Poids de traditions tribales ou claniques, impunité des « crimes d’honneurs », pressions exercées par la montée en force du fondamentalisme politico-religieux... Les femmes doivent au Pakistan se battre sur plus d’un front et sous plus d’une forme pour défendre leurs droits. La bataille judiciaire de Mukhtar Mai, après le viol collectif dont elle a été victime, et l’organisation de courses de marathon mixtes illustrent deux facettes de ce difficile combat.
Le combat judiciaire de Mukhtar Mai
Une longue bataille judiciaire se poursuit, au Pakistan, après le viol collectif dont Mukhtar Mai a été victime en 2002. Quatorze personnes avaient été condamnées (dont six à la peine de mort) par le tribunal de district, avant d’être toutes (sauf une) libérées par la Haute Cour provinciale de Lahore. « Faute de preuves » diront les juges, alors qu’il y avait quelque 150 témoins directs...
Fin juin, au vu de l’émotion provoquée dans le pays et à l’étranger par cette mesure de libération, la Cour suprême du Pakistan a décidé la remise en détention des coupables. Elle a aussi élargi les procédures judiciaires. Le viol collectif avait en effet été ordonné par le Conseil des anciens (panchayat) du village de Meerwala. Il s’agissait de punir la famille en condamnant l’une de ses femmes pour prix d’une faute dont était accusé un jeune frère de 13 ans : avoir (soi-disant) courtisé une fille d’une tribu (ou caste) plus élevée. Il s’agissait de « restaurer l’honneur de la tribu ». Pour faire bonne mesure, une fois violée, Mukhtar Mai avait été montrée dénudée à tout le village.
Ce combat a gagné une forte dimension symbolique. Une jeune fille, non mariée et illettrée, appartenant à une caste inférieure, a décidé de se battre contre plus riche et plus puissant qu’elle, plutôt que de se taire... Elle a s’est aussi engagée dans un travail d’éducation des enfants de son village. Pressions et menaces n’ont cependant pas manqué. Le général Pervez Musharraf, chef d’Etat, y a lui-même contribué en lui interdisant de sortir du pays, alors qu’elle était invitée à témoigner aux Etats-Unis. Le gang de violeur était libéré, alors que, humiliation supplémentaire, la victime voyait son passeport saisi. Il ne fallait pas, a expliqué le président pressé de questions par les journalistes, que l’image internationale du Pakistan soit ternie par toute cette affaire... Le parti au pouvoir a carrément accusé celles et ceux qui soutiennent Mukhtar Mai d’acte anti-patriotique et une partie de la presse lui a emboîté le pas.
Si le cas de Mukhtar Mai reçoit un tel écho, c’est aussi qu’il est loin d’être unique. Selon la Commission des Droits humains du Pakistan (HRC, indépendante), durant les sept premiers moins de 2004, au moins 151 Pakistanaises ont subi des viols collectifs et 176 ont été assassinées dans le cadre de « crimes d’honneurs ».
Marathons mixtes
Cette année, le combat pour le droit des Pakistanaises à l’espace public a pris une forme sportive. Des courses de marathon mixte ont été organisées — aux risques et périls des participant(e)s. A Gujranwala, en avril, le marathon a été attaqué par les milices islamiques. Le 14 mai à Lahore, la police est intervenue avec beaucoup de brutalité, en particulier contre les femmes qui menaient la course en tête. La répression a pris des formes typiquement sexistes, les forces de l’ordre tirant les marathoniennes par les cheveux, les couvrant d’insultes ordurières et tentant d’arracher leurs vêtements pour mieux les humilier (des policières ont été spécialement préparées et utilisées à cette fin).
Plusieurs dizaines de marathoniens ont été temporairement arrêtés, dont Asma Jahangir, avocate, figure de proue des mouvements de défense des droits humains et secrétaire du HRCP et Iqbal Haider, président de cette même commission indépendante, ainsi que Farooq Tariq, dirigeant du Labor Party Pakistan (LPP).
A l’encontre des lois en vigueur, les milices fondamentalistes veulent, matraque au poing, fermer progressivement l’espace public au femmes : les marathons ne doivent pas être mixtes et les femmes doivent se contenter de courir... à l’intérieur d’un stade (ce qui est évidemment absurde pour ce type de course). Gare à celle qui tenteraient de sortir du stade : les gardiens de la morale les attendent ! Les religieux extrémistes s’en sont même pris, à Khairpur, à l’organisation d’une fête de femmes pour une collecte en faveur d’une fondation charitable.
La HRCP et le Comité d’action conjoint (JAC) pour les droits du peuple ont décidé de tenir un nouveau marathon, après la répression du 14 mai à Lahore. Malgré bien des pressions politico-administratives, il a finalement été a autorisé, le 20 mai (la veille seulement de l’initiative). Une trentaine d’organisations, dont le Pakistan People Party (PPP) et nos amis du Labor Party Pakistan, ont aidé à l’organisation du marathon et y ont participé. Plus de 200 femmes et environ 500 hommes se sont engagés dans la course. Ce fut une victoire politique.
La journaliste Beena Sarwar a souligné, dans The News du 22 mai, que les processions et manifestations publiques sont généralement mixtes au Pakistan et qu’auparavant, cela ne faisait pas problème. La pression pour imposer la ségrégation correspond à la montée des forces fondamentalistes, celles-là mêmes qui veulent interdire l’éducation aux filles et s’attaquent à des écoles qui leur sont destinées. La responsabilité des autorités est ici très directement engagée. Pour la Commission des droits humains du Pakistan, « interdire par la force la participation des femmes à des événements publics ne peut qu’encourager l’extrémisme et faire savoir aux éléments « orthodoxes » que leurs actions sont couvertes par l’Etat ».