Istanbul,
Le 2e congrès de l’ÖDP s’est déroulé dans un contexte de stagnation pour le parti. Cette ambiance morose est due à 3 facteurs : le résultat des élections législatives et municipales du 18 avril dernier, où l’ÖDP a dû se contenter de 0,8 % des voix (score bien en deçà de ce qui était attendu) ; les tensions internes qui paralysent le parti depuis près d’un an et demi ; enfin, le recul général des luttes sociales et du mouvement ouvrier depuis le début des années 1990.
L’offensive du capital a en effet affaibli l’opposition sociale. En une décennie, les partis du système (centre droit et gauche) ont également connu un sérieux recul au détriment de l’extrême droite, dont les deux partis (islamiste et fasciste) sont passés d’un total de 16,7 % en 1991 à un total de 35 % en 1999. Les sociaux-démocrates du CHP ont aussi reculé, de 29 % en 1989 à 8,5 % en 1999. Le mauvais score de l’ÖDP ne peut donc être imputé au seul « vote utile »vers les sociaux-démocrates.
A l’époque de la coalition droite-islamistes, l’ÖDP s’était illustré par une lutte active contre les gangs fascistes infiltrés dans l’appareil d’Etat. En février 1997, lors de l’escalade entre les militaires et les islamistes, il avait organisé des manifestations massives sur le thème "ni islamistes ni militaires ». Mais il a reçu les contrecoups de l’ambiance de dépolitisation qui a suivi la chute du gouvernement sous la pression des militaires.
C’est à cette époque qu’un débat a polarisé le parti au sujet de la tactique électorale, une minorité se prononçant en faveur d’une alliance avec les nationalistes kurdes d’Hadep, la majorité votant pour une participation indépendante de l’ÖDP. Ce débat couvrait une divergence plus profonde. Estimant que le mouvement national kurde développait une dynamique révolutionnaire, les camarades de la minorité étaient en faveur d’une attitude suiviste et quasi acritique à l’égard du mouvement kurde. Tout en considérant la question kurde comme un axe de lutte essentiel, la majorité était d’avis qu’il s’agissait d’une des questions démocratiques à régler en Turquie. Critique à l’égard de la direction du PKK, elle pensait que dans le problème se posait en termes nouveaux.
La minorité n’a pas tenu compte de la nouvelle ligne développée par le leader du PKK lors de son procès. Pourtant, Öcalan avait ouvertement pris position pour une solution ne remettant pas en cause le système politique de l’Etat turc. L’ÖDP s’est donc trouvé plongé dans une lutte interne âpre, mais avec un débat dépassé par le cours des événements.
Les camarades qui prônaient l’alliance avec Hadep n’ont pas participé à la campagne électorale de l’ÖDP. Le problème s’est de nouveau posé lors du congrès. Hadep propose en effet de créer un nouveau parti "de toute la Turquie ». Certains membres se sont d’ores et déjà engagés dans l’initiative. Pour la majorité, il est hors de question de prendre place dans un parti qui espère régler les problèmes de la Turquie avec l’aide du grand patronat !
C’est dans un climat un peu tendu que s’est achevé le congrès. La plate-forme majoritaire, « Socialisme pour les libertés » (à laquelle participent Dev-Yol et Yeniyol), a obtenu 61 % des voix (l’ÖDP compte à ce jour 30943 militants). Le courant minoritaire, la « Plate-forme de l’action socialiste », a obtenu 24 %. Un 3e groupe, »Le travail et la rose », a obtenu 7 %. Se plaignant de la tension entre les deux premiers groupes, il défend cependant des positions proches de la majorité sur la question kurde et les élections.
Il y a aujourd’hui une majorité claire au sein de l’ÖDP pour réorganiser et transformer le parti, le rendre apte à se recentrer sur un axe de classe. Mais la volonté politique est une chose, la capacité en est une autre : l’absence de nouvelles luttes sociales, la moyenne d’âge assez élevée des cadres et le poids des vieilles querelles et des défaites passées risquent de plonger le parti dans de stériles batailles de slogans. La nouvelle direction va devoir lutter pour éviter un tel gâchis qui serait une catastrophe, l’ÖDP étant aujourd’hui le seul grand parti marxiste et révolutionnaire de la région.
Note
1. Section turque de la Quatrième Internationale.