On se souvient qu’en mai 1997, Dieudonné était candidat aux élections législatives à Dreux, où il s’opposait à la candidate du FN, Marie-France Stirbois. A l’époque, il représentait des valeurs universalistes, antiracistes. Personne ne le soupçonnait alors d’antisémitisme, encore moins de proximité avec une extrême droite à laquelle il était venu se frotter. Cela n’allait cependant pas tarder à changer.
En 2001-2002, ne parvenant pas à réunir les fonds pour un projet de film sur l’esclavage des noirs, il en tire la conclusion que les victimes de la Shoah bénéficient d’un « monopole de la mémoire » et que les « intérêts juifs et sionistes » dominent l’industrie du film. On peut parler à ce sujet de « concurrence victimaire » entre deux Crimes contre l’Humanité – l’esclavage et la Shoah.
Sa première sortie publique fracassante a lieu le 1er décembre 2003. Lors d’une émission télévisée, il entre sur le plateau déguisé en juif orthodoxe, levant le bras pour faire le salut hitlérien en s’écriant : « Isra-heil ! » Explication de texte : Dieudonné déclare qu’il s’était « récemment reconverti au fondamentalisme sioniste, enfin, pour des raisons qui me sont purement professionnelles… hum, spirituelles ». Ce propos, tenu sous couvert d’un sketch, sous-entend déjà qu’il existerait une domination « sioniste », non pas en Palestine occupée mais dans certains métiers en France.
A l’époque, Dieudonné compte encore de nombreux défenseurs, pour qui le point essentiel est qu’il semble condamner la politique israélienne. Courant 2004, un spectacle qu’il entend présenter à l’Olympia, à Paris, suscite une mobilisation violente des groupes de l’extrême droite pro-israélienne et communautaire (notamment la LDJ, « Ligue de défense juive », de sinistre réputation). A la même époque, il se fait frapper par quatre hommes lors d’un passage à l’aéroport, alors qu’il se rend en Martinique. Dieudonné réussit à son tour à mobiliser des soutiens, qui manifestent devant la salle parisienne le soir où était prévu le spectacle annulé. Cette mobilisation se fait en partie sur des bases communautaristes, et on entend Dieudonné prétendre : « On veut faire taire le seul Noir présent sur la scène humoristique française (…) 400 ans d’esclavage, et on n’a pas le droit d’en parler ! »
De Soral…
La même année a lieu le premier rapprochement de Dieudonné avec l’extrême droite, à travers l’écrivain Alain Soral. Dieudonné est candidat sur la liste « Euro-Palestine » qui se présente en Ile-de-France aux élections européennes de juin 2004 ; Soral la soutient. Les animateurs de la liste ne sauraient en général être taxés d’antisémitisme, et viennent souvent de la gauche. Mais ils tolèrent, au moins dans un premier temps, la présence de protagonistes « pas très nets » sur la question de l’antisémitisme, ce qui fera que le candidat Maurice Rajfus démissionnera de la liste.
Lors d’un meeting électoral tenu à Paris le 8 juin 2004, le candidat Dieudonné M’bala M’bala fait huer par la salle des personnalités connues pour leurs origines juives. Il prononce délibérément le nom de Dominique Strauss-Kahn – qui n’est alors qu’ex-ministre de l’Economie –, en « Strauss-Cohen », pour mettre bien en évidence sa filiation juive. Le 20 septembre 2004, Soral et Dieudonné participent ensemble à une émission télévisée (« Complément d’enquête »), au cours de laquelle Soral présente une justification globale de l’antisémitisme : « Ce n’est pas toujours la faute aux autres ! Si personne ne peut les blairer où ils mettent les pieds, depuis 2 500 ans, il doit bien y avoir une raison. » Dieudonné est assis à ses côtés et ne montre aucune réaction. Alain Soral prétendra plus tard que « l’animateur l’avait piégé ». Le groupe EuroPalestine se décidera alors, bien tardivement, à exclure Dieudonné et Soral.
Le 14 février 2005, Dieudonné fait à nouveau parler de lui, en déclarant lors d’une conférence de presse à Alger que la mémoire de la Shoah serait de la « pornographie mémorielle ». Il se trouve alors dans la capitale algérienne pour présenter son spectacle, intitulé « Mes excuses », qui regorge d’attaques contre de supposés représentants du judaïsme, présentés comme les profiteurs d’un statut de victime.
A Le Pen…
Le 11 novembre 2006, Dieudonné entreprend une démarche spectaculaire en se rendant à la « convention présidentielle » du Front national au Bourget, où il serre la main de Jean-Marie Le Pen. A l’abri des grands médias, cette nouvelle alliance avait cependant déjà produit des fruits quelques mois plus tôt. Du 27 au 31 août 2006, Dieudonné avait en effet participé à un voyage à Beyrouth, officiellement pour dénoncer la guerre menée par Israël au Liban contre le Hezbollah. Le groupe de voyage comprenait Alain Soral, Thierry Meyssan – alors l’un des diffuseurs les plus en vue des théories du « complot mondial », qui vit aujourd’hui à Damas et soutient le régime syrien – et Lionel Humbert, journaliste à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute. A leur retour, seul ce dernier accepte de publier leur compte-rendu de voyage. A partir de là, Dieudonné a clairement arrimé son char à l’extrême droite, plus précisément à ses courants « nationalistes-révolutionnaires » ou « rouges-bruns ».
Au FN, la nouvelle proximité avec Dieudonné ne fait cependant pas l’unanimité. Après coup, la présence de Dieudonné dans la campagne de Jean-Marie Le Pen pour l’élection présidentielle de 2007 sera même accusée d’être coresponsable de l’échec. Au soir du premier tour, le 22 avril 2007, au siège du FN, Dieudonné est présent… mais manque de se faire tabasser. Un groupe de hooligans du PSG tente de l’attaquer physiquement, et Dieudonné doit se faire protéger par le service d’ordre du FN. L’opinion publique apprendra plus tard que lors de cette même campagne, la direction du FN sous Jean-Marie Le Pen avait généreusement financé Dieudonné en sous-louant la salle de son théâtre la Main d’Or, à Paris 11e, pour une réunion de campagne, au prix fort de 60 000 euros.
Et Faurisson
Le 26 décembre 2008 au Zénith, Dieudonné invite le célèbre négationniste Robert Faurisson à monter sur scène, afin de lui délivrer le « prix de l’infréquentabilité ». De prime abord, on ne voit pas ce que l’octogénaire Faurisson vient faire dans un spectacle prétendument humoristique. Le seul « exploit » de sa vie consiste à avoir nié publiquement et avec acharnement, depuis 1978, l’existence de l’extermination des Juifs par les nazis. Le « prix » est discerné par un assistant de Dieudonné, habillé dans un pyjama rappelant celui des détenus des camps de concentration, affublé d’une étoile jaune sur la poitrine. Dans le public sont assis Jean-Marie Le Pen, son épouse et Bruno Gollnisch, alors vice-président du FN. Le 11 juillet 2008, Le Pen était devenu le parrain de Plume, l’une des filles de Dieudonné.
Mais une rupture avec le FN est consacrée début 2009 : Alain Soral quitte le comité central du FN et claque la porte du parti. Avec Dieudonné, il lance dans les élections européennes de juin 2009 une « liste antisioniste », où l’extrême droite est bien représentée. On y trouve ainsi Mickaël Guérin, à l’époque responsable régional du Front national de la jeunesse en Rhône-Alpes, comme des membres du groupe néofasciste « Renouveau français ». Ces figures voisinent alors avec des personnages plus ou moins hallucinants, venant d’autres horizons politiques. Le plus remarquable est peut-être Yahia Gouasmi, un Français d’origine algérienne, converti de l’islam sunnite au chiisme et grand soutien du régime iranien. Il dirige un « Centre Zarah », qui est en fait une secte de convertis chiites. Au cours d’une conférence de presse de la « liste antisioniste » tenue le 24 avril 2009, ce personnage déclare : « Derrière chaque divorce en France, il y a un sioniste ! » Antisémitisme classique, complotisme délirant et folie pure se côtoient...
Cependant, le lien avec le FN ne sera jamais totalement rompu : le 18 mai 2009, Jean-Marie Le Pen raconte ainsi que c’est lui que les leaders de la « liste antisioniste » avaient appelé pour demander conseil, lorsqu’ils avaient rencontré des difficultés avec la police. Au soir du scrutin européen du 7 juin 2009 – quand la liste Dieudonné-Soral obtient le maigre résultat de 1,83 % – le passage télévisé de Jean-Marie Le Pen est applaudi au théâtre de la Main d’Or où sont rassemblés les dieudonnistes.
Aujourd’hui, il n’est pas étonnant que l’électorat du FN soit coupé en deux quant à l’attitude à adopter vis-à-vis de Dieudonné. Alors que selon les sondages, de 71 % à 81 % des Français expriment une opinion négative envers lui, l’électorat FN est partagé entre 48 % de bonnes opinions et 48 % de mauvaises.
Le mariage entre les deux courants n’est sans doute pas pour demain. Mais, le projet de Soral et Dieudonné conduisant à rabattre vers le vote FN un secteur de l’électorat de confession musulmane (en flattant et tentant d’exacerber tous les préjugés anti-juifs, anti-homosexuels, etc.), des convergences ne devraient pas manquer de se manifester. Et vu du FN, le fait qu’il existe une autre force marquée « anti-système » et « politiquement incorrecte » contribue à libérer la parole : tout ce que dira le FN, dans un proche avenir, apparaîtra toujours comme « modéré » à côté de ce voisin-là…
Bertold du Ryon