Plutôt la droite que les communistes. A Villejuif, ville du Val-de-Marne aux mains du PCF depuis 1925, dont Georges Marchais fut le député de 1973 à 1997, les écologistes locaux ont franchi le Rubicon. La candidate EELV, Natalie Gandais qui a recueilli 10,4% des voix dimanche 23 mars s’est alliée, pour le second tour, avec le candidat (UMP) Franck Le Bohellec, (17,1%), l’UDI, Jean-François Harel (15,8%) et l’ex-PS, Philippe Vidal (10,6%). Ils affronteront au second tour la maire sortante Claudine Cordillot (PCF-PS) qui est arrivée en tête avec 32,7 %.
Pour faire tomber la forteresse communiste, « nous n’avions d’autre façon que de nous rassembler », plaide Mme Gandais. Alain Lipietz est le principal artisan de ce rapprochement. L’ex-candidat des Verts à la présidentielle de 2002, militant EELV à Villejuif, n’a pas hésité, au lendemain du premier tour, à se ranger sur la liste conduite par le chef de file de l’UMP dont le score était supérieur à celui des écologistes. Un pacte préparé de longue date que M. Lipietz a justifié dans un entretien au Journal du dimanche, mardi 25 mars. « Ici, la droite c’est le Parti communiste ! Depuis cinq ans, Villejuif s’embourbe dans la saleté et la délinquance. Ils bétonnent tout ce qui peut rester d’espaces verts. Les HLM sont laissés à l’abandon… Et l’équipe en place a laissé les narcotrafiquants s’installer dans la ville », expose l’ancien député européen.
UNE « ALLIANCE CONTRE-NATURE »
Cet accord avec la droite, inédit dans l’histoire du parti écologiste, a déclenché les foudres de la direction d’EELV. Dénonçant une « alliance contre nature », Emmanuelle Cosse, secrétaire générale d’EELV a suspendu Mme Gandais et M. Lipietz du mouvement et immédiatement accordé le soutien officiel de son parti à Claudine Cordillot.
Venue sur le marché de Villejuif, mardi, accompagnée de Jean-Vincent Placé, président du groupe EELV au Sénat, Mme Cosse s’est en retour attiré les huées de militants écologistes locaux proches de M. Lipietz, outrés de la voir aux côtés de la maire PCF. Certains ont ostensiblement déchiré leur carte du parti. « Voir les dirigeants de notre famille politique venir nous narguer aux côtés de Mme Cordillot que nous combattons depuis tant d’années était une provocation », explique la chef de file locale des écologistes, Mme Gandais qui a tenté d’arracher l’autocollant EELV porté par Daniel Breuiller, le maire écologiste d’Arcueil venu soutenir Mme Cordillot. « On avait l’impression d’être en plein dans une bouillie poujadiste », se désole cet élu de la ville voisine. M. Lipietz se défend de toute transgression des règles en rappelant que les statuts d’EELV prévoient que « la direction nationale n’a rien à dire » à « un groupe local qui décide en fonction de ses analyses et de sa connaissance du terrain de ce qu’il faut faire ».
Son embardée provoque l’ébullition sur les listes de discussion de son parti. Pour Yves Contassot, conseiller (EELV) de Paris sortant, « l’argument localiste mis en avant par Alain Lipietz n’est qu’un prétexte. Il est depuis longtemps animé par une détestation des communistes sans doute liée à sa jeunesse maoïste », décrypte l’élu écologiste parisien du 13e arrondissement. « Lipietz a aussi depuis longtemps décidé d’abattre l’actuelle direction d’EELV », glisse-t-il. M. Contassot se dit toutefois surpris que l’ancien député européen des Verts aille jusqu’à s’allier avec la droite : « Dans le parti, Alain a toujours condamné les alliances locales entre les Grünen allemands et la CDU », se souvient l’élu de la capitale. « Son choix est une erreur stratégique, car nos électeurs à Villejuif ne vont pas le suivre. Ce qui va du coup renforcer le PCF. »
L’ABSTENTION DES QUARTIERS POPULAIRES
M. Lipietz a toutefois reçu le soutien de Gilles Lemaire, secrétaire national des Verts de 2003 à 2005. A l’UMP, en revanche on a publié avec joie les bans du mariage avec les écologistes villejuifois : « Je n’ai essuyé aucune critique de mon parti », assure M. Le Bohellec qui a pris soin d’enlever le logo UMP de ses affiches pour le second tour mais n’a pas mis sa carte de militant dans sa poche. « Nous avions mis en place depuis plusieurs semaines les conditions d’une alliance avec les écologistes et nous avions ébauché un programme commun avec eux. Notre union citoyenne est une première en France. Villejuif peut être le laboratoire d’alliance entre des écologistes et l’UMP », se félicite ce chef d’entreprise villejuifois. A ses yeux, l’alliance est aussi une façon de faire barrage au Front national dont le candidat, Alexandre Gaborit, un lycéen de 19 ans, a recueilli 11,2% des voix.
Menacée par l’entente entre les écologistes et la droite, Mme Cordillot, maire (PCF) de Villejuif depuis 1999 dénonce un « bal des hypocrites ». Les « ex-Verts qui se sont alliés à la droite pour m’abattre ne sont pas de simples citoyens mais des politiciens de longue date », fustige-t-elle. « M. Lipietz, candidat depuis plus d’une vingtaine d’années à Villejuif et ses alliés ont des egos surdimensionnés et exploitent les aspirations égoïstes d’une partie de la population. Lui et ses alliés n’ont que mépris pour les populations modestes de Villejuif », contre-attaque la maire sortante qui intensifie, depuis dimanche, le rythme de ses porte-à-porte dans les quartiers populaires de la ville. Là où domine l’abstention.
Béatrice Jérôme
Journaliste au Monde