Attendue initialement pour cette fin de semaine, la composition du nouveau gouvernement ivoirien ne sera rendue publique que la semaine prochaine, a annoncé, jeudi 7 septembre, le premier ministre démissionnaire, Charles Konan Banny, chargé par le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, de constituer la nouvelle équipe.
A l’origine de ce changement de gouvernement, le déversement, au cours de la nuit du 19 au 20 août, dans une dizaine de décharges publiques d’Abidjan, la principale agglomération ivoirienne (4 millions d’habitants environ), de dizaines de tonnes de déchets liquides toxiques acheminés depuis le port par une noria de camions-citernes. Trois personnes - dont deux fillettes - sont mortes à ce jour des émanations des produits pollués tandis que les hôpitaux de la ville ont vu arriver près de 2 000 personnes se plaignant de maux de tête, vomissements et diarrhées.
Si l’accès aux décharges est désormais interdit par les forces de sécurité, la Côte d’Ivoire, passablement démunie, a sollicité l’aide de la communauté internationale. Une première équipe de spécialistes français était attendue vendredi après-midi à Abidjan où une partie de la population continue à manifester son mécontentement. Des barrages ont été érigés dans plusieurs quartiers malgré les appels au calme des autorités et les assurances données sur la qualité de l’eau consommée. « Toutes les mesures de protection, y compris le déplacement éventuel des populations, seront mises en œuvre », a expliqué à la télévision un porte-parole du gouvernement démissionnaire.
Les circonstances du déversement sauvage des déchets toxiques restent floues. Ce qui ne l’est pas c’est l’origine des produits polluants. Ils provenaient d’un navire chimiquier baptisé il y a dix-sept ans, le Probo Koala, battant pavillon panaméen, composé d’un équipage russe, géré par une société grecque, Prime Marine, mais affrété par une firme immatriculée aux Pays-Bas, Trafigura Beheer, spécialisée dans le transport de produits pétroliers et minéraliers. Considéré comme un « grand voyageur », le Probo Koala, selon les informations du Monde, a été inspecté à la mi-juillet en Estonie où des défaillances techniques ont été relevées, notamment l’absence de moyens de lutte contre l’incendie.
Les produits toxiques étaient constitués, selon les informations disponibles, d’un mélange de gazole, d’eau et de soude caustique, restes de cargaisons précédentes « rendus toxiques par réaction chimique », a affirmé un responsable de la société propriétaire du navire. D’après les autorités néerlandaises, une première vidange de la cargaison aurait eu lieu en juillet à Amsterdam mais l’opération avait été stoppée à la suite de plaintes concernant la nocivité des produits. D’où le départ du Probo Koala en direction de l’Estonie, puis de la Côte d’Ivoire. « Pour le moment, nous ne pouvons établir si les déchets déversés en Côte d’Ivoire sont les mêmes que ceux que le bateau a tenté de décharger à Amsterdam », précise un communiqué publié jeudi par le procureur néerlandais chargé d’une enquête sur le Probo Koala.
RÈGLEMENTS DE COMPTE POLITIQUES
Les conditions dans lesquelles le bâtiment - « qui n’est pas entré dans la clandestinité » à Abidjan, assure le ministère ivoirien des transports - a pu décharger sa cargaison restent un autre mystère qui donne déjà lieu à des règlements de compte politiques dans une Côte d’Ivoire au bord de l’éclatement depuis quatre ans. Plusieurs responsables sont en position d’accusés pour des négligences. Des hommes politiques se réclamant de l’opposition dont les ministres - démissionnaires - des transports et de l’environnement ; et des hauts fonctionnaires, au premier rang desquels le directeur des douanes et celui du port. Ce dernier, Marcel Gossio, proche de M. Gbagbo, est considéré comme l’un des plus généreux donateurs du parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI).
La démission surprise du gouvernement de cohabitation est un autre élément de la crise. Présentée au chef de l’Etat par le premier ministre, sans concertation, elle a pris de cours tous les dirigeants de l’opposition. Dans un communiqué diffusé jeudi, les adversaires du président Gbagbo ont dit « condamner » la volonté « du chef de l’Etat et du premier ministre d’exploiter de façon cynique le drame et les souffrances des Ivoiriens pour régler des problèmes politiques ». La composition de la prochaine équipe gouvernementale devrait permettre d’y voir plus clair.