« Qu’est-ce que c’est que ce titre à la noix ? Tanuro perd la boule ! Le voilà qui pose des questions carrément idiotes ! Il faut évidemment augmenter la quantité d’énergie produite avec des sources renouvelables, car cela permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Où est le problème ? N’est-ce pas ce dont nous avons besoin pour sauver le climat ? N’est-ce pas ce pour quoi Tanuro lui-même plaide à longueur d’articles ? »
Eh bien, cher-e-s (é)lecteurs et (é)lectrices, la chose n’est malheureusement pas si simple. C’est ce que montre par exemple la campagne « Jobs4climate » lancée fin mars par les syndicats et les associations environnementales regroupés dans la « Coalition climat » (sur laquelle je reviendrai dans un deuxième article). Et c’est pour attirer votre attention sur la difficulté que j’ai adopté ce titre qui, je le concède, est un tantinet provocateur…
C’est quoi le « driver » ?
La question qui se pose est de savoir si la transition énergétique doit être guidée en premier lieu par les investissements verts ou par les réductions d’émission (en franglais on poserait la question : c’est quoi, le « driver » de la transition ?). Je plaide pour la deuxième solution parce que c’est le seul moyen d’intégrer la contrainte climatique. Voyons ça de plus près.
Avant tout, il faut souligner que, dans cette discussion, l’expression « contrainte climatique » doit vraiment être prise au pied de la lettre.
La concentration atmosphérique en gaz carbonique augmente actuellement de 2% par an environ (deux fois plus vite qu’au cours de la décennie ’90, en dépit des sommets des Nations Unies, de la Convention cadre, de Kyoto et tout le frusquin). Le Professeur Kevin Anderson, Directeur du Tyndall Center on Climate Change Research, estime que ce rythme nous place sur une trajectoire qui mène tout droit à une hausse de température de 6°C à la fin du siècle (par rapport à la période pré-industrielle).
Vous avez bien lu : pas 2°, pas 3°, pas 4° : 6°C.
« The level matters »
Selon Anders Levermann, un des « lead authors » (désolé pour le franglais, j’ai décidé d’en abuser, pour… le fun ) du chapitre « niveau des océans » dans le quatrième rapport d’évaluation du GIEC, toute hausse de température de 1°C entraînera une élévation de 2,3 mètres du niveau de la mer, à l’équilibre. 6°C équivaudraient donc à 13,8 mètres.
Vous avez bien lu : pas 0,5m, pas 1m, pas 2m : 13,8 mètres.
Ici, en général, il y a un « non believer » (eh oui, franglais) dans l’assistance pour s’esclaffer bruyamment et commencer à faire son malin :
– 13 mètres ? Pas possible ! Et d’abord, ça veut dire quoi, « à l’équilibre » ?
– Cela veut dire : quand le bilan énergétique de la Terre sera à l’équilibre.
– Et ça prendra combien d’années, ça ?
– Mille à deux mille ans.
– Ah ! alors on a tout le temps, où est le problème ?!…
– Tout le temps de voir monter les eaux, ça oui (j’ai envie d’ajouter « crétin » – en français ! – mais je me retiens) parce que le processus sera impossible à enrayer. Et c’est là qu’il est, le problème : à une concentration X de CO2 correspondra un réchauffement de Y° qui entraînera inévitablement un hausse de Z mètres. I-né-vi-ta-ble-ment. C’est ça que ça veut dire « à l’équilibre ».
Bon, le gars est mouché, je peux reprendre le fil du raisonnement. Pour me débarrasser du « non believer », j’ai répondu qu’on aurait tout le temps de voir monter les eaux. C’est exact, mais elles pourraient quand même commencer par monter d’un mètre ou plus d’ici la fin du siècle, ce qui poserait déjà un sacré problème… Cependant, le point clé c’est que, pour limiter la catastrophe au maximum, on n’a pas le temps. Mais alors là, vraiment, pas le temps du tout, du tout.
2°C carbon budget
Je continue à suivre la démonstration de Kevin Anderson : depuis la révolution industrielle, on a envoyé environ 500 Gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère. Pour avoir deux chances sur trois de rester sous les 2°C (4,6 mètres !), on peut encore ajouter 1100 Gigatonnes, pas une de plus. C’est ce qu’on appelle le « 2°C carbon budget » (ce p… de franglais a l’avantage d’être concis. En français ça donnerait : « le budget carbone disponible pour que la hausse de température ne dépasse pas 2°C »).
Au rythme actuel, ce « budget carbone » mondial sera épuisé en 2032. Autrement dit : au-delà de cette date, il ne sera plus question de brûler le moindre litre de pétrole, la moindre tonne de charbon, le plus petit mètre cube de gaz…
A ce point du raisonnement, souvent, une nouvelle objection surgit. Elle n’est pas agressive comme la précédente mais traduit néanmoins le même scepticisme, le même refus plus ou moins conscient d’admettre la gravité de la situation. Je l’ai déjà entendue souvent de militants de gauche qui se disent tout à fait conscients des enjeux écologiques mais qui ne parviennent pas à en tirer les conséquences. Je reproduis le dialogue :
– 1100 GT ?! vous dites vous-mêmes que c’est deux fois plus que depuis la Révolution industrielle… on a donc amplement de quoi réaliser les investissements verts en utilisant pour cela les combustibles fossiles. En plus, ça relancera l’économie et ça créera de l’emploi. C’est du « win-win » (saleté de franglais !). Il n’y a donc aucune de raison de fiche la pétoche aux gens…
– Sauf que le budget carbone de 1100 GT est un budget global. Il est à partager entre pays du Nord et du Sud, en fonction de leurs responsabilités respectives dans le réchauffement. Admettons que les seconds, pour se développer, puissent encore brûler des fossiles à tire-larigot pendant dix ans, avant de réduire leurs émissions de 7% par an à partir de 2025. Il faudrait alors, pour ne pas dépasser le « 2°C carbon budget », que les pays du Nord commencent tout de suite à réduire les leurs d’au moins 11% par an.
– Et alors ? si on investit massivement dans les renouvelables, ça doit marcher, non ?
– Non, parce que ces investissements supplémentaires nécessitent d’importantes dépenses supplémentaires en énergie et que cette énergie, comme vous l’avez dit, est aujourd’hui à 80% d’origine fossile, donc source d’émissions supplémentaires.
– Donc, pour sauver le climat, vous recommandez… de ne pas faire d’investissements verts, c’est ça ? Bravo !
– Non, ce n’est pas ça. Il faut en effet réaliser de grands, de très grands investissements. Mais il faut le faire en respectant dès maintenant l’indispensable réduction annuelle drastique des émissions. Pour cela, il faut un plan. Sinon, paradoxalement, ces investissements pourraient contribuer à la catastrophe.
Là, cher-e-s (é)lecteurs et (é)lectrices, de deux choses l’une : ou bien vous êtes largué-e-s et je dois pondre un autre article, ou bien vous avez compris pourquoi le « driver » de la politique climatique doit être la réduction des émissions, et pas les investissements verts (ou la proportion d’énergie issues de sources renouvelables, ça revient au même).
Bon. Réfléchissez bien là-dessus. Je reviens dans quelques jours vous dire quel est, à mon avis, le problème avec la campagne « Jobs4climate » de la « Coalition climat ». Et si vous avez été largué-e, n’hésitez pas à me le dire. Je resterai discret, promis !
Daniel Tanuro