À propos ce double assassinat, le despote tchadien – dont le pays est largement présent au Mali, et très allié à la France – s’est découvert une fibre qu’on ne lui connaissait pas, celle d’adorateur de la liberté de la presse. « Sans la presse, le monde est comme un corps sans âme », a-t-il clamé (sans rire) le 7 novembre dernier à l’occasion d’une visite du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. Tout en demandant aux journalistes de « continuer à chercher la vérité partout où elle se trouve ». Nous parions, sans risque, que cela ne vaut pas pour la presse tchadienne, largement muselée.
Les assassinats de Ghislaine Dupont et Claude Verlon seraient l’œuvre d’AQMI (« Al-Qaida au Maghreb islamique »), qui a revendiqué ces crimes. Mais la question de savoir pourquoi reste posée. En effet, le groupe AQMI est coutumier des prises d’otages, qui sont l’un des piliers du tissu économique dans lequel il est intégré. Comme d’habitude, AQMI aurait pu « monnayer » la vie des deux journalistes, au lieu de perpétrer un assassinat spectaculaire.
Groupes armés, pouvoir malien, État français
Ainsi, la libération de quatre otages qui avaient été enlevés à Arlit au Niger en 2010 aurait rapporté 20 millions d’euros aux groupes qui les avaient enlevés. La somme aurait été payée par leurs employeurs, la firme nucléaire Areva et le groupe français Vinci. Or, selon des informations données par le chroniqueur malien Tiékorobani, ce serait le versement de cette rançon qui aurait créé des conflits parmi les différents groupes armés présents au nord du Mali. Selon lui, ce serait Iyad Ag Ghali, le chef du groupe intégriste malien Ansar Dine (Partisans de la religion), qui aurait joué les intermédiaires entre AQMI et les intérêts français… avant de garder la rançon pour lui. Du coup, AQMI se serait fâché et aurait commandité l’assassinat des deux journalistes français. Le message : les groupes armés qui contrôlent actuellement Kidal n’arrivent pas à faire régner un minimum de sécurité.
La situation reste problématique, alors que les principaux groupes ayant pignon sur rue semblaient être en train de trouver les arrangements favorables à leurs intérêts. Le MNLA, mouvement séparatiste ou autonomiste à base ethnique (touareg), vient de créer une structure politique commune avec le « Haut conseil pour l’unité de l’Azawad » (HCUA), vitrine d’Ansar Dine. Il s’agit de revendiquer une place d’interlocuteur de poids, face au gouvernement malien. Et cela alors que la France, militairement très présente à Kidal, a toujours eu des accointances avec le MNLA, entre autres pour affaiblir l’État central malien.
Le pouvoir malien, représenté par le président Ibrahim Boubacar Keïta élu en août dernier, a lui aussi commencé à s’arranger avec ces groupes armés. Des représentants du MNLA figureraient d’ailleurs sur des listes du Rassemblement du peuple malien (RPM), parti du président Keïta, aux législatives des 24 novembre et 15 décembre...
Bertold du Ryon