Médecins du Monde est présente en Espagne depuis 1988. Avec ses 1700 bénévoles, ses 600 salariés ou collaborateurs sous contrats, ses milliers de collaborateurs et donateurs, cette ONG est présente dans douze des dix-sept Communautés autonomes espagnoles avec ses dispensaires et ses ambulances, fixes ou mobiles. Elle s’adressait principalement aux exclus, aux sans-abri, aux prostituées, aux immigrés sans travail ni domicile, aux malades mentaux errants, aux bidonvilles. Depuis le Décret-Loi royal du 20 avril 2012, elle est devenue l’unique recours des centaines de milliers de nouveaux écartés du Système National de Santé.
Au mois d’avril 2014, Médecins du Monde a publié un rapport de 72 pages illustrées destiné à une large diffusion dans le public : Dos años de reforma sanitaria : más vidas humanas en riesgo (Deux années de réforme sanitaire : davantage de vies humaines en danger).
Le rapport a été élaboré et publié avec l’aide de la Open Society Foundation de George Soros [le banquier, philanthrope et spéculateur] et grâce à la collaboration de la Dresse Marta Cimas et du Dr. Pedro Gullón de l’Ecole nationale de la santé publique de l’Université Charles III de Madrid.
Le rapport est introduit par le président de Medicos del Mundo Espagne, le Dr Alvaro González, médecin interniste à l’Hôpital central des Asturies :
« Comme organisation sanitaire, de la part de Médecins du Monde nous avons averti des graves conséquences qu’entraîne le fait de dénier à des centaines de milliers de personnes l’accès aux services d’attention primaire, là où sont les piliers des programmes de prévention et l’assistance sanitaire de premier niveau ainsi qu’à l’assistance spécialisée quand elle est nécessaire. » (p.5)
Le 1er septembre 2012, le président du gouvernement, Mariano Rajoy (Parti Populaire), annonçait que la carte sanitaire avait été retirée à 873’000 personnes étrangères « non-résidentes en Espagne » (sic).
Dans les communications du Ministère de la santé aux organismes de défense des Droits humains des Nations Unies, il s’agissait de 748’000 ; tandis que dans son rapport à la Commission de santé de janvier 2014, commission qui réunit au Ministère de Madrid toutes les « conseilleries » [2] de la santé des Communautés autonomiques, il s’agissait de 676’000, sans que Médecins du Monde n’ait réussi à obtenir des chiffres plus fiables. (p.8)
Le rapport dénonce qu’au moment de la promulgation du Décret-Loi, le Ministère n’a pas publié l’étude d’impact et le mémoire économique qui l’accompagnaient ; ni jamais jusqu’à maintenant, d’ailleurs. Et qu’il n’a pas non plus publié la statistique des pays d’origine des immigré·e·s auxquels la carte sanitaire était retirée, en particulier combien sont des ressortissants de l’UE (Union européenne), de Roumanie en particulier.
Le rapport dénonce ce nouveau système qui n’ouvre aux exclus que les services d’urgences, déjà débordés. « Réduire l’attention sanitaire que reçoivent des centaines de milliers de personnes uniquement aux urgences abouti à être plus coûteux que garantir une ample couverture d’attention primaire et renforcer les mesures de prévention et détection précoce. Sans oublier que dénier l’assistance sanitaire à des personnes pour leur situation administrative est contraire au code de déontologie médicale et au serment d’Hippocrate. » (p.32)
En excluant de l’attention primaire toutes ces personnes, les cas de maladies graves arriveront aux urgences en des stades plus avancés de la maladie quand ils seront plus difficiles à soigner et coûteront bien plus chers que leur prise en charge précoce ou leur prévention.
L’exclusion des immigré·e·s en situation irrégulière rend plus difficile la détection des cas de violence domestique, qui frappe deux fois plus les immigré·e·s que les « autochtones » ; le repérage de la traite des femmes, car les prostituées sans papiers trouvaient dans l’assistance primaire un personnel sanitaire et social à qui elles pouvaient se confier ; la diffusion de l’information et de la diffusion des méthodes contraceptives ; et plus généralement la détection précoce des épidémies de maladies infectieuses, comme la tuberculose, la grippe, le SIDA, les hépatites, ou de maladies tropicales que le réchauffement du climat amène en Europe.
« La réforme sanitaire va à l’encontre des objectifs de lutte contre la violence de genre et des engagements internationaux de l’Espagne en matière de droits sexuels et reproductifs. » (p.18)
« Le gouvernement a fait la sourde oreille aux multiples avertissements des Organismes des Droits humains européens et des Nations Unies. » (p.6)
Les exceptions du Décret-Loi sont violées systématiquement
Le Décret-Loi royal du 20 avril 2012 prévoit des exceptions parmi les personnes qu’il exclut de la carte sanitaire :
• Pour les enfants et les femmes enceintes à qui il ouvre les services d’attention primaire et les spécialités.
• Les consultations en urgence doivent leur rester ouvertes, et gratuites.
• Les maladies représentant un danger pour la santé publique, comme, par exemple, le SIDA, la tuberculose, ou d’autres épidémies, justifient une attention à toutes et tous sans exceptions.
Le rapport documente combien souvent ces exceptions sont violées. A cause de la confusion qu’a créée le libellé flou du Décret-Loi auprès du personnel sanitaire, qui doit faire face à une rupture brutale avec des comportements établis, subit la désinformation de la part du Ministère, est troublé par les différences qui se sont approfondies entre les Communautés autonomes, alors qu’il est débordé et surmené par les coupes budgétaires et les réductions de personnel.
Ou du fait de directives venues « d’en haut », non publiées, peut-être orales, ou de l’excès de zèle de certains responsables locaux, ou encore de coupes budgétaires.
Médecins du Monde dénonce en particulier :
« Les soi-disant “excès” de l’application du Décret-Loi : le refus de l’attention aux femmes enceintes et aux mineurs, ainsi que la facturation systématique des urgences qui continuent de se produire dans quasiment toutes les communautés autonomes. » (p.33)
« Médecins du Monde a eu connaissance de plus de mille cas documentés de personnes qui ont souffert d’une violation de leur droit à la santé depuis l’entrée en vigueur du Décret-Loi royal 16/2012, du 20 avril » (p.22)
Le rapport insiste également sur l’effet intimidant et dissuasif, et des termes du Décret-Loi, et de la confusion et désinformation qu’il a engendré, sur des groupes sociaux au bas de l’échelle sociale, timides et résignés, sur des personnes qui sont déjà confrontées au labyrinthe des administrations qui gèrent le séjour des migrant·e·s, et qui sont de par la précarité de leur situation et de leur pauvreté, les moins informés et les moins capables de s’adresser à une autorité pour demander une prestation.
Le rapport signale aussi que Médecins du Monde a eu connaissance, et reçu des demandes d’aide, de citoyens et citoyennes espagnols en grave situation d’exclusion économique et sociale. (p.9)
Cela ne pouvait pas manquer d’arriver. Au bas de l’échelle sociale, il y a aussi des citoyens espagnols en situation de grave pauvreté, et pas seulement des immigrés naturalisés espagnols, qui vivent comme, ou avec, les immigrés en situation irrégulière. La prétention de séparer citoyens, et immigrés avec permis de résidence, des immigrés en situation irrégulière n’est qu’une utopie raciste, et probablement un mensonge hypocrite de la part d’une droite qui a déclaré la guerre à tous les pauvres.
Souffrir, et mourir, dans les marges
Le rapport cite comme exemples quatorze cas de personnes dont Médecins du Monde a pris en charge la défense. Nous en résumons neuf d’entre eux ci-dessous :
• Un homme sahraoui de 56 ans, qui avant de se voir retirer la carte sanitaire avait reçu une transplantation de rein. Alors que la famille ne dispose pas des moyens suffisants, il doit désormais prendre à sa charge à 100% les médicaments du suivi opératoire et en particulier ceux contre le rejet de la greffe. L’intervention de Médecins du Monde auprès des autorités sanitaires n’a pas encore donné de résultats.
• Un homme indien aux Iles Baléares, sans abri. On lui diagnostique un cancer des cartilages et on l’adresse à l’Hôpital universitaire pour l’opération. En 2013, l’Hôpital refuse parce qu’il n’a pas de carte sanitaire. Médecins du Monde va peut-être réussir à le mettre sur une liste d’attente.
• Une femme marocaine, âgée de 34 ans, en Aragon. Diagnostic d’un cancer du col de l’utérus. Elle n’a pas de carte sanitaire, mais satisfait aux conditions du Programme aragonais de la santé publique : plus de six mois de résidence dans la Communauté autonome. Mais elle n’est pas admise parce qu’elle n’arrive pas à obtenir le document marocain permettant le transfert de son droit à la santé publique.
• Une personne porteuse du VIH. Se voit refuser l’accès à son centre d’attention primaire parce qu’elle ne dispose pas de carte sanitaire, alors qu’elle satisfait aux conditions de soins prévues par la réglementation spéciale de Galice où elle habite.
• Femme de 58 ans, d’origine dominicaine, mais naturalisée espagnole, ne peut pas se payer les médicaments que nécessite sa pluripathologie cardio-pulmonaire. Les services sociaux ne lui offrent que des aides ponctuelles, alors qu’elle nécessite des soins chroniques
• Alpha Pam, Sénégalais résidant à Majorque. Pour des fortes douleurs thoraciques il est allé plusieurs fois aux urgences où on lui a diagnostiqué une bronchite, prescrit des médicaments inutiles et une radiographie dans un autre centre où il a été refusé faute de carte sanitaire. Il est mort à son domicile après six mois de vaines tentatives auprès de multiples centres de soins, dans des terribles douleurs en crachant son sang, sans avoir su qu’il était atteint de la tuberculose.
• Argentin de 56 ans. Réside en Espagne depuis plus de dix ans avec sa femme et ses enfants. Il avait un permis de résidence jusqu’à ce que la perte de son travail en 2008 lui en complique le renouvellement. Sa carte sanitaire a été annulée fin 2012 avec le Décret-Loi et depuis il n’a plus reçu de soins. Il avait souffert d’un grave infarctus du myocarde et il souffre d’une ischémie chronique. On lui refuse l’accès à l’attention primaire faute de carte sanitaire. Médecins du Monde l’assiste depuis 2013. Comme les procédures de renouvellement du permis de séjour, de la carte sanitaire, et le traitement, datent d’avant le Décret-Loi, il a pourtant droit à l’accès aux soins.
• Femme hondurienne. Sans carte sanitaire. Aux urgences, on lui diagnostique une appendicite aiguë. Trois jours après l’opération, elle sort de l’hôpital. Dix jours plus tard, elle revient à cause de malaises et douleurs. Elle reste hospitalisée treize jours pour soigner les complications de l’opération précédente. En novembre 2013, elle reçoit une facture de 3000 euros alors que les urgences sont gratuites et qu’elle ne dispose pas des moyens de payer une telle somme.
• Roumaine de 56 ans. Numéro d’identification d’étranger (NIE) en règle. En septembre 2013, on lui diagnostique un cancer du poumon au stade IV avec un thromboembolie pulmonaire bilatérale. Elle souffre de fortes douleurs. En octobre 2013, elle sort de l’hôpital et reste suivie à domicile par le médecin de l’attention primaire et les médecins spécialistes. Le lendemain, elle se présente à Médecins du Monde parce qu’elle doit assumer 200 euros par mois pour les médicaments anti-douleurs et 200 euros pour les autres médicaments prescrits, sommes qu’elle ne peut pas payer. L’intervention de Médecins du Monde et l’aide de l’équipe de soutien des soins à domicile, et de l’assistante sociale de l’hôpital, ont permis qu’elle reçoive le traitement. On lui a refusé la carte sanitaire de la Communauté autonome parce qu’elle ne peut pas démontrer qu’elle y résidait déjà avant le Décret-Loi.
Du fédéralisme au chaos
Le rapport de Médecins du Monde consacre une longue annexe à un « Résumé de la situation dans les Communautés autonomes », sur la base de son activité sur le terrain, et des réponses à un petit questionnaire que Médecins du Monde a adressé à chaque « conseillerie » de santé (consejeria de salud), soit les ministères des gouvernements autonomiques.
Dès la publication du Décret-Loi en avril 2012, six gouvernements autonomiques, soit tous ceux non gouvernés par le PP : Andalousie, Asturies, Navarrre, Pays Basque, Canaries, et Catalogne, ont déposé des recours auprès du Tribunal constitutionnel, la plupart surtout pour l’invasion de compétences qui leur reviennent, mais aussi pour le bouleversement d’un bon système universel.
Andalousie et Asturies, gouvernées par le PSOE
Dès la publication en avril 2012 du Décret-Loi, les deux communautés autonomes gouvernées par le PSOE, l’Andalousie et la principauté des Asturies, ont annoncé qu’elles assureraient aux personnes exclues du Système de Santé National les conditions d’accès les plus proches possibles de celles dont elles avaient joui jusque-là.
• L’Andalousie a institué en août 2013 une carte sanitaire autonomique pour ces personnes et aussi les Asturies, qui les enregistrent dans le Système d’Information de Population et Ressources Sanitaires (SIPRES) en leur attribuant un code d’identification autonomique, et leur attribue un Centre d’attention primaire, près de leur domicile.
• Andalousie et Asturies ont également décidé de ne pas appliquer l’exclusion des chômeurs en fin de droits qui ont quitté le territoire durant 90 jours. Cette mesure vise des immigrés en situation irrégulière et le PP affichait sa volonté que ces personnes soient prises en charge par les services sanitaires de leurs pays. Mais on conçoit bien que cela peut frapper aussi des Espagnols partis chercher du travail en Europe ou en Amérique du Sud.
Néanmoins, tant en Andalousie qu’aux Asturies, Médecins du Monde a pu constater chez le personnel sanitaire et administratif une grande confusion et manque d’information, ainsi que des cas de dénégation de soins à des immigrés en situation irrégulière qui y avaient droit, en particulier des femmes enceintes et des mineurs.
Malgré les bonnes volontés, bien des difficultés sont engendrées par la complexité des situations administratives de ces personnes qui cherchent à régulariser leur séjour dans le pays et par le labyrinthe d’exceptions et de conditions qu’est devenu l’accès aux soins de par le Décret-Loi et les dispositions autonomiques qui se veulent plus généreuses.
La bourgeoisie basque joue un autre jeu
En Euskadi, le gouvernement du Pays Basque, en mains du Parti nationaliste basque (PNV : parti de banquiers et d’industriels), a dès le mois de juin 2012 organisé l’accès au Système de Santé autonomique des personnes exclues du Système National qui démontraient une résidence d’une année dans le Pays Basque.
Médecins du Monde/Munduko Medikuak a eu connaissance de plusieurs cas de personnes à qui on a indûment facturé des soins mais ces cas ont pu être résolus favorablement. Médecins du Monde et la coordination Harresiak Apurtuz ont pu être reçues dans le courant de 2013 par trois commissions du Parlement autonomique et ont pu constater une bonne volonté de la part du Service basque de la Santé.
Les immigré·e·s en situation irrégulière atteints de maladies graves ou chroniques (cancers, diabète, SIDA,…) sont reçus rapidement et se voient attribuer un document provisoire de trois mois, renouvelable trois mois, qui leur donne accès aux soins aux mêmes conditions qu’aux citoyens indigènes, en attendant que leur résidence dans le Pays Basque ait atteint une année et leur donne accès de plein droit.
Galice et Valence : PP mais « originaux »
Le gouvernement autonomique de Galice, en mains du PP, a été un des premiers à mettre en marche en octobre 2012 un programme alternatif pour les exclus du Décret-Loi. Médecins du Monde et un grand nombre d’organisations sociales ont dénoncé les insuffisances de ce programme et tous les cas de refus de soins, y compris à des femmes enceintes et à des mineurs. La conseillerie autonomique estimait que 9000 personnes pourraient y avoir droit contre l’estimation de 15’000 de Médecins du Monde. A fin 2013, seules 1470 personnes y avaient eu accès. Le principal obstacle sont les exigences bureaucratiques : démontrer une résidence en Galice de 183 jours, avoir des papiers du pays d’origine en règle. Particulièrement difficile est la situation des ressortissants de pays avec qui l’Espagne a conclu un accord bilatéral d’accès aux services sanitaires car on leur exige la présentation de la carte sanitaire de leur pays, soit une condition que bien peu de ces personnes en situation irrégulière, sans ressources, et en risque d’exclusion sociale peuvent remplir.
Le gouvernement de la Communauté valencienne, en mains du PP, a institué un Programme Valencien de Protection de la Santé qui prévoit des conditions d’accès plus généreuses que celles prévues par le Décret-Loi, en mettant les immigrés en situation irrégulière plus ou moins sur le même pied que les Espagnols. Néanmoins, l’Observatoire du Droit Universel à la Santé de la Communauté Valencienne /ODUSALUD, animé par Médecins du Monde, et la Société valencienne de médecine de famille et communautaire, a dénoncé en 2013 429 cas dont 37 de mineurs à qui l’accès aux soins a été refusé tandis que la plupart des autres sont des patients qui ont dû préalablement signer un engagement de payer la facture. La plupart de ces personnes en sont bien incapables et redoutent qu’une dette envers l’administration rende encore plus difficiles leurs démarches pour régulariser leur situation.
La Catalogne
La Catalogne, gouvernée par Convergència i Unió (CiU) soit les deux partis nationalistes bourgeois catalans, a promulgué deux instructions aux centres de soins afin d’offrir une alternative aux immigrés sans permis résidant en Catalogne. Cette alternative comprend un registre de patients, la couverture de l’attention primaire et des spécialités, les soins aux malades chroniques, la prise en charge des cas de mise en danger de la santé publique, les maladies mentales, les médicaments.
A la publication du Décret-Loi royal, le gouvernement catalan avait publié le 30 août 2012 une instruction Accès à l’assistance sanitaire de couverture publique de CatSalut pour les citoyens étrangers résidents (empadronados) en Catalogne qui n’ont pas la condition d’assurés ou de bénéficiaires du Système National de santé. CatSalut avait aussi décidé un moratoire en suspendant jusqu’au 31 mars 2013 l’application en Catalogne du Décret-Loi royal, dans le but déclaré que les personnes affectées puissent poursuivre les traitements commencés et faire les démarches pour régulariser leur situation.
La réalité catalane est moins rose. Dans une communauté autonome où la politique de privatisation de la santé est ancienne, et où les coupes budgétaires ont été dès 2009 très sévères, l’accès alternatif offert se caractérise par une opaque bureaucratie pour déterminer si oui ou non quelqu’un y a droit. Médecins du Monde, en collaboration avec la Plateforme pour l’assistance sanitaire universelle de Catalogne/ PASUCAT, qui regroupe 35 associations diverses, dénonce la persistance habituelle de cas de refus de la carte sanitaire à des femmes enceintes et des mineurs, de cas de facturation de soins à des personnes sans ressources, des cas de médicaments à payer. « On a détecté des cas de personnes avec des maladies graves à qui on facture des traitements pour des montants entre 300 € et 1200 € par semaine. » (p 50)
Les gouvernements des communautés autonomes d’Aragon, Canaries, Cantabrie, Estrémadure, Murcie, et Navarre (gouvernées par le PP, sauf les Canaries qui sont gouvernées par la Coalition canarienne et la Navarre par l’Union du peuple navarrais) ont des programmes d’accès aux soins des exclus du Décret-Loi plus ou moins judicieux, mais avec les mêmes défauts et irrégularités qu’ailleurs.
Aux Canaries, Médecins du Monde a dénoncé dès 2013 l’exigence de documents du pays d’origine impossibles à fournir : déclaration d’impôts ou certificat d’impôts prouvant l’absence de biens ou, à défaut, une attestation de l’ambassade à Madrid du pays d’origine que cette preuve est impossible à fournir (sic). Dans les Iles, 48’000 cartes sanitaires ont été retirées mais à ce jour seulement 145 de ces personnes ont été admises aux soins. (p.15)
Le noyau dur du PP
A l’autre extrême, se trouvent les communautés de Castille-La Manche, Castille-Léon, Iles Baléares, La Rioja, et Madrid, gouvernées par le PP, qui se sont fixées d’appliquer le Décret-Loi sans nuances et n’entrent guère en matière pour des correctifs. Madrid et Murcie ont prévu d’améliorer les exceptions pour les maladies graves ou chroniques, les maladies mentales, et les maladies épidémiques qui représentent un danger pour la santé publique prévues par le Décret-Loi. Castille-Léon seulement pour ces dernières, tandis que Castille-La Manche ne prévoit aucune exception du tout !
Dans les faits, et comme ailleurs aussi, on n’y applique pas les exceptions que prévoit le Décret-Loi lui-même. En Castille-La Manche, Médecins du Monde a dénoncé 17 cas de femmes enceintes, et 56 cas de mineurs, qui se sont vues refuser l’accès aux soins, ainsi que la pratique habituelle de facturer les urgences. Et même des immigrés en situation régulière qui n’accèdent aux soins que par une course d’obstacles administratifs.
En réalité, ces cinq communautés autonomes sont celles qui avaient commencé dès 2011, bien avant le Décret-Loi, à retirer ou refuser la carte sanitaire aux immigrés en situation irrégulière.
Médecins du Monde conclut ainsi ce panorama des communautés :
« Médecins du Monde entend faire remarquer que la voie qui consiste à concevoir des systèmes parallèles ou des programmes spécifiques au niveau des communautés autonomes ne laisse pas d’être des mesures très limitées pour faire face au grave impact de la réforme sanitaire. Il ne faut donc jamais envisager cela comme la solution qui compléterait le Décret-Loi 16/2012. Indépendamment des déficiences dans la mise en marche des programmes spéciaux conçus par certaines conseilleries, leur existence même dénote, d’un côté, l’inefficacité de la réforme sanitaire dans une perspective de santé publique ; et la rupture des principes d’universalité et d’équité qui doivent caractériser un système de santé conforme au cadre des droits humains. » (p.33)
« Le présent rapport montre que les mesures qu’ont dû adopter les Communautés autonomes pour mettre en application le Décret-Loi sont très hétérogènes et sans coordination, ce qui contribue à rendre plus profondes les inégalités en matière de santé entre les différents territoires. De son point de vue, Médecins du Monde considère que ces mesures ne sont que des “rapiéçages” qui essaient de donner une solution au chaos important et à la grave souffrance que le Décret-Loi a engendrés. La seule solution efficace et raisonnable serait la dérogation de ce Décret-Loi injuste et la restauration d’un système d’assistance universelle, publique et gratuite pour toutes les personnes qui résident en Espagne. » (p.7)
Le drame des Roumains
Le rapport de Médecins du Monde consacre une attention particulière aux immigrés roumains en Espagne. La Roumanie et la Bulgarie furent en 2007 les derniers pays à entrer dans l’Union européenne. Entre 2007 et 2009, l’Espagne a imposé un moratoire en continuant de soumettre les ressortissants de ces deux pays à une autorisation de séjour. Les deux années suivantes, ils purent entrer et travailler en Espagne librement. Mais en 2011, le gouvernement espagnol a de nouveau imposé aux Roumains, et à eux seulement, une autorisation de séjour. Beaucoup d’immigrés roumains résidents se sont retrouvés dans des limbes administratifs et ont perdu leur carte sanitaire.
Un grand nombre de ces immigrés roumains sont des gitans (roms) qui, comme ailleurs, sont « tout en bas » de l’échelle sociale, souvent sans abri, et sans ressources, et méprisés.
Or justement parce que la Roumanie est membre de l’Union européenne, ses ressortissants doivent présenter pour être admis à la santé publique espagnole leur carte sanitaire roumaine qui établit le transfert en Espagne de leur droit à la santé publique roumaine, ainsi que la déclaration de leurs biens (sic). C’est des conditions auxquelles les gitans roumains – groupe socio-ethnique condamné, de fait, à être quasi « apatride » – sont bien incapables de satisfaire. (p.15)
Les recommandations de Médecins du Monde
Médecins du Monde conclut son rapport dans les termes suivants :
« Pour ces motifs, Médecins du Monde considère de manière prioritaire que le gouvernement espagnol doit :
« Mettre en marche les mesures législatives, politiques et budgétaires nécessaires pour restituer le modèle sanitaire en accord avec le principe d’universalité de l’assistance sanitaire ; en éliminant la figure de l’assuré et du bénéficiaire. » (p.34)
« A court terme, définir et diffuser de manière adéquate des procédures pour garantir le respect dans toutes les communautés autonomes des dispositions du Décret-Loi royal 16/2012 qui reconnaissent le droit à l’assistance sanitaire des mineurs, des femmes enceintes, des requérants d’asile et des victimes de traite des personnes en période de réflexion, et dans les services d’urgences. Ces procédures devront assurer qu’en aucun cas ces soins soient facturés ou sujets à la signature d’un engagement à payer de la part des personnes usagères. » (p.35)
« Annuler la Résolution du 10 septembre 2013 qui introduit l’application du co-payement des médicaments hospitaliers et qui, nouvellement, produit un grand impact sur les populations les plus vulnérables (sans ressources, souffrant d’affections graves ou chroniques, et immigrants en situation administrative irrégulière à qui est appliqué le 100% du co-payement des prescriptions pharmaceutiques ambulatoires.) » (p.35)
« Mettre fin de manière immédiate aux pratiques de facturation pour l’attention en urgences aux personnes immigrées sans carte sanitaire, pratiques qui violent le Décret-Loi 16/2012 qui reconnaît bel et bien aux personnes qui ne sont ni assurées ni bénéficiaires, la prise en charge en urgence pour maladie grave ou accident, quelle que soit sa cause, jusqu’au certificat médical de sortie et fin de traitement. » (p.35)
« Garantir de manière effective l’attention sanitaire aux mineurs et aux femmes enceintes dans tous les cas, indépendamment de leur capacité à présenter une pièce d’identité ou si elles sont enregistrées au cens des résidents, et sans que cela ne leur suppose aucun coût. » (p.35) [3]
« Au personnel social et sanitaire, administratif et de gestion du Système National de Santé, nous les encourageons à rejoindre le mouvement d’objection de conscience pour ce qui est de l’application du Décret royal 16/2012 ; nous considérons qu’existent le droit et le devoir de ne pas collaborer à des violations de droits humains.
A l’ensemble des citoyens nous les encourageons à appuyer les mobilisations et les actions de rébellion (rebeldía) contre le Décret-Loi royal 16/2012 lancées par un grand nombre d’organisations sociales » (p.36)