Dans un rapport accablant portant sur l’impact des coupes budgétaires sur le système de soins grec, des chercheurs universitaires ont constaté une augmentation des taux de mortalité infantile, une montée en flèche des infections du sida parmi les consommateurs de drogues, le retour de la malaria ainsi qu’une pointe dans la comptabilité des suicides.
Des spécialistes d’Oxford, Cambridge et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) indiquent que le budget des hôpitaux publics grecs a été diminué de 25% entre 2009 et 2011 et les dépenses publiques pour les médicaments ont été coupées de plus de la moitié, de telle sorte qu’il est devenu impossible d’obtenir certains médicaments.
Une explosion du chômage dans un pays où l’assurance maladie est liée au statut de travail a conduit, selon les estimations, à ce que 800’000 personnes soient privées soit de l’accès aux assurances sociales étatiques [state welfare], soit de l’accès aux services de soins. De plus, dans certaines régions des organisations humanitaires telles que Médecins du Monde interviennent avec pour objectif de fournir des soins et des médicaments aux personnes vulnérables.
Le rapport, publié le 21 février 2014 dans le journal médical The Lancet, accuse le gouvernement et la communauté internationale – qui exigea des coupes budgétaires considérables afin de « renflouer » l’économie grecque lors de la crise de la dette entre 2010 et 2012 – d’être en situation de « déni » au sujet de l’ampleur des souffrances infligées au peuple grec.
« Les coûts de l’austérité sont principalement portés par les citoyens grecs ordinaires, qui ont été affectés par les plus grandes réductions budgétaires dans le secteur de la santé jamais observées à l’époque moderne en Europe » déclare l’auteur principal, le docteur David Stuckler de l’Université d’Oxford. « Nous espérons que cette recherche aidera le gouvernement grec à organiser une réponse pressante à ces crises humaines croissantes. »
La Grèce a été contrainte de réaliser des coupes massives afin de remplir les conditions de deux paquets de renflouement, totalisant 240 milliards d’euros, présentés par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, groupe connu sous le nom de troïka. Les dépenses en matière de santé ont été plafonnées à 6% du PIB.
Les auteurs indiquent qu’une analyse des chiffres de la statistique de l’enquête de l’Union européenne sur les revenus et les conditions de vie révèle un bond dans le nombre de personnes dont les besoins ne sont pas satisfaits. Les coûts des soins médicaux se sont déplacés de manière significative de l’Etat vers les patients, avec de nouvelles participations à leur charge pour les prescriptions et pour les visites de patients en ambulatoire qui sont passées de 3 à 5 euros.
Les programmes gouvernementaux de prévention des maladies ont également été diminués, aboutissant à la résurgence et au renouveau de maladies infectieuses qui étaient alors rares, y compris la malaria qui est réapparue en Grèce pour la première fois après quarante ans.
« Il y a un ensemble de maladies infectieuses qui ont été tenues à distance au cours des 50 ou 60 dernières années en raison d’efforts de santé public renforcés » indique à The Independent Martin McKee, professeur de santé publique européenne au LSHTM et l’un des coauteurs du rapport. « Si vous relâchez votre attention, ainsi que le montre l’exemple grec, les maladies peuvent très facilement “exploiter” ces changements. L’expérience de la Grèce démontre la nécessité d’évaluer l’impact sanitaire de toutes les politiques menées par les gouvernements et par l’Union européenne. »
Les programmes de prévention et de traitement destinés aux consommateurs de drogues illicites ont subi des coupes importantes, avec un tiers des programmes d’action dans les rues arrêté en 2009-10, la première année d’austérité. Le rapport indique que la réduction du nombre de seringues et de préservatifs distribués à des consommateurs de drogues connus a conduit directement à une pointe dans le taux d’infections du sida au sein de cette « communauté » – passant de seulement 15 en 2009 à 484 en 2012.
Bien que des données fiables sur l’impact sanitaire portant sur l’ensemble de la population nécessitent plusieurs années pour apparaître, l’Ecole nationale grecque de santé publique a rapporté une augmentation de 21% du nombre de mort-nés entre 2008 et 2011. Elle est attribuée à la réduction de l’accès aux services prénatals. La mortalité infantile a également augmenté de 43% entre 2008 et 2010.
Le taux de suicide est passé d’environ 400 en 2008 à près de 500 en 2011.
Alexander Kentikelenis, chercheur en sociologie à l’Université de Cambridge et l’auteur principal, déclare à The Independent que l’Etat « providence » grec a « échoué à protéger les gens au moment où ils en avaient le plus besoin ».
Il ajoute : « Ce qui se passe pour les groupes vulnérables en Grèce est assez choquant. Il est assez simple de mesurer ce qui se passe, il est beaucoup plus difficile de quantifier les implications sanitaires sur le long terme pour les chômeurs de longue durée et les personnes qui ne sont pas assurées […]. Laisser les problèmes sanitaires devenir hors contrôle fini par coûter beaucoup plus à l’Etat sur la durée. »
Le Ministère grec de la santé et de la solidarité sociale n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Etude de cas
La clinique communautaire métropolitaine de Helliniko à Athènes a été fondée en décembre 2011. Elle est tenue par des médecins volontaires et fournit des soins gratuits aux personnes qui ne disposent pas d’assurance médicale.
Christos Sideris, le cofondateur, déclare à The Independent : « La situation des soins médicaux en Grèce est, malheureusement, dramatique. Nous avons aidé plus de 4400 patients avec plus de 20’300 rendez-vous au cours des 26 mois de fonctionnement de l’hôpital. Nous nous occupons de plus de 300 enfants âgés de moins de trois ans et nous avons aidé 126 patients atteints de cancer à recevoir une chimiothérapie en collaboration avec un hôpital public. Cela n’est pas fait sur une base officielle, mais par les personnes qui y travaillent, chaque mercredi après les heures de travail avec des médicaments donnés.
Nous disposons de trois règles de base : nous n’acceptons de l’argent de personne ; nous ne menons pas de politique partidaire et nous ne faisons pas de publicité pour quiconque nous offre de l’aide. Nous n’acceptons de l’argent que de nos propres volontaires – il y en a 250 en ce moment. Ces volontaires font office de collecteur de dons et donnent l’argent à la clinique. La municipalité locale nous aide également. Tous nos médicaments sont des dons. Il y a plus de 40 cliniques communautaires et de pharmacies comme la nôtre en Grèce. Elles ne peuvent résoudre le problème : nous sommes ici uniquement parce qu’il y a un besoin à ce que nous existions. Nous ne pouvons pas nous substituer au système de santé public et nous ne le voulons pas. »
Charlie Cooper