Le grand déballage et des tirs à découverts : Saâdani (FLN)-Toufik (DRS), Benhadid-Gaid Salah (état-major), Saïd Bouteflika-Hichem Aboud… à quelques mois d’une élection importante, sonne comme une crise majeure au sommet du pouvoir algérien. Des uns appréhendent une fin tragique. Des autres crient à la farce. Elle nous fait penser à ce que disait le philosophe allemand Hegel repris par Marx : tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. La première, continue Marx, comme tragédie, la seconde comme farce.
Ceux portés sur le tragique, dans le cas algérien, nous rappellent l’épisode des « 3B » dans le FLN de 54-62, Belkacem Krim, Bentobal et Boussof , qui, selon l’historiographie nationale, étaient les principaux faiseurs de décisions et seraient à l’origine de l’assassinat de Abane Ramdhane. L’analogie avec les « 3 A » qui viennent des horizons idéologiques différents et même opposés, Amar Saidani, du FLN, Amara Benyounes, rescapé du RCD et ministre de l’industrie, et Amar Ghoul, avatar des frères musulmans et ministre de « l’autoroute », sonne comme une farce.
L’opinion la plus optimiste souligne en revanche l’analogie avec la mort de Boumedienne en 1978. La maladie de ce dernier, puis sa mort, est tenue en secret pendant que les « clans » en présence se battaient pour sa succession. Entre Yahyaoui, présenté comme le représentant de la « gauche » du Pouvoir et la « droite libérale » représentée par Bouteflika, un troisième personnage a émergé pour faire consensus : Chadli Bendjedid. Ce dernier, inconnu du bataillon, donnait l’image d’un homme apolitique et désintéressé !!! Ce serait le feu Kasdi Merbah, l’ancien patron de la sécurité militaire, ancêtre de la DRS qui a tranché et a trouvé le consensus.
Les analogies avec la crise de succession d’aujourd’hui prêtent à sourire ! Entre les courants protagonistes, Sellal jouerait-il le rôle de l’homme désintéressé ! Porté sur l’humour, il passe son temps à sillonner le pays en qualité de premier ministre, pour vendre l’image d’un pays en bonne santé économique et « acheter » une paix sociale nécessaire pour l’équilibre au sommet ! L’homme du milieu ?
En réalité il y a rarement de milieu. Il y a les tendances lourdes qui définissent l’orientation en dernière instance. Il y a de ce point de vue une permanence qui structure le pouvoir algérien : la tradition Bonapartiste. La tradition politique française est passée par là. Le « Bonaparte » intervient comme arbitre. Il se veut au dessus des classes sociales en conflit, quand on est à l’échelle de la macro-histoire. Il se veut consensuel entre les protagonistes et les groupes d’intérêt du moment, quand on se situe à l’échelle de l’histoire immédiate.
L’histoire de la succession des « Bonaparte » algériens, petit ou grand, fort ou faible, nous a appris que cette évolution est accompagnée d’une manière structurelle par un processus d’accumulation de richesses et de capitaux au profit de nouvelles couches et classes sociales. Cet arbitre est investi d’une fonction principale et historique, celle d’organiser le transfert des richesses et de la propriété, initialement publiques et collectives, puisque arrachées par la violence révolutionnaire aux colons et devenues « biens vacants » aux premières années de l’indépendance. Ce processus est une autre permanence.
Bouteflika est-il l’homme qui a achevé le cycle ? Tout porte à le croire !
De ce point de vue, la guerre qui se déroule devant nous entre le DRS et la présidence, ou encore, selon certains analystes, entre l’état-major de l’armée et le DRS n’est que l’expression d’un conflit entre deux groupes d’intérêt : ceux qui se trouvent au centre du pouvoir et autour de l’exécutif, placés par le président, et qui sont au centre des affaires d’un coté ; ceux qui se retrouvent à la périphérie du pouvoir et des affaires et qui veulent une plus grande part du transfert, de l’autre coté. Mais chaque groupe se drape d’habits pour la galerie. Les uns au couleur de la fidélité au président, présenté comme l’incarnation de la stabilité et de la paix retrouvée. Les autres à la mode de l’alternance démocratique s’abritant derrière la casquette d’un général. Les attaques de Saidani n’ont évidement rien à voir avec la soit disant le pouvoir civil.
La fin de règne de Bouteflika semble sonner le glas du consensus bonapartiste. Un nouveau consensus se construit dans la douleur et la violence. Ils s’agit d’un transfert, ou d’un déplacement du pouvoir politique de la sphère sécuritaire vers la sphère économique et financière.
Mais, nous savons que la peste et le choléra sont aussi mortels l’un que l’autre. Seul un consensus social et démocratique qui se construit par un débat transparent et populaire autour d’une assemblée constituante souveraine reste le garant d’une légitimité et d’une stabilité politique.
Nadir Djermoune