La première journée de la Coupe du monde a commencé tôt le matin dans les faubourgs de Sao Paulo avant de finir tard le soir et dans la confusion sur la plage de Copacabana. Au Brésil, les mobilisations sociales se suivent sur un air de déjà-vu. Beaucoup moins nombreux qu’en 2013, au moment de la vague de protestation dénonçant la corruption et le coût exorbitant des travaux liés au Mondial, les défilés n’ont jamais dépassé plus de 2 000 à 4 000 personnes mais ils n’ont eu de cesse de se multiplier avant et peu après le coup d’envoi du match d’ouverture.
A 10 heures, jeudi 12 juin, un premier groupe de manifestants anti-Copa s’était réuni dans la zone est de la capitale pauliste, à quelques stations du stade Itaquerao. Quelques centaines d’employés du métro, qui venaient de suspendre leur grève, ont alors convergé vers la grande voie rapide Radiale Leste, le principal axe menant à l’enceinte où devait se dérouler la cérémonie d’ouverture. Rejoints par une cinquantaine de militants du Black Block, la situation a très vite dégénéré en confrontation avec la police militaire et les troupes de choc. Les échauffourées se sont multipliées jusqu’au milieu de l’après-midi ; les premiers bilans ont fait état d’au moins quinze blessées, dont cinq journalistes parmi lesquels figuraient un reporter français et deux membres de la chaîne américaine CNN.
Au même moment, huit rassemblements ont eu lieu dans les principales capitales d’Etat du pays dont Brasilia, Fortaleza et Porto Alegre. Ailleurs, plusieurs centaines de manifestants ont encore défilé dans les villes moyennes telles que Sao Luis, Teresina, Alagoas ou Belem. A Belo Horizonte, des agences bancaires et des commerces ont barricadé leurs devantures par craintes d’actes de vandalisme. A Natal, une grève partielle des autobus a provoqué de longues files d’attente. Cette agitation sociale, encore faible en intensité, laisse planer la menace d’une tension pesante et continuelle sur les prochaines semaines.
UNE LONGUE BANDEROLE CONTRE LA FIFA
A Rio de Janeiro, une poignée de personnels au sol ont bloqué la principale voie d’accès aux terminaux de l’aéroport international Carlos Jobim-Galeao au moment où des milliers de supporteurs devaient atterrir ou transiter par la cité carioca. Dans le centre-ville, la première manifestation s’est déroulée dans le calme à Candelaria. Environ 1 500 à 2 000 personnes ont rejoint le quartier bohème de Lapa ; le rassemblement s’est terminé par quelques affrontements avec la police en début d’après-midi. Une longue banderole contre la Fédération internationale de football (FIFA) a été déployée de façon spectaculaire sur le viaduc aux côtés de calicots féministes et anarchistes. Dans la nuit, des échauffourées ont éclaté devant les locaux provisoires construits par la FIFA. Onze personnes ont été arrêtées. La veille, 17 mandats d’arrêt avaient été émis contre des activistes de la ville [1].
A la station de Cardeal Arcoverde, derrière le luxueux Copacabana Palace, près de 500 militants contre la Copa, encadrés par une forte présence policière, ont entamé une marche peu avant 17 heures sur l’Avenue Atlantica. Au même moment, les cafés et les écrans géants installés au bord de mer retransmettaient la fin de la cérémonie d’ouverture et le match qui opposait la sélection nationale à la Croatie. Des téléspectateurs avec le maillot brésilien suivaient la victoire de leur équipe, saluant chaque but de cris de joie qui se mêlaient aux slogans hostiles des manifestants. « Il n’y a qu’au Brésil qu’on voit de tels contrastes », s’amuse Joceline, jeune retraité de Copacabana. Elle ajoute, plus sérieuse : « Ils ont raison de protester, mais il faut désormais laisser la place au jeu. »
Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant régional)
Journaliste au Monde
* Le Monde.fr | 13.06.2014 à 08h21.
A Belo Horizonte, les manifestants souhaitent la défaite du Brésil
Il y a des débuts de Coupe du monde plus sereins. Alors que l’équipe du Brésil débutait sa compétition à Sao Paulo, dans un climat agité, marqué par des manifestations populaires, la ville de Belo Horizonte, capitale de l’état du Minas Gerais, à 500 km plus au nord, n’est pas en reste jeudi.
A peine débarqués de l’avion, deux heures avant le coup d’envoi du match d’ouverture face à la Croatie, quelques passagers empruntent la navette vers le centre-ville, qui serpente difficilement dans les rues. Les barrages de police obligent à des demi-tours, les sirènes des véhicules de la police militaire résonnent au milieu des buildings. Enfin arrivé à destination, l’on peut apercevoir au bout de la rue des manifestants éparpillés qui font face à de nombreux policiers. La police militaire vient en effet de disperser par la force environ deux cents protestataires.
Une partie de football sauvage
Après les émotions de la manifestation, cheveux rouge vif, Virginia, 18 ans, étudiante qui se définit comme « anarchiste », suit son groupe d’amis au premier étage d’un immeuble. A 14 h, un match de football de rue a été organisé sur la place du sept septembre. Puis, la cortège des mécontents a rallié la mairie et enfin la place de la liberté. « Il y a une horloge qui effectue le compte-à-rebours avant le lancement du Mondial. Il y a eu ces derniers temps plusieurs tentatives pour la renverser. Aujourd’hui, certains ont encore essayé en balançant des pierres », raconte Virginia. Dès lors, la police réplique avec des gaz lacrymogènes et des tirs de balles en caoutchouc, selon les jeunes manifestants rencontrés.
Virginia prend part depuis un an aux manifestations contre la mauvaise santé des services publics et contre la tenue de cette Coupe du monde 2014. « Le mouvement est parti de Sao Paulo contre le prix excessif des transports publics. La police a été virulente et la grogne s’est alors étendue à tout le pays. Trop de services publics ne marchent pas : la santé c’est horrible, l’éducation c’est horrible... », explique cette jeune militante.
Les manifestants soutiennent la Croatie
Soudain, contre toute attente, des cris de joie saluent l’ouverture du score croate : « Croatia, Croatia ». Un jeune homme se rue sur une balustrade donnant sur l’avenue et exprime de manière colorée sa colère envers la police. L’opposition est flagrante dans le public attablé aux terrasses. Une moitié de jeunes gens impliqués dans la lutte anti-Coupe du monde se réjouit et l’autre, tout de jaune vêtu, fait grise mine. « Cela serait symbolique que le Brésil perde. Cela ne serait pas une défaite pour le pays mais une défaite pour les politiques au pouvoir », assure Virginia, qui vient d’apprendre, par un coup de fil, qu’une voiture de police aurait été volée.
Pour Pedro, 21 ans, le « sentiment nationaliste induit par la Coupe du monde n’est pas une bonne chose ». Cet étudiant en informatique arbore un t-shirt rose, dont l’inscription « Tarifa zero e mais » est le signe de ralliement de ceux qui réclament la gratuité des transports publics. « Il y a une grosse pression qui consiste à dire au peuple que le Mondial est bénéfique pour lui. La campagne médiatique de masse nous impose de soutenir cet événement. Or, depuis l’an passé, les gens ont pris conscience que le Mondial de la FIFA ne profite pas aux plus modestes mais à ceux qui ont déjà de l’argent », explique-t-il.
Membre de l’assemblée populaire horizontale, rassemblement hétéroclite de syndicalistes, d’anarchistes, d’étudiants et autres mouvances, né lors des mouvements massifs de l’année dernière, Pedro suit attentivement les affaires de la cité. Et il prend un exemple local de l’inefficacité des décideurs : « Un système de bus moderne, sur une voie unique et réservée, a été lancé il y a deux mois par la municipalité. Le projet n’a fait l’objet d’aucune discussion et manque clairement de transparence. En fin de compte, à cause d’une mauvaise organisation, les gens mettent plus longtemps à rentrer chez eux. C’est ce genre de dysfonctionnements qui fait prendre conscience aux gens des problèmes ».
Désillusion
Kaique, l’air juvénile malgré ses 30 ans, raconte avec passion le désamour et la déception des Brésiliens envers le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir depuis l’élection de Lula en 2002. « Mon père et mon oncle, ouvriers de la métallurgie, sont la première génération de ma famille à s’être syndiqué. Et ils ont naturellement suivi en adhérant au PT. Plus de dix ans après, la désillusion est complète. Les inégalités ne se sont pas résorbées », assure-t-il.
Motivés, unis, les jeunes gens ne comptent pas en rester là. Vendredi, une assemblée populaire se réunit. Puis, dès le 14, jour du match Colombie-Grèce organisé dans la ville, une autre manifestation est prévue, ainsi que les 17 et 19 juin. « On espère se mobiliser jusqu’à la fin de la compétition », clament-ils en chœur.
Anthony Hernandez, à Belo Horizonte.