C’est le ministre de l’économie lui-même, Pierre Moscovici, qui a crié au loup en premier repris en cœur par les réactionnaires de tout poil. On pourrait s’étonner que le Parti socialiste reprenne désormais des thèmes traditionnellement si chers à la droite, mais rien de nouveau puisque déjà en 1988, Mitterand avait déjà surfé sur le thème du « ras-le bol fiscal ». Ras-le-bol appuyé par des sondages (c’est dire que cela doit être vrai...) où les sondés répondent majoritairement qu’ils voudraient payer moins d’impôts, comme c’est le cas depuis des décennies.
Le poids de l’impôt ?
Pourtant la France est l’un des pays où l’impôt sur le revenu est le plus faible (surtout pour les plus aisés), même quand on y adjoint la contribution sociale généralisée (CSG). Miné par les niches et autres dégrèvements, les impôts directs sur le revenu ne représentaient que 7,3 % du PIB en 2010, contre 8,8 % en Allemagne et 10 % au Royaume-Uni. Mais pour faire croire que nous croulons sous le poids de l’impôt, les commentateurs en tout genre mettent en avant le chiffre de l’ensemble des prélèvements (impôts, cotisations, taxes diverses).
L’ensemble des taxes représentait 42,9 % de la richesse nationale en 2010, moins que le Danemark (47,6 %) mais bien plus que le Royaume-Uni (34,9 %). Ces chiffres n’ont pas de sens, car ils comparent des services rendus totalement différents selon les pays. Les Anglais paient moins d’impôts, mais paient en plus pour l’école ou les retraites... En France, une grande partie des services publics sont (encore) financés par l’État. Il serait donc possible de réduire le volume de l’impôt en faisant payer l’accès à la maternelle ou à la santé, mais il n’est pas certain que ce soit très populaire.
L’objectif du discours actuel sur le poids des impôts est une nouvelle fois de favoriser les plus riches et les entreprises. La « pause fiscale » décrétée par le gouvernement n’est qu’un leurre pour la majorité de la population. En revanche, elle sera bien réelle pour les entreprises. Le supposé ennemi d’hier est devenu le meilleur allié du gouvernement Hollande-Ayrault, au détriment de la majorité de la population.
Contre-révolution fiscale
Depuis trente ans, une politique fiscale libérale est en œuvre consistant à faire en sorte que les plus riches et les entreprises, notamment celles qui font le plus de profits, payent de moins en moins...
Aujourd’hui de gauche comme hier de droite, sous prétexte de « croissance » ou comme on dit maintenant de « compétitivité », les gouvernements qui se sont succédé ont permis de baisser la fiscalité des plus riches et des entreprises. C’est le gouvernement Jospin, avec Laurent Fabius comme ministre des Finances qui, en 2000, a donné le signal de la baisse de l’impôt sur le revenu. La droite a ensuite accéléré ce processus qui a abouti à une forte baisse de la progressivité de l’impôt sur le revenu et à la taxation plus importante des revenus du travail par rapport à ceux du capital. La première mesure fut de baisser le nombre de tranches d’imposition. Le barème a été ramené à cinq tranches, alors qu’au début des années 1980, il existait treize tranches. Le barème de la tranche la plus élevée est passée de 65 % en 1982 à 45 % en 2012.
Dans la même période, le taux de l’impôt sur les sociétés qui était encore de 50 % en 1985 est aujourd’hui de 33 % en principe. En pratique, il est de 28 % pour les très petites entreprises, de 22 % pour les PME… et de 8 % pour les sociétés du CAC40 (sans parler de l’entreprise Total qui était à 0 % en 2011 !). Il sera une nouvelle fois abaissé à hauteur de 13, 476 milliards d’euros rien que pour l’année 2014. On attend la suite avec impatience...
Entre gens de bonne compagnie...
Il y a bien sûr les petits cadeaux fiscaux entre amis, comme le bouclier fiscal de droite (700 millions d’euros…) et le crédit d’impôts compétitivité de gauche (à hauteur de 20 milliards d’euros) sans aucun contrôle fiscal. Il y a aussi les promesses sans lendemain et les renoncements, comme la taxation à 75 % totalement abandonnée. Enfin, il y a les dispositifs tout à faits légaux d’optimisation en tout genre, telles les niches fiscales. Certes, toutes les niches ne bénéficient pas qu’aux riches, mais les stratégies d’optimisation et de défiscalisation restent l’apanage des plus aisés et leurs permettent d’alléger, voir d’éviter, l’impôt, permettant aujourd’hui de parler de régressivité de l’impôt et non plus de progressivité.
De plus, depuis trois décennies, les gouvernements de gauche comme de droite ont démultiplié les mesures fiscales dérogatoires au point d’en arriver à une fiscalité complexe et illisible pour le plus grand nombre, rendant encore plus inégalitaire l’impôt.
Ces baisses n’ont pas permis de « relancer la croissance ou l’emploi » comme l’ont prétendu les différents gouvernements. Elles ont, au contraire, privé la collectivité de recettes cruciales, pour le financement des services publics, par exemple la construction de logements sociaux…
Qui est vraiment écrasé ?
L’ensemble des impôts sont payés par différents secteurs de l’économie...
Il y a les impôts sur la consommation (TVA, taxes sur différents produits : produits pétroliers, tabac, boissons alcoolisées...), les impôts sur la production (les trois cotisations des entreprises qui ont remplacé, à la baisse, l’ancienne taxe professionnelle, les taxes foncières, perçues par les collectivités locales, la taxe sur les salaires perçue par l’état…), et les impôts sur le revenu et la fortune (impôt sur le revenu des personnes physiques, CSG, impôt sur les sociétés, ISF et droits de succession, tous perçus par l’état, et la taxe d’habitation perçue par les collectivités locales).
Pleure pas la bouche pleine...
En 2012 dans l’état actuel de la législation et du contrôle fiscal (quotient familial, existence d’une foule de niches fiscales, tolérance des paradis fiscaux…), les ménages paient environ deux-tiers du total des impôts (et même plus de 80 % des impôts sur le revenu et la fortune !), les sociétés non financières un quart et les banques et assurances à peine 4 %. Et pourtant le Medef, les petits patrons et les gros banquiers, ainsi que les médias à leur service, crient au matraquage fiscal, et ils sont généralement entendus par le gouvernement qui leur propose alors des « aménagements », ou même recule complètement : Moscovici vient ainsi d’annoncer ce dimanche l’abandon du projet de taxe sur l’excédent brut d’exploitation qui devait rapporter 2, 5 milliards d’euros...
Pourtant depuis plus de 20 ans, toutes les réformes sont allées dans le même sens : en baisse pour les entreprises, en hausse pour les ménages.
Inégalités fiscales
En outre, les ménages supportent maintenant la CSG, dont le montant est presque le double de celui de l’impôt sur le revenu, mais cela est peu connu car Rocard, le père de la CSG, a été assez malin pour que cette CSG soit prélevée à la source et n’apparaisse donc pas sur la feuille d’impôt. Mais surtout, tous les ménages, même les plus pauvres, paient la TVA et les autres impôts sur leurs achats, la plupart paient aussi la taxe d’habitation, et celle-ci augmente parfois fortement car les collectivités locales se voient transférer certaines dépenses par l’état, mais sans les ressources correspondantes. Ce traitement égalitaire des ménages en matière de TVA ne se retrouve pas du tout dans l’impôt sur le revenu, par exemple avec le système du quotient familial qui procure une réduction d’impôt croissant avec le revenu. Et il n’y aura pas de « pause fiscale » pour les ménages les plus modestes qui paient au moins 10 % de leur revenu en TVA et autres impôts indirects.
Il faut souligner qu’aucune de ces « réformes » ne s’est attaquée à la fraude fiscale qui grève les finances publiques, et dont on connaît des estimations. Le rapport Bocquet évaluait en mai 2012 à 50 milliards d’euros par an le manque à gagner pour l’État. De 60 à 80 milliards, a estimé, le 21 mai, Bernard Cazeneuve, ministre du budget. Ces chiffres sont de l’ordre de grandeur du déficit public !
Qui paye ?
Si on regarde l’évolution des impôts payés par les trois secteurs : sociétés non financières, banques et ménages, depuis l’année de base 2007 (qui est la base de 100), on voit que la crise de 2008 entraîne un effondrement des résultats (et donc des impôts) des banques, qui pèsent en 2009 sur les résultats des deux autres secteurs, mais beaucoup plus sur les sociétés non financières que sur les ménages. À partir de 2010, les situations s’améliorent et les impôts recommencent à croître, mais sans rattraper les creux précédents. Et le secteur financier, responsable de la crise due à l’explosion des opérations spéculatives, a bénéficié non seulement d’une baisse de ses impôts, mais a reçu une aide massive de la part du gouvernement et cela sans aucune contrepartie en terme de contrôle public, sans même parler évidemment de nationalisation...
Pour une révolution fiscale !
Nos propositions reposent sur un principe directeur qui consiste à privilégier les impôts directs et les impôts progressifs. La fiscalité doit être compréhensible par touTEs, ce qui est la condition même pour qu’elle puisse donner lieu à un véritable débat démocratique dans lequel les arbitrages politiques seraient réellement maîtrisés par tous.
L’impôt sur le revenu
La création de nouvelles tranches permettrait d’établir une réelle progressivité, ainsi que la création d’un taux marginal à 100 % à partir d’un certain niveau de revenu (260 000 euros par an).
L’ensemble du revenu des personnes physiques doit être pris en compte dans la base imposable. Quelle que soit leur nature, tous les revenus doivent être taxés de la même façon.
Enfin, nous pensons qu’il faut supprimer le quotient conjugal et réviser le quotient familial.
L’impôt sur les sociétés
Nous défendons le retour à une imposition à 50 % (qui était le taux appliqué jusqu’en 1985). Un simple retour à ce niveau d’imposition, même sur les bases de calcul actuelles, permettrait de faire passer l’impôt sur les sociétés de 36 milliards à 54 milliards d’euros, soit 18 milliards de plus...
Les impôts indirects
L’essentiel est constitué par la TVA qui est payée par tous mais pas de la même manière. Pour les bas revenus, tout est consommé, donc soumis à la TVA. Au-dessus d’un certain montant, une partie du revenu se trouve épargnée et y échappe ainsi. En somme, plus on est riche, moins on paye ! La justice fiscale imposerait donc de réduire drastiquement la part des impôts indirects dans l’ensemble des recettes.
Cela ne veut pas dire que l’on s’interdit toute action par l’impôt indirect, mais elles doivent être ciblées sur les comportements sociaux les plus discutables de façon à les limiter au maximum. Par exemple, si l’on veut freiner l’utilisation de la voiture individuelle, nous ne pouvons pas être, comme le proposent certains écologistes, pour l’augmentation de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (ex-TIPP) car cela touche les personnes les plus modestes, contraintes, par le prix du foncier, d’habiter en dehors de toute zone bien desservie par les transports publics. Par contre, rétablir une taxe sur les véhicules (la fameuse vignette) au-dessus d’un certain nombre de chevaux, notamment pour les 4/4, serait pertinent.
Taxer directement certaines pratiques sociales de la bourgeoisie pour en limiter les nuisances pour l’ensemble de l’humanité ne devrait pas nous poser problème. Il convient de veiller à ce que la fiscalité ne renforce pas les phénomènes d’exclusion. C’est la raison pour laquelle nous sommes donc favorables à la suppression de la TVA et de la TICPE.
Les impôts sur le patrimoine
Le principal recul de ces dernières années porte sur l’impôt sur les successions. Après les mesures prises sous la présidence Sarkozy, 95 % des successions ne donnent lieu à aucune imposition. Cela favorise une forte croissance des inégalités de patrimoine. De plus, il existe de nombreuses possibilités d’évasion : pour les familles fortunées, une succession se prépare au cours de la vie par des montages financiers adéquats aux types de biens à transmettre, sociétés civiles immobilières (SCI), donations tous les six ans, recours à l’assurance vie…
Nous sommes pour une taxation des successions selon un barème aussi fortement progressif que l’impôt sur le revenu et qui s’accompagne de la suppression de toutes les possibilités d’évasion qui ont été mises en place.
Depuis sa mise en place en 1982 sous Mitterrand, « l’impôt de solidarité sur la fortune » (ISF, à l’époque IGF) se caractérise par une assiette étroite puisque en sont exclus les œuvres d’art et de collection, partiellement les bois et forêts et les biens professionnels baptisés pour la circonstance « outils de travail » (l’entreprise L’Oréal est ainsi un outil de travail pour les Bettencourt !). La droite n’a eu de cesse d’affaiblir encore plus cet impôt, par l’instauration du bouclier fiscal et d’exonérations supplémentaires, et le PS de retour au pouvoir n’a rien remis en place. Notre proposition est de construire un impôt sur la fortune incluant l’ensemble du patrimoine, « outils de production » et œuvres d’art compris et qui soit fortement progressif (avec suppression de l’abattement sur la base fiscale).
Les impôts locaux
Pour les impôts locaux, un des principaux problèmes réside dans les inégalités de richesse entre communes (liées à la présence d’entreprises et/ou de ménages à revenus élevés). Outre leur réforme, il conviendrait donc d’organiser une péréquation entre les communes d’une même région sur la base du nombre d’habitants.
La taxe d’habitation perçue par les communes est un impôt particulièrement injuste alors qu’il constitue un des principaux impôts sur les bas revenus. Il existe une forte disparité entre les communes : il est ainsi notoire que, par exemple, la taxe d’habitation est faible à Paris et forte dans les communes des banlieues les plus populaires. Sa base de calcul est la valeur locative des logements, elle-même déterminée de manière plus que contestable et remontant au début des années 1970, ce qui représente un avantage pour les propriétaires et locataires des centre-villes où la proportion de personnes à revenus élevés est souvent plus importante.
Nous pensons que le logement constitue un besoin fondamental des individus et que la taxe d’habitation doit donc reposer sur une base qui renvoie aux moyens contributifs de chacun et non au type de logement.
La taxe foncière est liée à la propriété. Il convient également de modifier cet impôt : la valeur des biens prise en compte pourrait être la valeur vénale déclarée par les contribuables qui serait opposable en cas de revente (avec possibilité de préemption par les communes).
La taxe professionnelle, qui a été remplacée par trois cotisations en 2010, a été l’occasion d’un cadeau aux entreprises : 22 milliards de TP en 2007 et seulement 19,6 en 2012, alors que l’impôt sur le revenu a augmenté de 22 % sur la même période.
Dossier réalisé par Sandra Demarcq et Jacques Cherbourg