Tandis que Paris se démène pour convaincre la Commission européenne de sa volonté d’en finir avec son problème d’excès de nitrates dans l’eau, la situation de certains points de l’Hexagone ne plaide pas en sa faveur. Sur le territoire d’Oursbelille, dans les Hautes-Pyrénées, par exemple, le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable de Tarbes-Nord (Siaep) prélève dans le puits de captage de quoi alimenter 23 communes et desservir 11 000 personnes. Il s’agit d’un point de ressources précieux, car il n’existe pas actuellement de dispositif de substitution. Il est l’un des 13 prioritaires de Midi-Pyrénées, sur les quelque 500 arrêtés à la suite du Grenelle de l’environnement.
Seulement, bien qu’il soit sous surveillance depuis 2009, le site d’Oursbelille ne parvient pas à contenir son taux de nitrates en deçà de la norme réglementaire des 50 milligrammes/litre. A l’automne 2013, à la suite de plusieurs dépassements – dont un de 55,5 mg/l en novembre –, les mairies concernées ont dû mettre des bouteilles d’eau minérale à la disposition des femmes enceintes et des nourrissons. Et le Siaep a reçu un courrier de la part de l’Agence régionale de la santé le rappelant à l’ordre.
UN DÉLAI GÉNÉREUX
Le président du syndicat intercommunal, Jean-Luc Lavigne, s’est alors tourné vers le préfet du département, lui demandant une autorisation de distribuer une eau contenant un taux de nitrate 40% supérieur au seuil réglementaire, le tout pour les trois prochaines années. Le 27 décembre a donc été officiellement signé un arrêté qui accorde à titre dérogatoire la possibilité de délivrer « une eau destinée à la consommation humaine présentant un taux de nitrates supérieur à 50 mg/l sans excéder 70 mg/l », jusqu’en décembre 2016.
A la préfecture, on assure que ces pics de pollution correspondent à de fortes pluies qui ont lessivé les sols cet automne. Pourquoi alors accorder un délai de trois ans, s’il ne s’agit que d’un aléa climatique exceptionnel ? Il semble que ce délai généreux corresponde au temps qu’il faudra au Siaep pour venir à bout du problème. Une sorte de date butoir qui lui est ainsi fixée afin d’obtenir du monde agricole des avancées tangibles sur ce dossier.
Le syndicat intercommunal est en effet en train de parfaire l’acquisition – entreprise en 2010 –, de vingt hectares de terrain à proximité immédiate du puits. Cela ne suffit manifestement pas pour préserver le site des pollutions diffuses agricoles. Au total, sur les 411 hectares définis comme aire d’alimentation du captage d’Oursbelille, 81% sont cultivés. Les grandes cultures céréalières – presque exclusivement du maïs - occupent 71% de cette superficie.
« Nous faisons beaucoup pour travailler en bonne intelligence avec les exploitants et la chambre d’agriculture, plaide Jean-Luc Lavigne. J’ai même accepté que des agriculteurs bio viennent nous parler de ce qu’ils font. Trois ans, ça paraît très très court pour avoir des résultats en retour. Surtout si on nous critique de toutes parts. » « Cela fait au moins une vingtaine d’années que cette eau présente des forts taux de nitrates, note de son côté Michel Geoffre, au nom de France Nature Environnement (FNE) Hautes-Pyrénées, qui connaît bien le dossier. D’une certaine façon, le texte préfectoral officialise le problème. »
« MANQUEMENT CHRONIQUE »
Dans son article 4, celui-ci prend la peine de préciser que la population devra à l’avenir être prévenue des épisodes de dépassements par affichage et dans la presse locale. Les analyses de la qualité de l’eau doivent en outre devenir plus fréquentes. La question hydrique est, cette fois, vraiment sur la table.
D’autant que FNE vient d’adresser au préfet un recours gracieux lui demandant de retirer son arrêté du 27 décembre qu’elle estime « laxiste ». Un courrier qui ressemble à un préalable avant une probable démarche en justice. Or le cas d’Oursbelille illustre le genre de petits arrangements avec l’esprit de la directive nitrates de 1991, qui valent à la France d’être mise en accusation devant la Cour de justice de l’Union européenne pour « manquement chronique » face à cette pollution tenace.
A l’échelle du bassin versant Adour-Garonne, les nitrates ne constituent cependant qu’un des symptômes du problème de l’eau. Car non seulement le maïs – une culture devenue omniprésente en raison des subventions européennes –, a besoin d’engrais azotés qui ruissellent vers la nappe sous-terraine, mais par ailleurs, il nécessite de gros besoins d’irrigation l’été, quand la sécheresse impose des restrictions générales de consommation pour la population.
Les mois prochains s’annoncent animés, puisque la révision du schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin versant Adour amont est sur le point de débuter. Ce plan d’action doit cadrer la politique de l’eau pour la période 2016-2020. Sa redéfinition, qui devrait être arrêtée d’ici 2015, est l’occasion de débattre de questions aussi sensibles que les volumes à prélever, les retenues prévues sur les cours d’eau (une dizaine pour le moment), voire de nouveaux grands barrages.
Martine Valo
Journaliste au Monde