« J’en ai la nausée. » Au siège de campagne de Danielle Simonnet, candidate du Front de gauche à Paris, les militants fulminent. Quarante-huit heures après le premier tour du scrutin municipal, c’est acquis : aucun accord ne sera trouvé avec la candidate socialiste Anne Hidalgo. Dans ces conditions, il sera difficile pour leur camp d’être représenté au conseil de Paris – comme il l’était jusqu’à présent, avec deux élus ex-PS ayant rejoint le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon en 2008.
Seule la liste du XXe arrondissement, conduite par Danielle Simonnet, s’est qualifiée pour le second tour, avec 10,36% des voix. Dimanche, il lui en faudra au moins 12,5% pour obtenir un siège à l’Hôtel de Ville. « Je vais les faire, assure Danielle Simonnet. On a quatre jours pour convaincre. Beaucoup de militants des autres arrondissements vont venir nous prêter main-forte. » En cas d’échec, le bilan de la municipale serait bien décevant pour le Front de gauche – lequel, amputé d’un PCF allié dès le premier tour à Hidalgo, repose essentiellement sur le Parti de gauche.
Très sévère à l’égard de la socialiste avant le premier tour, le camp Simonnet avait adouci le ton dans l’espoir de conclure un accord : « Son programme est un peu mou du genou, mais il y avait de quoi faire, assure Alexis Corbière, candidat dans le XIIe arrondissement. Nous n’avons posé aucun ultimatum, aucune revendication folle. Nous sommes ouverts à tout. » Ou presque. « Hidalgo prétend nous avoir tendu la main ; en réalité, elle nous a tendu une muselière », tranche Danielle Simonnet, qui ne donne donc aucune consigne de vote à ses électeurs hors du 20e arrondissement « Puisqu’on les méprise, il n’y a pas de raison qu’ils se déplacent. » Au risque, prévient-elle, d’une victoire de la droite dans les 4e, 9e, 12e et 14e arrondissement.
NÉGOCIATIONS EN CUISINE
Le désaccord est apparu dès la première − et unique − rencontre des deux camps, au siège du PS parisien, dans la nuit de dimanche à lundi. Menée par Alexis Corbière, la délégation du Front de gauche qui s’y rend compte six membres – mais pas Danielle Simonnet, officiellement au repos avant une interview à la radio quelques heures plus tard. En face, deux représentants du PS, dont le directeur de campagne d’Anne Hidalgo, Rémi Féraud, et deux communistes, dont leur porte-parole Ian Brossat. Première surprise pour les délégués du Front de gauche : les négociations se tiennent dans une cuisine exiguë, « entre trois cafetières dégueulasses, un aspirateur et des rouleaux de papier toilette », s’indigne Corbière. La photo des lieux sera rapidement diffusée sur Twitter.
« C’était le seul endroit disponible, assure Rémi Féraud. Dans les autres salles se tenaient les discussions avec les Verts. » La suite est un dialogue de sourds d’une heure et demie. Les représentants du Front de gauche réclament d’être représentés au conseil de Paris à hauteur de leur poids dans les voix de gauche, soit environ 10%. De son côté, le camp Hidalgo souhaite que le Front de gauche se rallie à son programme et promette de voter tous les futurs budgets municipaux, ce sur quoi les intéressés refusent de se lier : « On ne va pas s’engager sur des budgets dont on ne connaît pas le contenu, s’indigne Danielle Simonnet. Une assemblée, ça sert quand même à délibérer ! » Une troisième condition aurait été ajoutée par le PCF : la reconnaissance par la candidate du Front de gauche de l’échec de sa stratégie d’autonomie.
FRÈRES ENNEMIS
« Les communistes étaient très excités contre nous, très désagréables, rapporte Corbière. Je tiens à le dire : c’était les plus aboyeurs de la discussion. Ils craignent qu’un accord avec nous ne leur coûte quelques-uns des postes négociés avec le PS. Ils veulent aussi nous faire reconnaître que leur stratégie d’union était la seule bonne. Ils veulent nous châtier. » Goguenards, les socialistes comptent les coups entre les frères ennemis du Front de gauche. « Je n’ai jamais posé une telle condition, proteste Ian Brossat. J’ai juste dit que le scrutin dément l’analyste du Parti de gauche selon laquelle le seul enjeu du scrutin était de déterminer le rapport de forces au sein de la gauche. La vérité, c’est que Danielle Simonnet ne veut pas d’accord. »
Un avis partagé par Rémi Féraud : « Avant le début de la discussion, nous savions déjà qu’il n’y aurait pas d’accord. Si elle l’avait vraiment voulu, Simonnet serait venue et aurait pris les choses en main. Mais tout son discours de campagne visait à rendre impossible une telle entente − même si Alexis Corbière semblait, lui, en être demandeur. Ils ont fait un score très décevant parce que leur stratégie était erronée. Mais nous n’avons aucun doute que la plupart de leurs électeurs voteront pour faire gagner la gauche. »
Danielle Simonnet, elle reste convaincue de la validité de sa stratégie d’autonomie. « Beaucoup de gens pensaient qu’on ne pourrait même pas être présents dans tous les arrondissements, rappelle-t-elle. Et finalement, on représente 10% du total des voix de gauche. » Dans l’immédiat, cependant, le prix de cette stratégie est un fort isolement politique. La tête de file du Front de gauche intégrera peut-être le conseil de Paris. Mais faute d’accord avec le PS, et vu l’état des relations avec le PCF, elle risque d’être bien seule à y représenter « l’opposition de gauche ».
Dominique Albertini