Divisés entre tractations pour des remaniements et blocage des bâtiments gouvernementaux pour obtenir des élections anticipées, ils misaient sur la mobilisation “d’un million” de protestaires le 8 décembre, contre “la vente de l’Ukraine à la Russie”. Quelle “médiation” et “valeurs” vient donc proposer la délégation de l’UE à Kiev ?
Ce sont les violences policières contre les premières manifestations “pro-européennes” qui ont changé l’ampleur des mobilisations le 1er décembre et accentué le discrédit du régime. Sentant monter la contestation jusque dans ses bastions de l’est du pays, russophone, le Premier Ministre ukrainien est venu le 3 décembre demander pardon pour ces “excès”, devant le Parlement, au nom du gouvernement et du président. Et il propose une commission tripartite (gouvernement, opposition et médiateurs européens) pour enquêter sur ces violences. Mais une partie de l’opposition prône de s’appuyer sur les mobilisations pour bloquer durablement les bâtiments publics – au risque de provoquer des affrontements – en espérant obtenir une chute du gouvernement.
Mais on est loin d’une nouvelle “Révolution Orange” - c’est à-dire de manifestants se reconnaissant dans les programmes des “candidats Orange” qui ont succédé au régime de Léonid Koutchma (1993-2004) portés par l’espoir populaire d’un régime non corrompu. Les désillusions ont été rapides, expliquant le retour par les urnes, en 2010, du candidat déchu en 2005 – Viktor Ianoukovitch.
La face cachée des discours “européens”
Mais c’est sur la base d’un programme affiché de “neutralité” militaire et d’équilibrage des relations internationales, qu’il fut élu – permettant de fait le rapprochement entre divers oligarques. Aussi les négociations en direction de l’UE ont-elle été menées par le parti au pouvoir, jusqu’à la rupture récente, à Vilnius. L’espoir des partis d’opposition d’emporter un vote de défiance du parlement le 3 décembre n’était donc pas irréaliste.
Derrière le revirement pèse, plus que le sort de Ioulia Timochenko dont l’UE faisait un casus belli, la situation socio-économique de l’Ukraine et la nature des accords. Le pays ne s’est relevé ni du choc de la désintégration de l’URSS et des privatisations ni de la récession de 2009. Son PIB par habitant est à 20% de la moyenne de l’UE, plus bas que la Roumanie et la Bulgarie. Le déficit budgétaire du pays s’est creusé depuis 2009 (près de 6% du PIB en 2010) et le déficit de sa balance courante dépasse -7% du PIB en 2012. Mais le parti au pouvoir craint une explosion sociale en cas de hausse des tarifs d’énergie : entre les offres russes et les hausses prônées par le FMI pour réduire les dettes, il a tranché – non sans demander, en vain, à l’UE d’intervenir auprès du FMI ou d’organiser une négociation tri-partite (Russie, Ukraine et UE). [2]
Mais, comme le soulignait La Tribune du 3 décembre, “Ukraine : ce que l’Europe refuse de voir” [3], ces réalités sont occultées avec un “glissement opéré par les dirigeants et la plupart des médias européens de la question du traité d’association avec l’UE que le président Viktor Ianoukovitch a refusé de signer vers une lutte pour la démocratie”.
L’enjeu démocratique est pourtant réel. Mais ailleurs. Les partis sont tous très discrédités – sauf peut-être celui de l’ancien champion de boxe Vitali Klitschko – précisément parce qu’il dénonce la corruption endémique et met l’accent sur quelques enjeux sociaux. Comme les Indignés de Bulgarie, le mouvement est à la fois critique des partis et de divers bords idéologiques : bleu et jaune sont tout autant les couleurs de l’Ukraine, que celles du drapeau d’une UE idéalisée ou encore celles du parti Svoboda/Liberté (sur fond bleu où se dressent trois doigts jaunes) qui commémore les bataillons SS [4], détruit une statue de Lénine ou demande l’interdiction du parti communiste – signes d’européanité démocratique ?
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Catherine Samary, 9 décembre 2013