La police cambodgienne a ouvert le feu vendredi 3 janvier à Phnom Penh sur une manifestation d’ouvriers du textile, causant la mort d’au moins trois personnes, dernier épisode violent d’une mobilisation qui dure depuis des semaines pour réclamer des augmentations de salaires.
Les tirs ont eu lieu alors que des milliers d’ouvriers bloquaient une route devant leur usine et que certains manifestants, armés de bâtons, de pierres et de cocktails Molotov, s’opposaient aux forces de l’ordre.
La police militaire a d’abord effectué des tirs de semonce avant d’ouvrir le feu directement sur les manifestants, selon un photographe de l’AFP. « Trois personnes sont mortes et deux ont été blessées », a déclaré à l’AFP Chuon Narin, commissaire adjoint de la police de Phnom Penh.
La mobilisation des ouvriers du textile, qui coïncide avec des manifestations de l’opposition réclamant le départ du premier ministre, Hun Sen, avait déjà conduit, en novembre 2013, à la mort d’une femme par balle.
« Cette fois, ils ont utilisé des fusils », a dénoncé Chan Soveth, du groupe de défense des droits de l’homme Adhoc, qui était sur place, assurant qu’une dizaine de manifestants avaient été grièvement blessés.
SOUS-ALIMENTATION ET SURMENAGE
Le porte-parole de la police militaire Kheng Tito a, quant à lui, indiqué que l’intervention avait été rendue nécessaire après que neuf policiers ont été blessés dans des incidents avec les manifestants. « Nous étions inquiets pour la sécurité, alors nous devions réprimer » la manifestation, a-t-il déclaré, notant que deux personnes avaient été interpellées. « Si nous leur permettons de continuer à faire grève, cela va devenir l’anarchie », a-t-il assuré.
Les manifestations du secteur textile, crucial pour l’économie cambodgienne, se sont multipliées ces dernières années pour dénoncer les conditions de travail. Les syndicats se plaignent notamment d’évanouissements collectifs, attribués à la sous-alimentation et au surmenage.
Et l’Organisation internationale du travail (OIT) soulignait récemment que les conditions de travail s’étaient détériorées. Au cœur des revendications de cette dernière mobilisation : le passage à un salaire minimum de 160 dollars par mois en 2014. Il est jusqu’ici de 80 dollars, et le gouvernement a promis récemment de le porter à 95 dollars dès avril 2014, ce que les syndicats jugent insuffisant.
Le secteur textile emploie quelque 650 000 ouvriers, dont 400 000 pour des sociétés qui travaillent pour de grandes marques internationales. Les ouvriers du textile se sont récemment alliés aux manifestants de l’opposition, qui réclament de nouvelles élections, estimant que celles de juillet ont été entachées de fraudes massives.
« CASSER LE MOUVEMENT DÉMOCRATIQUE »
« Nous déplorons ces violences, que nous condamnons avec la plus grande vigueur, a déclaré vendredi à l’AFP le chef de l’opposition Sam Rainsy. C’est une tentative inacceptable de casser non pas seulement une grève ouvrière, mais (...) le mouvement ouvrier dans son ensemble. Et, derrière le mouvement ouvrier, de casser le mouvement démocratique qui est en train de se développer au Cambodge. »
Le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) de Rainsy, qui manifeste quotidiennement dans la capitale, prévoit un grand rassemblement de trois jours à partir de dimanche. Après la « fusillade » de vendredi, « les gens sont certes choqués, mais ils sont plus déterminés que jamais à obtenir pour les ouvriers un salaire minimum décent et, pour tous les citoyens cambodgiens, de nouvelles élections », a insisté Rainsy.
Selon les résultats officiels, le Parti du peuple cambodgien (CPP), au pouvoir, malgré son plus mauvais score depuis 1998, a remporté 68 sièges aux législatives du 28 juillet, contre 55 au CNRP. Mais l’opposition a revendiqué la victoire et dénoncé un « coup d’Etat constitutionnel ». Ses députés boycottent l’Assemblée nationale depuis son ouverture, en septembre, notamment pour protester contre le fait que Rainsy, rentré d’exil juste avant le scrutin, n’avait pas été autorisé à y participer.
Hun Sen, 61 ans, au pouvoir depuis 1985, a promis d’y rester encore au moins dix ans. Malgré sa croissance rapide, le Cambodge reste l’un des pays les plus pauvres de la planète, et le mécontentement de la population augmente face à l’accaparement des richesses, notamment des terres, par les proches du pouvoir.
Le Monde.fr avec AFP