François Favre – La QPC déposée par Schuepbach [1] a mis en évidence le fait que la fracturation hydraulique était utilisée dans certains cas de géothermie. Pensez-vous qu’il s’agisse de la même sorte de fracturation et que les dangers potentiels sont les mêmes ?
Séverin Pistre – Effectivement, la géothermie utilise un procédé voisin de la fracturation hydraulique, mais il comporte deux différences majeures liées à la nature de la roche impactée. D’une part, dans le cas de la géothermie, la roche est déjà en partie fracturée et on vise un élargissement des fractures. D’autre part, la composition chimique de la roche est totalement différente. En particulier, elle contient bien moins d’éléments naturels potentiellement polluants tels que métaux lourds, radionucléides, hydrocarbures, comme le méthane, et composés organiques volatiles. Ainsi, le procédé de fracturation n’implique pas les mêmes produits injectés. Les produits remontés (flowback) sont infiniment moins polluants et, par conséquent, les impacts environnementaux potentiels sont bien moins préoccupants.
En tant que scientifique, partagez-vous l’avis récent émis par l’Académie des sciences, en particulier l’affirmation selon laquelle les risques pourraient être maîtrisés avec une réglementation adaptée ?
Devant la Commission européenne, j’ai expliqué que la mise en place d’une règlementation plus stricte qu’aux USA peut effectivement réduire certains risques. En particulier : imperméabilisation des plateformes, cahier des charges plus sévères sur les bassins de stockage des produits et des flowbacks en surface, idem pour les tubages pour les rendre moins fuyards, réglementation sur le transport et la traçabilité des produits injectés et extraits, interdiction de certains produits mis en œuvre dans le procédé de fracturation hydraulique et des études d’impact environnemental réalisées aux USA. Mais avons-nous les outils méthodologiques pour réaliser ces études ? Sur quelles échelles de temps et d’espace ? À mon avis, la contamination peut apparaitre plus de 20 ans après l’exploitation, si on considère le temps de circulation des eaux souterraines par exemple.
Le respect de cette éventuelle réglementation plus contraignante pour les compagnies implique des moyens de contrôle (souvent peu compatibles avec les secrets industriels) coûteux sur des périodes longues. À titre d’exemple, le coût d’une analyse d’un seul échantillon d’eau est de l’ordre de 1 000 € (à multiplier par autant de points d’eau et autant d’années de suivi). Cela implique la réalisation de forages de surveillance des eaux souterraines… Un coût additionnel à répercuter sur le prix du gaz, qui diminuera sa compétitivité par rapport à d’autres énergies ?
Quoiqu’il en soit, certains risques pourraient effectivement être réduits, mais d’autres subsisteront.
Les pétroliers essaient depuis des années de réduire les fuites le long des parois de forage (manque à gagner) mais on sait que 6 % des forages fuient dès la première année (près de 50 % au bout de 30 ans). Les contaminants remontés en surface sous forme de boues poseront toujours problème puisque dans une grande majorité, on ne sait pas les traiter. Les contaminants et le méthane dispersés dans les couches profondes et susceptibles d’atteindre les ressources en eau ne pourront pas être contrôlés malgré cette éventuelle réglementation. Cela représente à mon avis un risque majeur qui n’est pas suffisamment mis en avant. Il demeurerait même si on réduisait très fortement les produits chimiques dans le procédé de fracturation hydraulique.
D’autres questions se posent : que peut la règlementation au sujet des séismes induits ? De manière générale, les conditions géologiques en France (bassin du Sud-est en particulier) sont plus complexes qu’aux USA en raison de la présence de failles profondes et de couches géologiques particulières, perméables (karst). Ces conditions sont très mal connues dès qu’il s’agit de grandes profondeurs et ne sont donc pas maitrisables. La question qui se pose est comment mettre en place une règlementation touchant un objet que l’on ne sait pas caractériser.
Propos recueillis par François Favre