Tomás Callegari et Martín Mosquera – Dans ses récentes déclarations, Marea Socialista s’est prononcée avec force et de manière explicite en faveur de la nécessité et de l’urgence d’un changement de cap pour le gouvernement de Maduro afin de réaffirmer la signification révolutionnaire du processus bolivarien, et cela face à la menace constante des secteurs réactionnaires et bureaucratiques en son sein. Comment caractérisez vous le niveau de politisation et de radicalisation des masses (tant de manière sectorielle que dans leur ensemble) dans la phase actuelle du processus ? Quel est le niveau d’intégration verticale du mouvement de masse et de quelle manière celle-ci est-elle utilisé par les secteurs les plus régressifs du gouvernement afin de contenir la lutte pour de plus grandes conquêtes ? Dans ce sens, quels sont éléments réels présents aujourd’hui dans les secteurs populaires qui permettraient de faire pression sur le processus dans le sens que vous indiquez dans vos déclarations ?
Carlos Carcione : L’absence physique du Commandant Chávez sur la scène politique vénézuélienne et, j’oserai dire, continentale, a un impact qu’il est encore difficile d’évaluer avec précision. Et cet impact heurte de plein fouet en premier lieu le peuple bolivarien, qui est le moteur du processus ouvert en 1989. Néanmoins, qu’il ait été frappé de plein fouet ne veut pas dire que ce peuple soit démoralisé, du moins pour l’instant, même s’il y a de la confusion.
Dans ce cadre, nous insistons, ainsi que de nombreux autres camarades, sur la nécessité de défendre l’héritage révolutionnaire de Chávez : la défense de la participation démocratique du peuple qui vit de son travail. Les conquêtes politiques, sociales et économiques de la Révolution démocratique bolivarienne. La défense d’un cap axé sur l’indépendance nationale et sur la transition au socialisme. L’appel à démanteler l’Etat bourgeois et la logique du capital, etc.
L’appel à ce que le président Maduro applique un « coup de barre » a deux sens. En premier lieu, parce que cela fait référence au dernier discours de Chávez, celui du 8 décembre 2012, où, face à la gravité de sa situation personnelle, il offrait une sorte de testament politique qui allait bien plus loin que la propre désignation de Nicolás Maduro comme successeur, désignation qui était certainement conditionnée au fait de « toujours gouverner avec le peuple et en obéissant au peuple ». Dans ce discours, il faisait une critique et une autocritique de son gouvernement et il soulignait une partie des questions à résoudre, comme par exemple la paralysie de la construction des Communes en tant que nouvelles forme de pouvoir populaire contre la structure de l’Etat bourgeois. En même temps, il défendait le droit à la critique comme un droit des révolutionnaires.
En second lieu, le concept de « coup de barre » signifie pour nous la nécessité d’un changement de cap, ce que nous débattions déjà avec Chávez. Il signifie que nous pensons qu’une orientation erronée est mise en œuvre par une partie du gouvernement, y compris Maduro et qu’elle va dans un sens opposé à la transition au socialisme. Par naïveté, paralysie ou complicité, on applique ou on permet l’application de contre-réformes qui vont dans le sens d’un démantèlement des conquêtes du processus bolivarien. Les dernières annonces sur le système de change (avec le dollar, NdT) approfondissent dangereusement cette orientation erronée.
Ceci étant dit, par rapport à vos questions concrètes je peux vous dire ceci :
a) Le processus de politisation du peuple bolivarien est très élevé. Il y a des expériences accumulées dans ces 15 dernières années qui, d’un part, on polarisé la société et, d’autre part, on positivement politisé ce qu’on appelle le chavisme. Il existe une conscience anticapitaliste diffuse mais réelle, tout comme des millions de personnes parlent de socialisme également de manière imprécise, bien entendu, mais on a pu en voir le résultat face aux mesures d’urgences prises en novembre dernier. Les gens ont immédiatement associé l’usure et la spéculation avec le capitalisme. De toute manière, on peut dire que dans le mouvement ouvrier et dans le mouvement populaire ou communautaire, ce processus est le plus enraciné, tandis que sa faiblesse principale réside dans la jeunesse, surtout parmi les étudiants universitaires et nous espérons que cette faiblesse ne soit que conjoncturelle.
b) Les luttes réellement existantes aujourd’hui sont celles menées pour défendre les conquêtes de la révolution qui sont attaquées. En premier lieu parmi les travailleurs, mais en général aussi parmi les secteurs populaires. Dans ce sens, l’intégration verticale que vous mentionnez ne fonctionne pas de manière efficace pour empêcher ces luttes, bien qu’il soit exact que la principale centrale syndicale joue un rôle de pompier du gouvernement. Mais ce à quoi on assiste, c’est à une extension des revendications et des luttes des travailleurs et d’autres secteurs qui, tout en étant isolées les unes des autres par le rôle joué par le syndicat, peuvent gagner et permettre la maturation du mouvement de masse et de ses secteurs les plus actifs et des éléments d’avant-garde. La récente fondation d’une Fédération indépendante des Travailleurs de l’Automobile est un exemple de cette dynamique.
c) Je vais vous donner un exemple. Au début de 2008, il semblait y avoir un processus de démoralisation ou d’éloignement vis-à-vis du processus, le symptôme était la défaite électorale de décembre 2007 lors du référendum pour réformer la Constitution. Il y a eu néanmoins une lutte ouvrière pour un contrat collectif, celle des travailleurs de SIDOR (entreprise sidérurgique, NdT), qui était la propriété de la multinationale Techint ayant son siège en Argentine. Cette lutte a affronté le gouvernement de Chávez lui-même qui, dans la personne de son ministre du Travail, avait donné l’ordre de réprimer le conflit, allant même jusqu’à envoyer la Garde Nationale. La majorité absolue de ces travailleurs étaient et sont toujours chavistes ou, comme eux-mêmes se définissent, des révolutionnaires. Et en 2013 ils ont voté pour Maduro et soutiennent son gouvernement, mais à ce moment là ils n’ont pas accepté sa politique de soutien à la direction de l’entreprise. Et pour atteindre les objectifs de leur lutte, le contrat collectif, ils ont forcé le gouvernement à nationaliser l’entreprise sidérurgique et ce fut la première nationalisation à chaud, en dehors du programme prévu, que Chávez a du réaliser.
Aujourd’hui la situation semble aussi marquée par la démoralisation. Mais selon nous, cependant, il s’agit plutôt de confusion et même de mécontentement face aux actes contradictoires du gouvernement. Un jour Maduro organise des négociations avec le patronat et le mois suivant, il intervient avec des forces militaires et civiles contre des chaînes commerciales et des entreprises productrices pour baisser les prix gonflés par la spéculation. Aujourd’hui il pratique une dévaluation masquée. Dans ce sens, nous pensons que la pression, que l’humeur sociale exercée dans la rue de mai à octobre derniers a été fondamentale pour que le gouvernement applique les mesures d’urgence qui ont changé le climat social et facilité la victoire électorale du 8 décembre.
Aujourd’hui, cette humeur sociale semble similaire à celle qui existait avant ces mesures, précisément parce que les actions positives du gouvernement n’ont pas été plus loin et cela se ressent dans le niveau de vie. Et parce que les nouvelles mesures qui sont annoncées vont à l’encontre du peuple qui vit de son travail. Nous avons confiance dans le fait que l’accumulation d’expérience, la volonté et les conquêtes obtenues, presque toutes par la lutte, vont s’exprimer en mouvement et par cette voie en pression qui va corriger les choses. Mais si l’orientation erronée n’est pas corrigée, nous pensons alors que la lutte « revendicative » se transformera en lutte politique.
Dans votre dernière déclaration, « Le processus bolivarien sans Chávez : 2013 année d’incertitudes, 2014 année de redéfinitions » [1], vous dites que la révolution bolivarienne est à la croisée des chemins, entre la possibilité de radicaliser le processus vers une transition effective au socialisme, ou une régression vers les formes classiques du nationalisme bourgeois latino-américain. Pourriez-vous décrire brièvement les traits généraux de cette situation ?
Nous analysons effectivement la situation comme étant à un carrefour. Et les alternatives que nous voyons sont : si on n’avance pas vers des mesures anticapitalistes et dans la transition au socialisme, c’est-à-dire de la révolution démocratique à la révolution économique et sociale (et avec ceci nous évoquons une dynamique), ce qui nous attend au final c’est la concrétisation de contre-réformes qui nous conduisent au modèle néolibéral, que ce soit de manière ouverte ou non. Autrement dit, que l’alternative au changement de cap et à l’approfondissement de la Révolution bolivarienne est une dépendance sans cesse plus accentuée du modèle extractiviste pétrolier, rentier, qui est absolument dépendant. Nous pouvons nous tromper, ou exprimer mal les choses dans notre déclaration, et bien que nous ne puissions pas pronostiquer quel type de régime politique surgira de cette tendance actuelle et des chocs qui se produiront, nous ne voyons aucun horizon de nationalisme bourgeois.
L’année 2014, et jusqu’à la moitié de 2015, sera une année sans élections en vue, sans la distorsion que provoquent les élections et dans laquelle la crise n’a non seulement pas été résolue mais s’aggrave encore. On peut déjà constater que les forces sociales qui incarnent les deux tendances sont en train de se heurter et que ce choc approfondi les redéfinitions des secteurs politiques, tant ceux du processus que de l’opposition. On peut voir qu’une redistribution des cartes politiques peut survenir, que ce soit celles de l’opposition de droite comme celles des forces qui se revendiquent du processus. Et il y a des symptômes qui indiquent une tendance au regroupement des secteurs radicaux du processus bolivarien.
Bien entendu, il s’agit encore de symptômes, mais on peut constater cette dynamique. Ce n’est que par une révolution copernicienne que le PSUV, dont le congrès est prévu pour les 26,27 et 28 juillet prochains, que par un tournant qui le démocratise, clarifie le programme dans ses objectifs anticapitalistes et le sorte de sa situation d’appendice administratif du gouvernement, ce n’est ainsi, donc, qu’il pourra inclure en son sein la gauche du processus.
On sait que le cas du processus bolivarien a donné lieu à de nombreux positionnements au sein de la gauche révolutionnaire. On pourrait schématiquement les classer en trois types : 1) une position acritique qui idéalise de manière romantique le processus et sa directions ; 2) une autre qui intervient au sein du processus à partir d’une perspective de soutien critique pour radicaliser ses secteurs progressistes et 3), une position qui s’attaque frontalement à sa direction en ne voyant aucun élément révolutionnaire. Comment évaluez-vous, en termes politiques et organisationnels, l’expérience de construction de Marea Socialista à l’intérieur du processus bolivarien à partir d’une perspective de soutien critique à sa direction ? Considérez-vous que cette position vous permette d’obtenir de meilleures conditions pour interpeller le gros des secteurs populaires ? Comment sont perçus les positionnements les plus sectaires ou anti-chavistes à l’intérieur du mouvement populaire et quelles sont ses possibilités de dialogue avec ce dernier ? Comment ces positionnements sont ils plus spécifiquement perçus au sein du mouvement ouvrier ?
Marea Socialista est un courant organique du processus bolivarien, il n’entre pas dans celui-ci de l’extérieur. Un processus, il est utile de le préciser, qui est très divers et pluriel du point de vue des courants de pensée et d’action qui agissent en son sein et c’est pour cela qu’il n’y a pas un parti unique. Même Chávez n’a pu, avec toute son énorme autorité politique, réunir en une seule organisation toute ces formes de penser et de culture. Le PSUV est né avec l’aspiration d’être le Parti unique du processus, le Parti Socialiste Unifié. Il est, et de loin, le plus grand parti du processus, mais il n’est que l’un d’entre eux.
La majorité des principaux dirigeants de Marea Socialista et bon nombre de ses cadres ont des années de luttes sociales et politiques derrière eux. Y compris depuis la période précédent l’arrivée au pouvoir de Chávez. Certains d’entre eux sont des combattants ouvriers à la longue trajectoire et tradition qui ont fait leurs premières armes comme jeunes dirigeants des grandes grèves des années 1970. D’autres ont participé au « Caracazo » (révolte populaire de 1989, NdT) et au processus politique et de luttes ouvert par ce dernier. D’autres ont eu une expérience dans l’une ou l’autre des organisations armées de guérilla. Ils ont tous, ensemble avec les plus jeunes, activement participé à la défense du processus pendant le coup d’Etat d’avril 2002 et contre le sabotage pétrolier. Même les cadres plus jeunes, ceux qui se sont seulement conscientisés depuis le gouvernement de Chávez, se forment dans les luttes sociales et politiques comme faisant partie de ce peuple, mais sans cesser de raisonner de manière critique.
Autrement dit ; nous sommes le produit de plusieurs décennies de luttes populaires, de travailleurs et même étudiantes et d’expériences de construction d’organisations politiques révolutionnaires distinctes mais qui ont débouché sur ce qui a pris le nom de Processus Bolivarien et qui a été indiscutablement dirigé par Chávez, et nous ne renonçons pas à faire partie de l’expérience de ce peuple. Au-delà des différences politiques, nous n’avons jamais cessé les critiques, les propositions alternatives et les débats avec le sommet du processus. Par exemple, en tant que courant interne du PSUV, nous éditons notre propre journal, même si le parti n’a pas d’organe officiel pour le moment. Nous ne cessons donc jamais de nous mettre en accord avec nos propres idées et débats, avec notre vision de la réalité et du socialisme pour lequel nous devons lutter, en interaction et en interpellant, comme vous dites, l’ensemble du peuple bolivarien, du moins jusque là où nos forces nous le permettent, mais aussi en apprenant nous-mêmes dans un rapport d’aller et retour avec ce peuple et son secteur le plus actif, radical et rebelle.
Ceux qui ont un problème pour dialoguer avec ce peuple sont ceux qui se sont positionné en rupture radicale, non seulement avec le parti de Chávez, ce qui aurait pu être légitime, mais aussi, et ceci est grave, avec l’ensemble du processus. Ils ont perdu toute possibilité d’interpeller, de dialoguer, d’influencer et d’organiser à un secteur important de combattants sociaux (et ils sont des dizaines de milliers) qui ont appris à croire dans la lutte pour le socialisme. Un socialisme encore en construction dans leurs têtes, c’est vrai. Mais un socialisme dont ils comprennent l’essence, c’est-à-dire qu’il est en première instance une lutte contre l’impérialisme, les capitalistes et la logique du capital, auxquels ils ajoutent lentement la lutte contra la bureaucratie de l’Etat.
C’est cette attitude, cette identité, cette conscience d’appartenir au processus qui a permis a Marea Socialista de progresser sur le terrain organisationnel et politique. Nous existons aujourd’hui au niveau national, nous sommes passés d’un courant de dirigeants syndicaux à un courant politique qui a connu une croissance par rapport à son secteur syndical et qui a également intégré des secteurs communautaires et des secteurs de la jeunesse qui étudie. Et en même temps, nos propositions ont gagné en respect et en influence, outre qu’elles se sont améliorées, c’est-à-dire en se faisant plus « réelles » grâce à cette relation de dialogue, d’aller et retour que j’ai déjà signalé. Et cela se passe dans le mouvement de masse comme dans les secteurs professionnels, d’intellectuels engagés et critiques, etc. On peut dire aujourd’hui que d’un point de vue politique Marea Socialista s’est faite une personnalité et que d’un point de vue organisationnel nous nous sommes consolidés en tant que courant, nous avons grandi en nombre et sommes plus forts aussi dans la construction et la formation de nos cadres. Tout cela, bien entendu, en termes relatifs.
Par contre, les secteurs de gauche qui ont rompu avec le processus, ou ceux qui ne l’ont jamais compris, sont vus politiquement comme faisant partie de l’opposition de droite. Ou, dans le meilleur des cas, ils ne sont pas pris en compte. Par exemple, la candidature présidentielle de gauche alternative à Chávez qui s’est présentée en octobre 2012 a obtenu 0,02% des votes. Elle ne s’est pas représentée aux présidentielles d’avril 2013. Et au sein du mouvement ouvrier, où il y a certains dirigeants syndicaux qui appartiennent à ce secteur et qui sont reconnus, ils agissent seulement syndicalement et libèrent leurs représentants pour qu’ils prennent leurs propres décisions politiques. Pour survivre, ils sont englués dans une déviation syndicaliste, en offrant le paradoxe d’être sectaires par rapport au processus et opportunistes par rapport à leur pratique de lutte. Espérons qu’ils réfléchissent et changent.
Il est probable que phénomène le plus riche de l’expérience bolivarienne est le processus de renforcement et d’organisation populaire qu’il a suscité pendant toutes ces années. Par rapport à cela, où en sont actuellement les expériences de contrôle ouvrier (à SIDOR par exemple) ou d’autogestion populaire dans les quartiers, comme les conseils communaux ? Quelle réalité et perspective a le le slogan de l’ « Etat Communal » ?
Effectivement, c’est une, bien que seulement une, des expressions importantes du processus. Je vais m’arrêter un peu sur le cas du contrôle ouvrier, qui est celui que je connais le mieux.
La zone de Guayana peut être considérée comme le laboratoire de cette expérience, qui s’est développée dans une moindre mesure dans d’autres secteurs. Il y a SIDOR, bien sûr, mais aussi l’ensemble des Industries Basiques. Là-bas, de mai 2009 jusqu’à juillet 2012, il y a eu une expérience fortement marquée et handicapée par les conflits entre les secteurs qui défendent le contrôle ouvrier et par la bureaucratie syndicale et étatique qui ne veut pas perdre le privilège énorme qui découle de l’administration discrétionnaire de ces grandes entreprises industrielles, par exemple par les contrats avec le secteur privé national et multinational.
Cette expérience se matérialisait dans deux formes organisatrices ; Les Ouvriers Présidents des entreprises et les Tables de Travail qui cherchaient à changer les relations de production hiérarchiques de type capitaliste par d’autres nouvelles en faveur de la transition. Le dernier Ouvrier Président a été remplacé à la moitié de l’année 2013 et depuis lors le gel de l’expérience s’est consolidé. De fait, de notre point de vue, il y a un recul. Le gouvernement cherche à renforcer la structure hiérarchique, bureaucratique et capitaliste des entreprises en nommant des militaires à leur tête. Les raisons sont multiples, certaines plus importantes que d’autres, mais cela excède largement le cadre de cet entretien. Nos camarades de Ciudad Guayana, qui font partie des secteurs qui ont impulsé l’expérience, sont en train de travailler à une vaste étude de systématisation qui sera prête dans quelques mois. Mais je peux déjà dire qu’il y a eu des résultats collatéraux positifs qui sont restés de cette lutte. On a par exemple quasiment totalement éliminé l’un des principaux problèmes qui existait dans ces entreprises : la sous-traitance et la flexibilité du travail de milliers de travailleurs précaires qui font désormais partie à part entière de leurs effectifs.
Le gel ou le recul du contrôle ouvrier ne signifie pas que tout a été perdu et qu’il faudra recommencer de zéro. De fait l’expérience initiée en 2009 était dans la continuité de la première expérience de ce type qui avait commencé en 2005 sous la forme de cogestion dans l’entreprise de transformation de l’aluminium ALCASA et dans le secteur électrique national. Ces expériences furent avortées en 2006-2007 mais ont laissé un énorme héritage qui a été totalement réutilisé et amélioré, vers l’autogestion. Des milliers de cadres ouvriers, de techniciens et de professionnelles formés dans ces entreprises ont travaillé ensemble et se sont disposés à entreprendre la transformation révolutionnaire qui était implicite dans le « Plan Guayana Socialista 2009 – 2019 » qu’ils ont eux-mêmes élaborés. Ils ont réalisé deux Congrès Nationaux, une dizaine de rencontres régionales et une grande quantité de travail dans les Tables de Travail des entreprises. Ces cadres sont toujours là, dans les entreprises, ils ne se sont pas totalement désorganisés. Mieux encore, la majorité d’entre eux ont progressé en tirant des enseignements de leurs erreurs qui sont, surtout, des erreurs d’appréciation politique. Ils sont plus conscients également de la nécessité d’aller à fond dans la bataille politique, qui ne se limite pas aux transformations dans la structure productive, dans les entreprises, qu’il faut aller aussi dans la voie de la transformation révolutionnaire de la nature de l’Etat.
Ainsi, tout comme la lutte qui a mené à la nationalisation de SIDOR en 2008 a été la source de l’expérience de 2009, qui reprenait à son tour en l’améliorant celle de 2005, notre expectative est qu’avec une nouvelle victoire dans une lutte cruciale cette expérience puisse se réactiver à un niveau supérieur. Et ces luttes auront lieu, parce que même à petite échelle la croisée des chemins se pose pour ce secteur productif clé dans le pays.
Par rapport aux secteurs populaires, aux communautés, et spécifiquement aux Communes, on a avancé dans le domaine d’un recensement national et dans l’inscription des Communes. Mais celles qui existent aujourd’hui sont toutes rurales et ce qui prédomine en général c’est une lutte sans pitié entre les paysans communaux et les vieux représentants du pouvoir des grands propriétaires ou de nouveaux secteurs qui aspirent au contrôle de la terre. Dans cette lutte, une énorme quantité de paysans ont été tués dans des crimes dans le plus pire style du sicariat et la majorité de ces crimes sont restés impunis. Le soutien financier et l’accompagnement étatique existent, on pu noter l’année passée un effort pour avancer, bien que les communautés signalent qu’il est insuffisant. Mais en dépit de ces difficultés et des risques, l’impulsion et la volonté de transformation des mouvements qui cherchent à construire les Communes ne s’est pas arrêtée.
L’expérience des Conseils Communaux, qui ont donné une forte impulsion à la démocratie participative et protagoniste, est en train de traverser une crise. Mais dans les communautés il y a la volonté et l’action pour en sortir. Par exemple, l’organisation communautaire pour l’auto-construction de logements de bonne qualité est l’un des trois piliers sur lesquels reposent les progrès de la Grande Mission Logement Venezuela.
Quelle est la situation des courants radicaux et révolutionnaires à l’intérieur du processus révolutionnaire ? Quels liens sont ils maintenus avec le reste des groupes anticapitalistes ? La Plateforme « Patria Socialista » est-elle capable de se constituer en un instrument politique au-delà des échéances électorales ?
Un profond débat politique a commencé dans la gauche du processus. Il est stimulé par la crise actuelle qui a des traits de guerre économique. Ce dont on débat encore aujourd’hui à l’intérieur de ces courants, c’est la nécessité d’avancer vers l’anticapitalisme. Et cela concerne surtout la sortie de la crise. Le débat peut être suivi surtout dans Aporrea.org, Rebelión.org, questiondigital.org, parmi de nombreux autres sites web. Lamentablement, les médias de masse, et y compris en particulier les médias publics, sont fermés à ce débat. Mais il existe. Et malgré la tentative de faire silence sur les positionnements plus radicaux, en septembre et octobre dernier on est parvenu à faire entendre ces voix. Les mesures d’urgence prises par le gouvernement reflétaient l’élaboration et les propositions concrètes des secteurs de gauche du processus, dont notre courant.
Marea Socialista souligne depuis 2010 la nécessité de l’articulation de la gauche du processus. Et nous travaillons à cela. Il y a eu à un moment quelques pas positifs. Cependant, la maturation d’une articulation supérieure à la simple unité dans l’action en faveur de mesures concrètes prend du temps. Une expérience d’articulation de portée programmatique requière des efforts qui impliquent non seulement l’élaboration de propositions communes mais aussi, et surtout, de la construction de confiance et de la volonté nécessaire des différents acteurs politiques. Ce travail a un rythme lent. En tous les cas, ce qui est important c’est de mener ce travail avec persévérance, loyalement et, surtout, avec patience. En ce moment nous percevons les premiers signes qui indique que cette volonté est en train de s’étendre à d’autres courants, groupements et même chez des dirigeants et des personnalités du processus. Dans les débats actuels, on peut constater des convergences entre différents secteurs qui, jusqu’à il y a à peine deux ans, avaient des positions opposées. Nous avons confiance dans le développement de cette tendance et nous continuons à œuvrer pour elle.
Patria Socialista est une plateforme politique qui est née pour soutenir la candidature du président Nicolás Maduro. Le moment était douloureux, difficile, complexe. La situation était dominée par l’incertitude. L’élection présidentielle était difficile. A ce moment là, avec un secteur très important et significatif d’intellectuels et de militants sociaux et politiques du processus, défenseurs d’une pensée critique, nous avons décidé de faire ce pas. Au milieu de l’énorme coup émotionnel qu’a signifié le décès du Commandant Chávez, nous avons parcouru le pays pour aider cette candidature qu’il avait propulsé et pour le faire avec l’instrument de la défense et de l’articulation de ses dernières propositions.
Depuis lors, nous poursuivons cette tâche qui s’est concrétisée dans un important séminaire nationale avec plus d’une centaine de spécialistes et de cadres les plus significatifs du processus dans l’économie, le pouvoir populaire, l’enseignement élémentaire et universitaire, le mouvement ouvrier, le modèle productif, l’écologie, la diversité sexuelle, les politiques de genre, le pétrole, les industries de base, la planification, les peuples originaires, etc. Ce séminaire a généré des propositions dans tous les domaines débattus et qui furent remises au Palais présidentiel à Miraflores. Des commissions se sont ensuite installées qui ont élaboré des choses sur toutes ces problématiques centrales. On a aussi organisé des forums dans presque tous les Etats du pays. On a organisé, avec la participation de centaines de cadres régionaux, une importante rencontre nationale de la jeunesse et une très bonne rencontre nationale de travailleurs. Des ateliers de formation, des écoles politiques, etc. Certains camarades de l’équipe promotrice et de la coordination nationale de la plateforme, articulés avec Aporrea.org, ont donné naissance à Aporrea Radio pour réaliser des programmes qui sont quotidiennement transmis à partir de ce site web. Avec cette description des tâches assumées par Patria Socialista, je veux souligner le fait que, de notre point de vue, cela va plus loin que l’accompagnement des campagnes électorales. La Plateforme a pris aussi l’initiative d’ouvrir le débat dont a besoin le peuple bolivarien et ceci est en plein développement.
Depuis un certain temps, Marea Socialista a initié un processus de dialogue et de rapprochement avec la IVe Internationale. Comment évaluez-vous ce processus ? Quelles possibilités y trouvez-vous pour la constitution d’un nouveau cadre international pour les courants anticapitalistes et révolutionnaires ?
Marea Socialista fait partie d’un courant latino-américain qu’elle anime ensemble avec le Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) d’Argentine, le MES/PSOL du Brésil, la Lucha Continua du Pérou et le MPU de Panama. Ce courant a des relations fraternelles avec des groupes et des collectifs de nombreux autres pays d’Amérique latine et dans d’autres continents. C’est comme faisant partie de ce courant que nous avons commencé, ensemble, le processus de dialogue et de rapprochement avec la IVe Internationale. Nous l’avons fait parce que nous pensons que l’articulation et le regroupement international des révolutionnaires est vital pour dépasser leur dispersion actuelle qui, dans de nombreux cas, est le produit du sectarisme et de l’auto-proclamation.
Nous voyons cela comme processus progressif dans lequel, au-delà des nuances et des différences, qui sont logiques et qu’il est sain qu’elles s’expriment, on puisse construire dans la diversité. Nous évaluons positivement les pas faits jusqu’à maintenant. Et nous espérons sincèrement que ces pas en avant, qui sont encore initiaux, serviront pour donner une forte impulsion à ce que nous pensons être une tâche urgente : la recherche de ce rassemblement international des courants anticapitalistes et révolutionnaires. Nous ressentons cela comme une responsabilité incontournable et ferons tous les efforts possibles dans cette direction, avec l’urgence qu’impose cette époque de crise systémique du capitalisme mondial.