Le débat final de L’Aut’Journal entre son éditeur et le candidat de Québec solidaire dans Hochelaga-Maisonneuve porte sur la stratégie de conquête de l’indépendance. Le dirigeant du collectif de gauche péquiste, Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ-libre) débusque efficacement la paille dans l’œil Solidaire sans paradoxalement voir la poutre qui lui arrive en plein visage. Pierre Dubuc comprend le stérile carcan institutionnel dans lequel s’enferme Alexandre Leduc mais il n’arrive pas lui-même à en sortir. Finalement, ni l’un ni l’autre protagonistes n’arrivent à se libérer du piège de la gouvernance souverainiste à laquelle est condamnée toute solution institutionnelle d’accès à l’indépendance.
Le consensus de toutes les embrouilles
Comme l’affirme fort à propos Pierre Dubuc, la stratégie Solidaire de l’Assemblée constituante avec référendum est « angélique » c’est-à-dire qu’elle fait fi de l’histoire réellement existante. Cette histoire d’oppression nationale révèle un grossier interventionnisme fédéraliste allant du coup de la Brink’s à la menace partitionniste en passant par l’application de la loi des mesures de guerre en 1970 et la loi dite de la clarté de 2000 niant le droit du peuple québécois à l’autodétermination. En parlant, dans les années 1990, de « trou noir » et de « turbulences », Jean Charest, l’ex premier ministre Libéral, et Pauline Marois, l’actuelle Première ministre péquiste, faisaient preuve de plus de sens politique que Françoise David, porte-parole députée de Québec solidaire, pour qui tout rapport social, aussi antagonique soit-il, n’a comme solution que le consensus.
Rien de surprenant que la chef effective de Québec solidaire s’enferme dans le « rêve », dixit au second débat des chefs, pendant que le député Amir Khadir s’embrouille dans « l’indépendance si nécessaire mais pas nécessairement » et, récemment, dans « la souveraineté... n’est pas la séparation [mais] le renouvellement de l’unité du Canada. » Alexandre Leduc ne dit pas autre chose quand il écrit que « L’important est de récolter le projet le plus consensuel possible pour un nouveau pays. Québec solidaire respectera le choix de l’assemblée [constituante]. » Tous sentent bien, sans pouvoir l’avouer, que la rupture indépendantiste ne pourra pas être consensuelle y compris dans le sens de son acceptation par une loyale opposition. D’où les tentatives d’esquive.
La contradictoire et illusoire rupture institutionnelle de l’État canadien
Une stratégie indépendantiste respectant la continuité institutionnelle est une contradiction inhérente parce qu’elle veut se servir des institutions pour briser leur cadre constitutionnel de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 raffermi par le Statut de Westminster de 1931 et par la Constitution rapatriée de 1982 avec sa Charte des droits individuels. Une telle stratégie, pour réussir, suppose une crise terminale de l’État canadien, base socio-économique et politique de la bourgeoisie canadienne, semblable à celle des empires austro-hongrois et ottoman au sortir de la Première guerre mondiale ou à celle du bloc soviétique au tournant des années 1980-90.
Tout est historiquement possible mais il n’y a rien de tel à l’horizon. Le Canada reste une stable puissance impérialiste secondaire membre du G-7. La perspective d’alliance ÉU-Québec pour le démantèlement du Canada, une lubie de stratèges péquistes justifiant leur enthousiasme pour le libre-échange, a toujours été une chimère cachant un rêve, bien terre-à-terre celui-là, d’enrichissement bourgeois par l’exportation et par les investissements étrangers. L’engouement du gouvernement péquiste pour un accord de libre-échange avec l’Union européenne répète celui de jadis pour l’ALÉNA. Le Canada demeure plus que jamais l’allié indéfectible de l’impérialisme étasunien, ce qu’il est devenu depuis l’Accord d’Ogdensburg de 1940.
L’économie d’un projet de société mène à la catastrophe
Une telle comparaison est de toute façon boiteuse car l’effondrement de ces empires et bloc ne s’explique pas seulement, ni en dernière analyse principalement, par les rivalités inter-impérialistes mais par des mouvements sociaux internes dont les mouvements nationaux ne sont pas en reste. Si la guerre en a été l’accoucheuse, il a fallu un soulèvement arabe, même manipulé par la Grande-Bretagne, des mouvements nationaux surtout slaves, même manipulés par l’impérialisme étasunien, pour briser ces grands empires. Les résultats sont loin d’avoir été heureux. Les questions nationales non russe ont été le fer de lance de la fin de l’URSS tout comme celles non serbe celui de la Yougoslavie. Leur soutien par les ÉU ou l’Allemagne au bénéfice de bureaucraties nationales en voie de régressive transformation capitaliste ont abouti à des indépendances désastreuses pour les peuples en termes socio-économiques et souvent démocratiques.
Même dans les conditions favorables, si on peut appeler ainsi la déliquescence d’un État multinational suite à une guerre chaude ou froide, les peuples opprimés ne sauraient faire l’économie d’un mouvement de libération nationale qui ne soit aussi socialement émancipateur. Sans cette liaison organique des questions nationale et nationale, très présente lors du premier jaillissement de masse du mouvement national québécois lors de la Révolution tranquille des années 1960, le projet de société, comme on appelle au Québec l’orientation politique du mouvement national, en devient par défaut un copie-coller de celui de la société dominante. Comme l’État fédéral est en mesure de fortement réprimer toute menace dite séparatiste, il devient impossible de mobiliser la majorité populaire pour un projet qui à terme serait un pays répliquant le néolibéralisme canadien. La création d’un p’tit Canada s’avère un jeu qui n’en vaut pas la chandelle.
Seuls les Solidaires ouvrent la porte au projet de société
L’absence de tout avantage socio-économique combinée à de multiples inconvénients culturo-linguistiques expliquent que l’écrasante majorité de l’électorat non-francophone, environ 20% de l’électorat total, rejette d’instinct tout appui au PQ qui le leur rend bien avec son projet de charte des valeurs. Les hésitations qui tenaillent l’âme francophone prise entre le marteau répressif et l’enclume de l’humiliation nationale divisent l’électorat des de souche et assimilés en fonction de leurs coordonnées socio-économiques, géographiques et d’âges. Comment ne pas voir que le grand rassemblement libérateur, capable aussi de vastes sympathies populaires canadiennes et étasuniennes seules en mesure de paralyser l’interventionnisme, requiert un projet de société socio et éco-émancipateur.
À cet égard, le candidat Solidaire a raison d’insister sur la nécessité du projet de société de gauche que seul propose Québec solidaire à l’électorat dut-il s’inscrire dans une stratégie cul-de-sac. Les Libéraux entretiennent la peur des opprimés pour justifier le statu-quo profitable à la bourgeoisie. Le PQ, acquis à l’alliance entre le pot de fer patronal et le pot de terre syndical et populaire, cherche à analgésier cette peur et à faire accepter l’humiliation par une forte dose de xénophobie. Quant à la CAQ, elle a recours à la fuite en avant mêlée de revanchisme tant ethnique que contre les acquis sociaux de l’État providence, ce que les deux autres partis néolibéraux n’ont pas le courage d’avouer. Québec solidaire reste la seule porte d’entrée crédible vers cet avenir de libération nationale et d’émancipation sociale qu’appelait ce grand révolté d’Octobre 1970 et fondateur de ce courant politique il y a vingt ans dont est issu Québec solidaire même s’il en est qu’un succédané.
Un parti de la rue anti-austérité vers l’indépendance du plein emploi écologique
Pour rompre la digue de l’illusion institutionnelle, manque la compréhension et/ou la volonté de construire un grand et profond mouvement social bien au-delà du Printemps érable, à la hauteur du grand affrontement gréviste de 1972 entre le secteur public et l’État lequel n’a pas abouti sur le terrain politique faute de direction prolétarienne délivrée de l’idéologie nationaliste. Cette idéologie qui attache les wagons syndical et populaire à la locomotive bourgeoise sera encore une fois mise à l’épreuve en 2015 à l’occasion d’une négociation semblable qui s’annonce comme une grande offensive de profonds reculs quelque soit le gouvernement en place. Belle occasion pour Québec solidaire de se proposer comme le chef de file d’une contre-offensive anti-austérité annoncée par la manifestation des 10 000 du trois avril à l’initiative de l’ASSÉ, l’association étudiante la plus radicale qui était au cœur du Printemps érable.
Québec solidaire aura le choix de mettre le parti à la remorque des préoccupations parlementaires de sa députation, comme il l’a fait jusqu’ici, ou de mettre cette députation au service de la construction du parti de la rue. Ce recentrage ne pourrait faire autrement que de mener à une remise en question de la recherche du consensus parlementaire, même présente dans les débats des chefs, au profit d’une confrontation contre le fédéralisme néolibéral et ses bases patronales. Un parti-pris de confrontation créerait les conditions gagnantes pour faire tomber le voile du ratatinement constitutionnel de sa stratégie vers l’indépendance nationale. Verrait le jour une stratégie de grève sociale, un euphémisme québécois signifiant une époque concentrée de grèves politiques de masse, vers un projet de société anticapitaliste d’expropriation des banques et consorts et de sauvetage de la langue pour construire une société de plein emploi écologique.
Marc Bonhomme, 6 avril 2014
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