PCF en Seine-Saint-Denis : la chute
Dans le si médiatique 93, les élections municipales ont accentué le délitement de la banlieue rouge avec de nouvelles pertes de mairies communistes et apparentées. Retour en chiffres et dans l’histoire, avec une carte animée du département 2008-2014, un rapport de 2004 et un jeu de données.
Entre 2008 et 2014, le PCF a perdu six villes en Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Blanc-Mesnil, Bobigny, Saint-Ouen, Sevran, Villepinte) et en a gagné deux (Aubervilliers, Montreuil). En 1977, les municipalités administraient près de 80 % de la population départementale ; elles n’en administrent plus que 26 %.
Le nouveau recul s’inscrit dans une évolution de longue durée, qui a commencé en 1983. Quand le département se constitue, dans la seconde moitié des années 1960, l’hégémonie communiste est totale : en 1978, les sept députés du département sont tous communistes. Cela ne tient pas au hasard. Quand le pouvoir gaulliste redécoupe les départements de la Région parisienne, il s’attache à concentrer et à isoler dans un même territoire le cœur de la « banlieue rouge ».
L’évolution électorale de la Seine-Saint-Denis
Nous en sommes bien loin aujourd’hui. Par comparaison, le département du Val-de-Marne, où le face-à-face de la droite et du PCF est vigoureux dès la création du département, a mieux résisté que la Seine-Saint-Denis : les communistes administraient moins de 50 % de la population val-de-marnaise en 1977 et encore 34 % en 2014.
Pourquoi cette particularité ? Dès les années 1980, Paul Chemetov écrivait à Georges Valbon pour lui suggérer des réflexions et propositions pour Bobigny et la Seine-Saint-Denis. Il prenait ainsi part à la réflexion sur la Région parisienne qui commençait à se structurer, alors autour de « Banlieue 89 ». Paul Chemetov a eu la gentillesse de nous donner une copie de cette lettre qui est restée sans suite.
En 2004, j’ai réalisé un rapport sur l’évolution électorale de la Seine-Saint-Denis. Il avait été alors commandé par la fédération du PCF de la Seine-Saint-Denis. Il n’a fait alors l’objet d’aucune réflexion collective. À la relecture, on peut penser que c’est dommage. Un grand nombre de fragilités structurelles qui menaçaient l’implantation communiste y étaient décrites. Et quelques suggestions y étaient formulées, de façon très générale, pour une relance possible. Ce rapport était accompagné d’un important volume de données, éclairant l’évolution sociodémographique et sociopolitique du département.
Nous mettons ce rapport et ces données (voir les documents ci-dessous) à la disposition de celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire récente et à la vie de ce territoire attachant, caractéristique de l’évolution urbaine contemporaine. Il s’agit d’un rapport daté (2004), à un moment où les communistes étaient encore à la tête de l’institution départementale. Les données n’y sont donc pas à jour, et certaines formulations prospectives paraissent optimistes. Il est vrai que ce rapport d’analyse se voulait aussi une aide pour l’action.
Il partait du constat d’un département autrefois plutôt homogène, que l’évolution urbaine et la crise ont peu à peu déstructuré. Le processus de désagrégation, que cela soit juste ou non, pouvait être imputé à la force politique localement dominante, donc au PCF. Cette imputation défavorable était alors d’autant plus préoccupante que les bases communales de l’implantation communiste étaient fragilisées dans un grand nombre de communes, dont la typologie est esquissée.
Trois grands enjeux territoriaux
Le rapport, sans être alarmiste et fataliste, ne cachait donc pas les risques d’une déstabilisation maximale du fait communiste séquano-dionysien. Celle-ci profita d’abord à la droite, au début des années 1980, puis au PS à partir des années 1990, jusqu’à ce que la droite reprenne la main aujourd’hui.
Les recommandations suggérées portaient à la fois sur l’action publique et sur l’activité proprement politique. Il était ainsi proposé une dynamique politique nouvelle, alors que n’existait pas encore le Front de gauche. Cette dynamique tournait autour de trois grands axes : préciser les grandes lignes d’une ambition communiste départementale ; construire un mode de rassemblement cohérent, qui puisse permettre à des formations politiques, syndicales, associatives, et aux citoyens en général de participer ensemble à la construction de perspectives politiques départementales ; concevoir l’outil communiste qui soit à même de reconstruire du sens politique commun.
Il énonçait enfin trois grands enjeux territoriaux, autour desquels se noue la crédibilité de toute construction politique départementale. Le premier portait sur la gestion collective de la question de la petite couronne, pour ne pas laisser chaque territoire communal seul face au risque d’attraction parisienne. Le second consistait à raccorder le développement des trois pôles de développement excentrés (Plaine de France, Roissy, Marne-la-Vallée) à un projet départemental de développement, pour éviter la polarisation croissante du département. Le troisième portait sur la nécessité de repenser le centre du département, à l’écart des pôles de développement. Il n’est pas indifférent de noter que c’est ce centre, loin des pôles, qui a viré massivement au « bleu » depuis 2001.
Nous citons ici la conclusion de ce rapport :
« Au total, l’analyse électorale confirme l’extrême fragilisation de l’impact communiste en Seine-Saint-Denis. Pour une part, elle apparaît comme le versant politique d’une évolution difficile du département lui-même. En même temps, cette évolution n’a rien d’une fatalité. La Seine-Saint-Denis, défavorisée par l’histoire récente, n’est pas qu’une terre du mal-vivre. Elle est un territoire vivant, populaire, qui ne manque pas d’atouts. Mais ces atouts ne peuvent se déployer, ils ne peuvent prendre du sens positif que s’ils se raccordent à des dynamiques innovantes, mariant justice et efficacité. Ni la logique destructrice du libéralisme, ni celle de l’accompagnement social-libéral ne sont à même de les fournir. Il y a donc une place pour une vision et une ambition différentes, que les communistes peuvent contribuer à faire mûrir. Encore faut-il qu’ils veillent à ne pas tenir pour acquise la constitution, à défaut du « bantoustan rouge » originel, de poches réduites d’influence vivant plus ou moins sur le souvenir d’un passé glorieux. Mais cela suppose une volonté commune, une mise en commun des singularités, la recherche plurielle d’un avenir partagé. »
Dix ans plus tard, les questions posées par ce document restent d’actualité. Il n’est donc pas trop tard pour s’atteler à y répondre.
Roger Martelli, 3 avril 2014
P.-S.
Cela s’appelle un retard historique
Paul Chemetov a retrouvé dans ses archives une note adressée en son temps aux acteurs communistes de la région parisienne (la commission logement du PCF, Georges Valbon, qui est alors maire de Bobigny et président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, ainsi que d’autres responsables.). Il réagissait à un article paru dans le bulletin des élus communistes de Bobigny. C’était en 1987. « Banlieue 89 » était lancé. Et la question du Grand Paris était déjà en débat. Cette note est, elle aussi, restée sans suite.
PS : ce texte porte des traces de son temps. Il est aussi fait référence à un débat d’alors « faut-il encore construire des HLM ? » Paul Chemetov évoque une de ses positions de l’époque : conserver au logement populaire ses caractères et non les déguiser au risque d’un renchérissement et d’une perversion du logement social...
* http://www.regards.fr/web/pcf-en-seine-saint-denis-la-chute,7627
PCF aux municipales : la Bérézina… pas Waterloo
Pour mieux évaluer et analyser les résultats du scrutin pour les mairies communistes et apparentées, Regards propose une série de chiffres et de graphiques les concernant.
La défaite de la Bérézina, en Russie, ne fut pas l’acte final du Premier empire. Elle fut toutefois un signal. Napoléon Ier n’y vit qu’un effet de conjoncture. Il continua comme si de rien n’était. À l’arrivée, il y eut Waterloo. Depuis le début des années 1980, le PCF a connu quelques soirs de Bérézina électorale. Il peut encore éviter un Waterloo. Ce n’est pas de l’intérêt des seuls communistes. Même amputé, le trésor municipal communiste est le grand point d’appui territorial d’une gauche bien à gauche. Le faire vivre en gardant l’espérance de sa relance future devrait ainsi être l’objectif de tous ceux qui ne se résignent pas à une gauche d’abandon.
Mais le recul enregistré par les mairies communistes doit être interprété pour éviter sa reproduction. Et pour cela, il faut regarder la réalité en face, telle qu’elle est. Il ne suffit pas de déclarer que le recul de la gauche est de la responsabilité du gouvernement socialiste, même si celle-ci est décisive. Pour analyser et redresser la barre, partons donc des chiffres réels. Quelques-uns ont été fournis sur le site de Regards. En voici quelques autres.
1. Les communes de plus de 1.000 habitants
Les analyses précédentes, présentées sur le site de Regards, portaient sur les villes de plus de 3.500 habitants. Le tableau ci-après porte sur les communes de plus de 1.000 habitants, dont le maire était considéré comme communiste ou apparenté. L’échantillon porte ainsi sur 363 communes, soit la moitié du total des maires de 2008 (726). Le fichier utilisé est celui établi en 2008 par l’Association nationale des élus communistes et républicains. C’est en comparant ce fichier avec l’état au soir du second tour que les tableaux suivants ont été préparés.
En première analyse (sous réserve de vérifications ultérieures), le nombre de pertes s’élèverait à 103 et les gains à 9, soit un déficit de 94 communes (27 % du total de départ). La ventilation par taille de commune (tranches de nombres d’habitants) est la suivante, avec pour chaque tranche une régression de 25%.
Au total, sur l’ensemble des municipalités (de moins de 1.000 habitants comprises), les pertes de 2014 pourraient s’avérer parmi les plus importantes depuis trente ans. Entre 1983 et 1989, le PCF avait perdu la gestion de 336 communes (23 % des effectifs initiaux). Il en a perdu 251 (22 %) au scrutin de 1995, 87 (10 %) à celui de 2001 et 61 (8 %) à celui de 2008.
Le décompte pour 2014 de la totalité des communes de moins de 1.000 habitants n’a pas été fait ; pour l’instant le déficit se situe autour de 90-95 pour les communes de plus de 1.000. Si la tendance est la même sur les petites communes, la perte tournerait autour de 25 %.
2. Le cas de l’Île-de-France
La rétraction de l’espace municipal a été particulièrement sensible en Ile-de-France. Le graphique ci-après illustre le phénomène. On y indique le pourcentage de la population administrée par un maire communiste ou apparenté en 2008 et en 2014.
Évolution du PCF depuis 1977 en petite couronne
1983 : 8 pertes (Chatillon ; Levallois-Perret ; Sèvres ; Gagny ; Montfermeil ; Neuilly-Plaisance ; Rosny ; Joinville)
1989 : 10 pertes (Antony ; Le Plessis-Robinson ; Aulnay ; Dugny ; Noisy-le-Grand ; Villepinte ; Limeil-Brévannes ; Orly ; La Queue-en-Brie ; Villeneuve-Saint-Georges)
1995 : 2 pertes (Clichy-sous-Bois ; Sevran)
2001 : 7 pertes (Colombes ; Drancy ; L’Ile-Saint-Denis ; Pantin ; Romainville ; Arcueil ; Villeneuve-le-Roi) et 2 gains (Sevran ; La Queue-en-Brie)
2008 : 4 pertes (Aubervilliers ; Montreuil ; Noisy-le-Sec ; Pierrefitte) et 2 gains (Villepinte ; Villeneuve-Saint-Georges)
2014 : 7 pertes (Bagnolet, Blanc-Mesnil, Bobigny, Saint-Ouen, Villejuif, Sevran, Villepinte [1]) et 2 gains (Aubervilliers, Montreuil)
Roger Martelli, 2 avril 2014
Notes
[1] Sevran et Villepinte n’avaient plus de maire communiste ou apparenté avant l’élection 2014, mais il était classé comme tel en 2008
* http://www.regards.fr/politique/pcf-aux-municipales-la-berezina,7626