L’Anticapialiste : Mais qu’est-ce qui se passe à l’aéroport ?
Hans Oppliger : Dans un aéroport t’as deux types d’acteurs : ceux qui dictent le tempo et ceux qui doivent s’y adapter. Ici, c’est Genève Aéroport -la régie publique autonome qui emploie quelques 900 personnes-, Easyjet et Swiss. Et puis, il y a les autres sociétés, tributaires des conditions fixées par ces trois.
Spécialisées dans le catering et le handling, ces concessionnaires assurent l’embarquement et le débarquement, l’arrivée des bagages, la restauration à bord, le dégivrage... Ils s’appellent Dnata, Swissport ou Gate Gourmet. Chez ce dernier, le salaire médian de 2013 était de 4200 francs par mois.
4200 francs par mois, à Genève ?
Oui, mais les contrats sont souvent négociés avec des groupes qui opèrent dans des centaines d’aéroports. Alors, tu vois, le coût de la vie à Genève… Du moment où tu peux bosser ici et, grâce à l’avion, habiter au Portugal ou aux Pays Bas… De plus, ça peut créer des tensions : ceux qui habitent loin ont parfois intérêt à grouper un max leurs heures, à tout faire d’un coup, et ça ouvre la voie à la flexibilisation, aux longues journées pour tout-le-monde. Sans parler du fait que, avec de tels salaires, plus personne ne peut habiter à Genève, ce qui te rajoute du temps de transport à ton temps de travail. Et tout cela est accentué par la mise en concurrence des entreprises entre elles.
C’est-à-dire ?
Genève Aéroport, la régie publique présidée par un conseiller d’Etat a été la plus agressive en la matière. En quelques années, elle a externalisé les activités de nettoyage. Aujourd’hui, seule une douzaine de nettoyeurs.ses restent soumis au statut de la fonction publique. Par contre, le marché du nettoyage est partagé par 13 sociétés qui se concurrencent à coups de dumping.
Si tu prends la sécurité des passagers, c’est la même chose. Avant c’était la police cantonale qui l’assurait. Aujourd’hui ce sont des privés, Protectas et Custodio, filiale de Securitas, qui s’en chargent. Leur activité, qui était régie par la CCT des métiers de la sécurité, est aujourd’hui réglée par celle de l’hôtellerie. D’ailleurs, les conditions sont si mauvaises que, dans certaines boîtes, on menace les gens de les mettre « au tarif Custodio ». Tu vois un peu ?
Pourtant, le secteur de l’aviation est en plein développement, à Genève plus qu’ailleurs…
Oui, c’est un secteur en croissance rapide mais qui est aussi en surcapacité. Dès lors, la concurrence entre compagnies est exacerbée. Evidemment, à travers du prix du ticket, mais pas seulement. Ce sont aussi les cadences de travail qui sont péjorées. Avec la multiplication des vols court et moyen-courrier, des compagnies, comme Etihad qui vient s’installer, visent la rentabilité maximale. Ainsi, ce sont quatre vols par jour qu’on impose au personnel de cabine, pilotes et stewards. Quatre décollages et atterrissages en un jour, avec des journées de douze heures ! C’est bon pour la santé, ça. Et c’est d’autant plus facile que ce secteur n’est pas soumis à la loi sur le travail.
Evidemment, ces efforts pour réduire les « coûts unitaires » fait par les sociétés qui donnent le « la » se répercutent inévitablement sur les entreprises prestataires, Gate Gourmet, par exemple.
Car, si les prestataires n’accèdent pas à leurs exigences, c’est à la menace de partir ailleurs que les « décideurs » recourent. Combien de fois les collègues syndiqué.e.s se sont fait traiter d’irresponsables qui « font fuir le client », en l’occurrence Easyjet qui représente 43% des activités aéroportuaires à Genève.
D’ailleurs, ses bénéfices sont en hausse.
Et ce n’est pas seulement grâce au nombre de passagers en augmentation. C’est aussi sur des conditions de travail mondialisées, qu’ils construisent leurs bénéfices.
Plus difficile que jamais, donc la lutte à l’aéroport ?
Pressions, démoralisation et peur sont réelles. Il suffit que le SSP dénonce un abus, pour que l’encadrement accuse les syndiqués de faire courir la boîte à sa perte. Lors de la manifestation syndicale du 30 septembre devant l’aéroport, c’est par mail que certaines directions ont mis en garde le personnel contre toute velléité de s’y rendre…
Propos recueillis par Paolo Gilardi