en mettre plein les poches en vendant sur le marché et en facturant aux consommateurs des droits d’émission que l’UE leur avait offerts gratuitement, M. Mestrallet (GDF-Suez), ses amis électriciens et le grand capital en général n’y trouvaient rien à redire.
Mais ces Messieurs chantent une autre chanson depuis que leurs concurrents américains bénéficient d’une énergie plus sale moins chère grâce à l’exploitation du gaz de schiste, aux nouvelles technologies d’exploitation pétrolière, au pétrole des sables bitumineux de l’Alberta et à l’éthanol de maïs.
A nouveau contexte, nouvelle rengaine : « Stop aux renouvelables, oui charbon, oui au gaz de schiste », tel est maintenant le refrain du grand capital européen. Et que ça chauffe, crénom de nom !
Le poids de la Table Ronde des Industriels
Les capitalistes producteurs d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques sont certes d’un autre avis : les subsides aux renouvelables, pour eux, c’est tout bénéfice… Seulement voilà : les énergies vertes ne couvraient en 2011 que 13% de la consommation finale d’énergie dans l’UE.
La plupart des entreprises continuant à dépendre avant tout des fossiles, les gros bataillons du capital industriel européen se sont rangés derrière Mestrallet & Co. Dans une lettre adressée en juin dernier au Président du Conseil, la puissante Table Ronde des Industriels Européens mettait les points sur les i :
« L’Europe doit améliorer ses efforts pour contrôler le coût total de la production et de la distribution de l’énergie, car des prix élevés et un différentiel de prix croissant avec les USA menacent de plus en plus la compétitivité internationale de l’industrie de l’UE. (…) L’Europe doit offrir une politique climatique et énergétique cohérente qui considère la compétitivité de l’UE comme aussi importante que la sécurité énergétique et les objectifs de réduction de CO2. (…) Une innovation continue est nécessaire pour trouver de meilleures façons d’exploiter les énergies renouvelables, augmenter davantage l’efficience énergétique et faciliter l’exploration des gaz de schiste en Europe » [2].
C’est écrit noir sur blanc : la compétitivité – c’est-à-dire le profit – doit être « considérée comme aussi importante que la lutte contre le réchauffement de la planète » ! La course à la première étant la cause du second, autant dire que le Grand Capital opte pour une catastrophe climatique impliquant notamment une hausse du niveau des océans de un, deux, trois ou… dix mètres.
Comme disait Marx : ces gens ne sont pas des êtres humains, mais du capital incarné. Et, comme disait James Hansen : ils savent les conséquences de leurs actes, ils devraient être poursuivis en justice pour crime contre l’humanité et contre l’environnement…
Le petit doigt sur la couture du pantalon
La réaction de la Commission montre que l’UE n’est rien d’autre qu’un instrument au service des milieux d’affaires européens dans leur lutte contre leurs concurrents sur le marché mondial capitaliste. Rédigé avec le petit doigt sur la couture du pantalon, son projet de communication sur le marché intérieur de l’électricité dit notamment ceci :
« Aujourd’hui, les prix de détail de l’électricité dans l’Union sont souvent plus élevés que partout ailleurs dans le monde. (…) L’augmentation de la production d’électricité à partir de sources variables (renouvelables intermittentes, DT) dans l’UE, la nécessité de financer la mise à niveau du système de production électrique vieillissant et la volatilité sur les marchés de l’énergie primaire (…) font naître chez les producteurs d’électricité des incertitudes quant aux recettes qu’ils peuvent escompter. (…) Il convient donc d’adapter les régimes d’aide (aux renouvelables, DT) à ces nouvelles conditions afin de promouvoir les prochaines générations d’énergies renouvelables qui seront encore plus performantes, et de limiter le coût de ces régimes pour les consommateurs d’énergie. » [3]
Le site patronal EUbusiness titre fièrement « L’UE annonce la fin des subsides élevés à l‘énergie renouvelable”. Il se félicite du fait que de nouvelles centrales électrique au charbon et au gaz pourront être construites et même bénéficier d’aides publiques au cas où elles seraient considérées comme indispensables à la sécurité de l’approvisionnement – une demande qui émanait de plusieurs pays, notamment la France, dit l’article…
EUbusiness rapporte aussi certains commentaires d’un de ses larbins, le Commissaire à l’Energie Guenther Oettinger : « Le but final du marché est de fournir à nos citoyens et à l’économie une énergie sûre et à un prix abordable. L’intervention publique doit être au service de ces objectifs. Elle doit être cost-efficient et adaptée aux circonstances changeantes. Quand le soleil ne brille pas et que le vent ne souffle pas de l’électricité doit quand même être produite. » [4]
Avec du gaz de schiste ? La Commission, dans ce texte, ne se prononce pas. Mais une décision en cette matière est attendue très prochainement. Les patrons sont sereins : pour obtenir satisfaction, il leur suffit d’écrire des lettres et, si ça ne marche pas, d’organiser des conférences de presse…
Affaire à suivre !
Daniel Tanuro