Le cinquième rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (GIEC) confirme que depuis 1901, la température à la surface du globe a grimpé en moyenne de presque un degré centigrade. Sur l’horizon 2100, le scénario qui fait l’hypothèse d’un interventionnisme drastique prédit une hausse de température de 0,3°C à 1,7°C par rapport à la moyenne mesurée entre 1986 et 2005 et une hausse du niveau de la mer de 26 à 55 cm. Par contre, le scénario qui correspond à l’inaction actuelle annonce une hausse entre 2.6°C et 4.8°C et 45 à 82 cm pour celle des océans [1]. Entre les deux scénarios, l’humanité doit choisir.
[Non reproduite ici]
Figure 7a du Résumé à l’attention des décideurs du Groupe 1 du GIEC
Les très prudentes prédictions du nouveau rapport du GIEC prennent en compte la fonte des glaciers du Groenland et de l’Antarctique, contrairement au rapport de 2007, mais laissent de côté « le relâchement du méthane du pergélisol dans ses prévisions de hausses des températures mondiales » alors que celui-ci commence « …à fondre à partir d’un réchauffement du globe de 1.5°C… » et qu’il contient « environ le double du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. » Le nouveau rapport du GIEC constate pourtant « …avec un niveau de confiance élevé, que les températures du pergélisol ont augmenté dans la plupart des régions depuis les années 80. » [2] Même si le Nord québécois et canadien, dont sa biodiversité, sera davantage frappé que le Sud, celui-ci verra sa température moyenne s’élever un peu plus rapidement que celle mondiale, connaîtra des vagues de chaleur qui « augmenteront en intensité et en durée » et, last but not least, devra gérer « une baisse marquée » du niveau des Grands Lacs avec ses conséquences sur le St-Laurent sans compter « l’érosion accélérée » des régions côtières de son estuaire et du Golfe « …en plus d’une augmentation du nombre et de l’intensité des tempêtes. »
Selon le président du GIEC, il est « minuit moins cinq » c’est-à-dire qu’il est encore temps « de contenir l’augmentation à 2°C » que s’est fixée la communauté internationale… sans se donner les moyens de l’atteindre suite aux rivalités inter-impérialistes et à la possibilité de mettre la crise écologique sur le dos des peuples faute de résistance. Une augmentation au-delà rend très probable le déclenchement d’un engrenage de rétroactions incontrôlables (albédo accru de l’Arctique, fonte des glaciers et du pergélisol, désertification). « “Les changements climatiques sont un défi de long terme, mais qui exigent une action urgente, non pas demain, mais aujourd’hui et maintenant, étant donné le rythme et l’échelle avec lesquels les gaz à effet de serre s’accumulent dans l’atmosphère et les risques croissants de dépassement des 2°C d’augmentation de température”, a déclaré pour sa part le directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement, Achim Steiner. » [3]
Le peuple québécois peut et doit oser
On sait d’entrée de jeu qu’on ne peut pas compter sur le gouvernement canadien qui « a reçu en décembre 2012 à Doha un sixième prix Fossile de l’année parce qu’il représenterait une nuisance pour les négociations en cours, selon les groupes environnementaux. » [4] Ce gouvernement, quelque soit le parti au pouvoir, reflète le basculement de l’économie canadienne autour de l’axe finance-pétrole Toronto-Calgary aux dépens du défunt axe finance-industrie Ontario-Québec. Sa politique étrangère en appuie proactif aux guerres du pétrole étasuniennes en est le corollaire. Le gouvernement du Québec a beau s’être illustré en se proposant d’atteindre la borne inférieure de la fourchette du rapport du GIEC de 2007, soit une réduction en 2020 de 25% des gaz à effet de serre (GES) par rapport au niveau de 1990, les bottines ne suivent pas les babines. De dire la Commission sur les enjeux énergétiques du gouvernement du Québec : « À sept ans se la date butoir, des programmes permettant ces cibles sont encore à définir. […] Il doit absolument instaurer des mesures d’envergure pour y parvenir. » [5]
La Commission suggère quelques cibles pour y arriver : conversion de 100 000 logements du mazout ou gaz naturel à l’électricité sur une possibilité de 650 000, convertir à l’électricité 31 000 bâtiments sans même toucher au secteur commercial, pourtant le plus mauvais élève, retirer de la route ou convertir à l’électricité 2.1 millions d’autos ou de camions légers (près de 50% du parc) sans rien proposer pour le transport collectif et réduire des deux tiers les émissions des alumineries. [6] L’urgence climatique réitérée par le GIEC commande plutôt d’atteindre la borne supérieure de la fourchette pour les anciens pays industrialisés, responsable historique de la catastrophe appréhendée, soit « de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 1990 d’au moins 40 % d’ici 2020, et de 95% d’ici 2050 [et] d’abandonner l’utilisation des diverses formes d’énergie fossile d’ici 2030 » comme le propose Québec solidaire dans sa plate-forme électorale de 2012.
Comme les Solidaires le proposent, il suffirait de parachever les propositions de la Commission par un programme de rénovation éco-énergétique de tous les bâtiments résidentiels, institutionnels et commerciaux, d’un virage à 180 degrés vers le transport collectif électrifié des personnes et vers celui des marchandises par rail et par cabotage aux dépens de l’automobile et des camions lourds. Il faudrait aussi être plus exigeant envers les entreprises car « les analyses d’efficacité énergétique démontrent l’existence d’un fort potentiel de gains énergétiques à réaliser dans le secteur industriel […] En mars 2013, 2057 sites industriels avaient obtenu une certification ISO 50001 [performance énergétique], alors qu’on ne compte qu’un seul site certifié au Québec. » [7] Comme le rappelle la Commission : « …au début des années 1980, le Québec a réussi à changer ses habitudes de consommation de pétrole de façon radicale […] soit une chute de 41 % en neuf ans. »
Pour ce faire, cependant, il faudra d’abord affronter le complexe finance-pétrole canadien. On reste étonné qu’un gouvernement se réclamant de l’indépendance ne soit même pas capable de dire non à ce complexe en proclamant un Québec libre de toute exploitation pétrolière et gazière et de tout transport et transformation de pétrole bitumineux et schisteux sur son sol. Il faudra aussi régler son compte au corrompu complexe très québécois ABC (asphalte, bois et ciment) qui baigne dans le jus énergivore du paradigme auto-bungalow et aux transnationales des ressources naturelles, dont la Bourse de Toronto est l’accommodant centre mondial, en les nationalisant en tout ou en partie. L’indépendance en devient incontournable, non seulement pour sauver la langue mais pour exproprier les banques, ce à quoi se refuse Québec solidaire. L’existence d’une monnaie québécoise et de son corollaire, le contrôle des changes, rendrait possible d’imposer davantage le capital sous toutes ses formes, de bloquer l’accès aux paradis fiscaux et d’orienter l’épargne québécoise vers une révolution des systèmes de l’énergie, des transports et de la trame urbaine mettant fin à l’étalement urbain en faveur d’une ville conviviale, dont l’auto ne serait plus la reine, et d’une agriculture biologique supplantant une polluante agro-industrie au bilan énergétique très négatif.
La bougie d’allumage
Pour se mettre en mouvement, il nous faut un printemps érable galvanisé d’une grève sociale dont ni les directions syndicales ni Québec solidaire n’ont voulu. La revendication de la gratuité scolaire, portée par l’organisation étudiante radicale ASSE mais aussi par Québec solidaire, en avait été la bougie d’allumage. On ne voit pas pourquoi la revendication de la gratuité du transport collectif étalé sur dix ans, contenue dans la plate-forme Solidaire mais tablettée depuis, ne pourrait pas devenir la bougie d’allumage de cette révolution écologique pour sauver notre planète. Si le Québec fut le fer de lance de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, il pourrait aussi l’être pour cette révolution.
Marc Bonhomme, 2 octobre 2013
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca