Le Conseil constitutionnel a validé, vendredi, la loi du 13 juillet 2011 qui interdit la fracturation hydraulique, seule technique disponible aujourd’hui pour extraire le gaz de schiste.
Le gaz de schiste est-il une bénédiction pour le climat ? Face aux risques environnementaux posés par leur exploitation (présence de composés organiques volatiles à proximité des puits, risques de pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques, forte consommation d’eau, etc.), les promoteurs des hydrocarbures non conventionnels avancent un argument de poids : à énergie produite équivalente, le gaz naturel obtenu par fracturation hydraulique produit trois à quatre fois moins de dioxyde de carbone (CO2) que le charbon.
L’argument est particulièrement prégnant aux Etats-Unis, ou la houille tient encore une place de choix dans la production électrique nationale. Mais depuis deux ans environ, les bénéfices climatiques du gaz de schiste sont remis en cause et sont, depuis, au centre d’une intense bataille scientifique dont il est aujourd’hui difficile – voire impossible – d’avoir le fin mot.
L’affrontement s’est ouvert en avril 2011 avec la publication, dans la revue Climatic Change, d’une étude estimant – à partir de simple calculs – que les fuites intervenant au cours du cycle d’exploitation du gaz de schiste étaient probablement comprises entre 3,6 % et 7,9 %. Ces chiffres avancés par le bio-géochimiste Robert Howarth (université Cornell) ont suscité une intense polémique. De fait, ils réduisaient de beaucoup les bénéfices climatiques du gaz de schiste puisque le méthane (CH4), son principal constituant, est un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. De plus, ils n’étaient pas fondés sur des mesures.
En août et septembre, deux études importantes y sont allées voir de plus près. Avec des résultats massivement contradictoires. En août, une équipe menée par des chercheurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a publié dans Geophysical Research Letters (GRL) les résultats d’une campagne de mesures au-dessus d’un bassin d’exploitation d’huile et de gaz de schiste, dans l’Utah.
Les chercheurs ont procédé à des mesures aériennes pour détecter l’excès de CH4 et en déduire, en fonction de la production des puits, une estimation du taux de fuite. Les chiffres qu’ils avancent sont plus importants encore que ceux de M. Howarth : selon les auteurs, de 6,2 % à 11,7 % du gaz naturel produit sur le site finit dans l’atmosphère... La même équipe avait procédé de même sur un autre bassin, dans le Colorado, et y avait estimé le taux de fuite entre 2 % et 8 %. Deux estimations de même ordre de grandeur.
RÉVÉLATION DE CONFLIT D’INTÉRÊTS
La messe, pourtant, n’est pas encore dite. Mi-septembre, des chercheurs de l’université du Texas ont ainsi publié dans la revue Proceedings of the National Academy of the Sciences (PNAS) une vaste étude menée sur 190 sites de production, totalisant plus de 500 puits. Les mesures in situ rassemblées par les auteurs de ces travaux indiquent une proportion de méthane fugitif beaucoup plus faible que les précédents travaux : seul 0,42 % du gaz produit serait globalement perdu dans l’atmosphère...
Outre-Atlantique, l’affaire est au centre d’intenses discussions. Les organisations non gouvernementales pointent qu’une part importante du financement de l’étude provient du secteur pétrolier et gazier. Cependant, l’Environmental Defense Fund (EDF) a également été associé au financement et à la coordination de ces travaux. Les responsables de l’ONG environnementaliste disent être confiants dans la solidité des résultats publiés.
Robert Howarth, qui a lancé la controverse voilà deux ans, a déclaré dans la presse américaine que les divergences de résultats sont probablement le fait d’un biais d’échantillonnage. Les 190 sites choisis par les chercheurs de l’université du Texas ne seraient pas, selon lui, représentatifs de l’ensemble des bassins de production. Les intéressés répondent que, dans leur protocole, ce ne sont pas les industriels qui ont choisi les sites auscultés... D’autres critiques font valoir que les sites de production anciens ou abandonnés, également émetteurs de CH4 « perdu » ne sont pas pris en compte dans l’étude. Une part des fuites de méthane imputables au gaz de schiste serait ainsi occultée. Cependant, même en cas de biais d’échantillon, l’étude suggère, selon M. Howarth, que « l’industrie peut, lorsqu’elle est suffisamment motivée, produire du gaz naturel avec des émissions modestes ». Ce qui est, selon lui, une « bonne nouvelle ».
Ce n’est pas tout. L’affaire s’est compliquée par la révélation, par l’ONG Public Accountability Initiative, d’un conflit d’intérêts non déclaré. Les scientifiques auteurs de l’étude publiée dans PNAS – la plus favorable aux industriels – ont tous déclarés ne pas être en situation de conflit d’intérêts. Mais l’une d’entre eux, qui s’était présentée comme chercheuse à l’Ecole des mines du Colorado « est également salariée de Barree & Associates, une société de conseil en ingénierie qui offre une variété de services liés à la fracturation hydraulique », relève l’ONG.
Plusieurs études portant sur le même sujet sont actuellement en cours et devraient être publiées avant la fin 2014. Il sera alors peut-être possible d’y voir plus clair. Ou peut-être pas.
Stéphane Foucart
Journaliste au Monde