Konstantina Kouneva a été victime d’une agression à l’acide, dont le souvenir nous révolte encore. Les semaines précédant cette nuit de fin décembre 2008, elle avait lutté pour que l’employeur verse enfin à ses collègues des arriérées salariales et la prime de Noël. Celui-ci était par trop gêné dans ses affaires par la syndicaliste Kouneva, mais ne réussit pas à la convaincre de quitter son poste. Aussi opta-t-il pour d’autres procédés. Au licenciement de sa mère, nettoyeuse dans la même entreprise, suivirent des menaces téléphoniques quotidiennes. Konstantina remarqua qu’elle était filée et demanda à l’employeur de l’affecter à une équipe de jour, mais celui-ci refusa. En sortant du travail au petit matin du 23 décembre, elle fut abordée par deux inconnus, qui lui aspergèrent le visage d’acide sulfurique, qu’ils lui firent ensuite ingurgiter de force. Seule l’arrivée de passants lui sauva la vie. Konstantina avait pourtant exprimé ses craintes, mais tant la police que la GSEE (Confédération syndicale des employés du privé) estimèrent qu’elle exagérait et négligèrent sa protection.
En Bulgarie, Konstantina Kouneva avait été professeure d’histoire. Elle vint en Grèce en 2001 pour gagner l’argent nécessaire à ses enfants, dont l’un avait besoin d’un traitement pour une maladie cardiaque. Après avoir travaillé chez des particuliers elle se fit engager par « Oikomet », qui s’occupait du nettoyage du parc immobilier et du matériel roulant du métro Athènes-Pirée. Pour réduire ses coûts salariaux et contourner le droit du travail, l’État externalise le travail en signant des contrats de prestation avec des entreprises privées comme Oikomet, qui peuvent réaliser des bénéfices substantiels en versant à leurs employés des salaires de misère. Il y a parmi ceux-ci de nombreuses femmes étrangères, qui n’osent pas ou ne savent pas se défendre. Or Konstantina savait lire sa feuille de paye et l’expliquer à ses collègues. Devenue secrétaire générale du syndicat des agents de nettoyage de l’Attique, elle dénonçait ce qui n’est pas conforme à la loi, que ce soit les retards dans paiement des salaires ou le non-versement des cotisations patronales aux assurances sociales.
Suite à l’agression, Konstantina a perdu un oeil, la vision de l’autre oeil s’est affaiblie, les lésions aux cordes vocales et à la trachée sont gravissimes. L’ouïe cependant est resté intacte, et une fois sortie du coma elle a pu écouter les messages de sympathie qui affluaient en même temps que des bouquets de fleurs. Depuis, grâce aux nombreuses interventions subies elle récupère petit à petit la capacité d’élocution, et la vue se stabilise. Ces dernières années elle vit à Paris pour suivre un programme spécial de réhabilitation.
En Grèce, le crime donna lieu à une enquête qui se détourna sur la vie privée de la victime avant d’être rapidement bouclée. Ce n’est que grâce à la campagne d’Amnesty International qu’elle fut réouverte en prenant en compte cette fois le conflit du travail. En 2013 le Tribunal de première instance confirma la responsabilité de l’employeur à la survenue de cette agression et le condamna à verser un indemnité de 250’000 euros. Une petite satisfaction pour la militante dont les agresseurs restent toujours « inconnus ».
Les contacts de Konstantina Kouneva avec les militants du Syriza remontent à ses premières actions syndicales. Elle n’oublie pas qu’Alexis Tsipras fut le premier homme politique à lui rendre visite à l’hôpital. En 2009 elle avait décliné la proposition d’être candidate aux élections européennes. Si elle a accepté de se présenter en 2014, c’est parce qu’elle constate que la condition des salariés s’est beaucoup détériorée et les expose de plus en plus à l’arbitraire patronal. Désormais membre du Parlement européen, elle tentera de rendre caduques des lois grecques récentes « qui font du salarié un esclave », et plaidera de façon plus générale la cause des « sans voix ».
Anna Spillmann