La très profonde crise politique que traverse l’Ukraine depuis novembre 2013 est loin d’être terminée. Dans ce pays, suite à une très longue oppression nationale (fondamentalement polonaise et russe), le processus de formation nationale est inachevé, l’État-nation reste fragile. Il l’est d’autant plus que le pays est pris en otage entre la pression impérialiste russe et celle des puissances euro-atlantiques, et soumis au caractère socialement désagrégateur du néolibéralisme.
1. De Maïdan au gouvernement provisoire : une puissante mobilisation populaire
Durant trois mois (21 novembre 2013 – 22 février 2014) des dizaines de milliers (et certains jours des centaines de milliers) de personnes se sont rassemblées au centre de Kiev, sur la place (« maïdan ») de l’Indépendance. C’est la répression des premiers protestataires (« pro-européens » et contre les interdits russes) qui a donné au mouvement sa massivité fin 2013, combinée à un espoir – idéalement associé à « l’Europe » – de bien-être, de rejet de la corruption, de démocratie et de souveraineté nationale.
Nous soulignions en février (résolution du Comité international) les caractéristiques de ce mouvement qui « a présenté des traits combinés, à la fois révolutionnaires (démocratique, antihiérarchique, auto-organisé) et réactionnaires – dont l’issue globale est et demeure tributaire de luttes politiques et sociales. Ces traits ont été également profondément liés au caractère marquant l’actuelle société ukrainienne post-soviétique (atomisée, sans identité de classe claire, avec une dégradation de l’éducation et l’hégémonie des idées nationalistes réactionnaires dans la société – combinées avec un légitime attachement à l’indépendance nationale et l’héritage dramatique du stalinisme) » [1].
Nous pouvons préciser les faiblesses et limites de Maïdan :
• Malgré sa durée, les principales formes d’auto-organisation apparues sont restées limitées : surtout la construction, le maintien, la défense de cette cité rebelle de tentes et de barricades en plein hiver, l’organisation de l’approvisionnement et des services de santé… Des équipes ont procédé à l’occupation des bâtiments administratifs, une assemblée étudiante a imposé notamment la transparence du budget de l’éducation. Des « sotnia » (compagnies) d’autodéfense ont été formées, dont une minorité était contrôlée par des organisations politiques présentes à Maïdan.
• Le mouvement ne s’est jamais doté d’une quelconque « représentation » ou de porte-parole élus. Cela a facilité son instrumentalisation par les partis politiques de l’opposition, dont le parti d’extrême droite Svoboda inclus dans les « pro-européens » – parlant au nom de « l’euroMaïdan » notamment à l’étranger.
• Les petits groupes d’extrême droite nationaliste (Pravyi Sektor...) rivalisant avec Svoboda ont joué un rôle pour l’autodéfense du mouvement. Leur « visibilité » affichée et leurs agressions contre des militants de gauche ont été mises en « valeur » pour discréditer l’ensemble de Maïdan, notamment par les médias gouvernementaux et russes, ou plus tard par les composantes « anti-Maïdan » se réclamant de la gauche.
• Enfin, bien que très divers et sensible aux enjeux sociaux (contre la confiscation des biens publics, la corruption, les inégalités), le mouvement n’a pas exprimé de revendications sociales ; il a très peu mobilisé la classe ouvrière industrielle et donc aussi les régions de l’est et du sud-est (malgré quelques exceptions). Si les appels à la grève (lancés par les syndicats indépendants) n’ont pas été soutenus, il en a été de même des tentatives de mobilisations ouvrières contre Maïdan.
• Compte tenu des thèmes initiaux (« pro-EU »), des forces organisées prédominantes de droite et des agressions fascistes, la très faible gauche ukrainienne a été très divisée face à Maïdan et dans Maïdan : outre les divers groupes anarchistes, le Mouvement socialiste - Opposition de Gauche a choisi d’y intervenir à contre-courant des idées de droite et d’extrême droite en raison des aspirations de masse démocratiques et sociales du mouvement. Par contre, l’organisation « Borotba » (Lutte) est restée extérieure au mouvement, en le dénonçant globalement comme réactionnaire. Situé à « gauche » pour son étiquette et son discours social, le PC ukrainien, très impliqué dans les privatisations oligarchiques, a cherché à se distinguer du Parti des Régions en proposant un référendum concernant l’accord avec l’UE ; mais il s’est discrédité par son vote des lois de février criminalisant tous les protestataires. Il a propagé, comme Borotba, la thèse du « putsch nazi ».
• Au total, plus défiant envers les partis que dans la « Révolution Orange » de 2004, Maïdan s’est surtout mobilisé dans les régions de l’ouest et du centre du pays, plus tournées vers l’UE ; s’il exprimait des aspirations sociales et démocratiques partagées dans tout le pays, son seul « programme » a été la chute de Iakounovytch.
2. La chute de Ianoukovytch : une victoire populaire confisquée et un gouvernement de droite, pas un « putsch fasciste »
La chute de Ianoukovytch a démembré le Parti des régions, devenu sous sa présidence le principal instrument du pouvoir de l’oligarchie, dont la base se trouvait en Ukraine orientale – là où l’oligarchie ukrainienne est apparue et s’est développée dans les grandes corporations industrielles privatisées frauduleusement lors de la restauration capitaliste au début de la décennie 1990. Ce parti y disposait d’un fort soutien électoral du fait des rapports sociaux de domination. L’implosion du Parti des régions, ainsi que la dissolution des forces spéciales de répression « Berkout », a affaibli l’État ukrainien, le privant d’une partie importante de ses structures de domination.
Bien que tous les ministres du nouveau gouvernement aient dû être acceptés par la foule de Maïdan, le mouvement s’est largement démobilisé après la mise en place du gouvernement provisoire.
La chute de Ianoukovytch a été la victoire d’un mouvement quasi-insurrectionnel, et non pas le fait d’un « putsch fasciste anti-russe soutenu par l’Occident ». Même si Ianoukovytch est arrivé au pouvoir en 2010 par des élections reconnues comme légitimes, il est lui-même responsable de sa propre déchéance : il s’est profondément discrédité, y compris dans sa région d’origine, le Donbass, par des années d’enrichissement oligarchique personnel et familial alors que le pays s’appauvrissait ; et même son refus inattendu de signer en novembre l’accord avec l’UE a été l’illustration d’une dérive présidentialiste d’un pouvoir de moins en moins contrôlé même par son propre parti et le parlement. Sa chute a été catalysée par la répression et les morts de Maïdan. Au vu des contestations sur la responsabilité de ces morts, le gouvernement de Kiev a saisi la Cour pénale internationale (CPI), le 25 avril, pour qu’elle enquête sur les événements allant du 21 novembre 2013 au 22 février 2014.
C’est le parlement lui-même qui a voté la destitution du président après sa fuite, à une très forte majorité, et qui a désigné le gouvernement provisoire. Celui-ci reflète largement le compromis, soutenu par les diplomates occidentaux, qui avait été négocié avec Ianoukovytch, avant que celui-ci ne s’enfuie. Après avoir explicitement soutenu tous les partis « pro-européens », y inclus Svoboda, les gouvernements européens ont été embarrassés par l’extrême droite. Celle-ci a cherché à se rendre plus « fréquentable » (Svoboda a mis quelques sourdines sur sa matrice antisémite et sur la célébration de la Division SS Galizien). Parallèlement, le ministre de l’intérieur (auquel le parlement a demandé de désarmer les milices privées) se trouve en rapports tendus avec Pravyi Sektor.
Si le gouvernement n’est pas « néo-nazi » il est vrai – et non anodin – que le parti d’extrême droite « Svoboda » y a disposé de plusieurs positions de pouvoir : 4 ministères (3 depuis que, le 25 mars, son ministre de la Défense, l’amiral Ihor Tenyukh, considéré comme « inactif » face aux évènements de Crimée, ait été « démissionné ») ainsi que le poste de procureur général. Andriy Parubiy, secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de la défense, est parfois aussi catalogué comme membre de Svoboda. Il est vrai qu’il fut un des fondateurs, en 1991, du « Parti social-nationaliste d’Ukraine » qui a pris le nom de Svoboda en 2004, mais il a quitté cette organisation depuis 10 ans et a rejoint, depuis 2012, Batkivchtchina (Patrie) de Youlia Timochenko.
C’est cette formation qui domine ce gouvernement néo-libéral qui a nommé des oligarques à des postes de gouverneurs de certaines régions et a mis en place les mesures exigées par le FMI : notamment hausse du prix de gaz (50 %), gel des salaires et des embauches dans le secteur public, réduction des retraites, réduction des dépenses sociales, augmentation de la TVA... La première mesure prise par la nouvelle majorité parlementaire, abrogeant la loi de 2012 (adoptée par une minorité de parlementaires et considérée alors comme une manifestation de la « présidentialisation » du régime) sur les langues, n’a pas été ratifiée par le président par intérim. Mais dans le contexte d’une dénonciation du nouveau pouvoir comme « anti-russe », notamment par Moscou, l’effet en a été désastreux dans les régions russophones. L’agression russe en Crimée s’est présentée comme une réponse à une telle politique.
L’élection du 25 mai a porté à la présidence de la République l’oligarque Petro Porochenko – par 54 ,7 % des votants, alors que la participation était de 60,3 % des inscrits (ce chiffre est surestimé, car dans les régions de Donetsk et de Lougansk, où les « milices » pro-russes ont tout fait pour empêcher le vote, il ne prend en compte que les inscrits dans les bureaux de vote ouverts, soit respectivement 668 000 sur 3,3 millions et 216 000 sur 1,8 million, estimant ainsi la participation à 15,4 % dans la région de Donetsk et à 38,9 % dans celle de Lougansk, alors qu’en prenant en compte l’ensemble des inscrits la participation n’a sans doute pas dépassé 3 % et 10 % dans ces deux régions orientales [2]). Cette élection, sur arrière-plan de tensions détournant des enjeux sociaux, exprime pourtant une aspiration populaire à doter l’Ukraine d’une représentation souveraine. Elle enterre en même temps les exigences politiques fondamentales exprimées par Maïdan – un nettoyage radical de la police et de l’appareil d’État, la lutte contre la corruption, la séparation du grand capital du pouvoir politique direct. Jamais dans l’histoire moderne de l’Ukraine le grand business n’a été à ce point impliqué directement dans la gestion du pays : presque tous ceux qui culminent dans la liste Forbes des Ukrainiens les plus riches occupent aujourd’hui des postes supérieurs dans l’exécutif.
3. Annexion de la Crimée
La Crimée (dont la population comportait 12% de Tatars autrefois déportés par Staline et revenus chez eux depuis 1991), cadeau de Khrouchtchev à l’Ukraine en 1954, avait acquis un statut particulier de République autonome au sein de l’Ukraine indépendante, depuis 1993. Sa principale ville, Sébastopol, avait un statut distinct, en tant que base navale abritant la flotte russe de la mer Noire, selon un traité de « paix et d’amitié » de 1997. Moscou avait obtenu de Viktor Ianoukovytch de prolonger le bail, en vertu duquel elle louait la base à l’Ukraine, moyennant l’accord sur les tarifs d’énergie et la dette précisé en décembre 2013. Poutine a exploité la chute de Ianoukovytch pour remettre en cause unilatéralement tous ces accords, en annexant la Crimée.
Mais c’est l’argument des « minorités russes » menacées par un « putsch fasciste » qui a été mis en avant dans le vote de la Douma en faveur de l’emploi des forces armées russes en Ukraine. C’est pourquoi cette thèse joue un rôle essentiel dans la propagande. Dans les affiches du plébiscite qui s’est tenu sous déploiement militaire et sans accès aux médias ukrainiens, l’Ukraine était marquée d’une croix gammée.
Moscou a déclaré que 97 % des votants ont voté oui, avec une participation de 86 % – chiffres fort éloignés de ceux fournis par le Conseil auprès du Président de la Fédération de Russie pour le développement de la citoyenneté et les droits de l’homme : « selon les sources variées, en Crimée 50-60 % ont voté en faveur de l’intégration à la Russie, avec une participation de 30-50 % » (« According to various sources, in Crimea 50-60% voted for joining Russia, with the total turnout of 30-50 % »). L’exode des Tatars hors de Crimée a repris ; leur sort n’est en rien assuré. Le 20 mars, le traité intégrant le République de Crimée et la ville de Sébastopol dans la République fédérale de Russie a été ratifié par la Douma russe.
Se comportant en grande puissance, Poutine a étouffé ses critiques intérieures en flattant un chauvinisme grand-russe nostalgique de toute la « petite Russie » – au risque d’un embrasement de l’Ukraine. Comme ce fut longtemps pratiqué dans la propagande stalinienne, être ukrainien (ou Tatar) devient être (pro)nazi et « anti-russe ». Ce qui trouve son pendant dans la propagande ultra-nationaliste quand être « russe » c’est être « anti-ukrainien » ou « bolchevik ». Les conflits politiques, sociaux et géostratégiques réels sont alors occultés.
4. L’ « Anti-Maïdan » face à un gouvernement impopulaire
En tout état de cause, les régions de l’est et du sud-est de l’Ukraine ne sont pas la Crimée. Contrairement à celle-ci, elles avaient voté massivement pour l’indépendance de l’Ukraine en 1991 ; et les sondages indiquaient (jusqu’à récemment) qu’elles y restaient majoritairement attachées, en dépit de leur défiance politique envers Kiev. Vouloir le pluralisme linguistique, voire une forme de décentralisation, ou encore vouloir garder des liens avec la Russie (en espérant notamment de meilleurs tarifs énergétiques), ou avoir la nostalgie de l’URSS n’impliquent pas une logique sécessionniste : le régime politique poutinien n’est pas attractif (même s’il se présente comme protecteur) et les politiques appliquées en Russie près du Donbass ont supprimé bien des aides d’État qui demeurent encore massives dans l’industrie ukrainienne. Mais la politique menée par Kiev inquiète, même si les emplois sont menacés aussi bien par une insertion dans la Russie que dans l’UE ou la soumission au FMI. Les choix populaires sont donc incertains et les inquiétudes sont vite instrumentalisées.
Les « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk, auto-proclamées, exploitent la défiance envers Kiev. Mais ils se réduisent largement à des appareils paramilitaires où se mêlent d’anciens membres de l’appareil d’État ukrainien, des criminels de toute sorte, des militaires venus de Tchétchénie, des membres de forces de sécurité russe, ou de simples Ukrainiens. Rien qui favorise une mobilisation populaire réelle, dans une situation de plus en plus chaotique après des affrontements dont il est difficile de faire le bilan.
Le drame d’Odessa le 2 mai – l’incendie de la Maison des syndicats coûtant la vie à quelque 40 militants dits « pro-russes » qui s’y étaient barricadés, dont un militant de Borotba, à la suite de l’agression armée contre une manifestation en faveur de « l’unité de l’Ukraine » faisant 4 morts – a marqué une radicalisation de la propagande « anti-Maïdan » : selon cette dernière il s’agirait d’un « nouvel Oradour » protégé par un « État nazi » à Kiev – ce qui s’est accompagné d’accusation « d’indifférence inhumaine » si l’on contestait ces interprétations.
L’anti-Maïdan n’a pas connu de mobilisations de masse au-delà de quelques milliers de protestataires pour une région très peuplée. Il est difficile d’y inclure de façon claire les milliers de votants pour les plébiscites du 11 mai en faveur des « républiques populaires » qui ont été sans doute, à la fois une manifestation protestataire contre Kiev et un vote forcé par les milices – les mêmes qui ont interdit le 25 mai la participation à l’élection présidentielle. Des grèves massives ont eu lieu notamment à Krasnodon, mais elles portaient sur des revendications salariales et les travailleurs ont refusé les récupérations politiques des candidats « pro » ou « anti » Maïdan. D’autres grèves plus récentes, parmi les mineurs, se sont élevées contre les actions « antiterroristes » de Kiev (dénonçant les risques des bombardements pour les mines).
Même si on peut dénoncer l’hypocrisie de Poutine appelant à des dialogues qu’il pratique peu chez lui, ou niant toute intervention extérieure, celle-ci ne prend pas la forme d’une invasion militaire. La violence des milices armées « anti-Kiev », bloquant tout dialogue, suppose certes une réponse adéquate. Mais celle-ci pourrait s’appuyer sur les aspirations démocratiques et pacifiques des populations. Et la défense de l’unité du pays implique des réponses autres que militaires. Même s’il est difficile de faire la part des propagandes mensongères, il s’avère bien que les opérations « antiterroristes » lancées par Kiev ont été inefficaces pour sortir du chaos et incapables de gagner la confiance des populations. Ce que Poutine veut exploiter.
5. Politique impériale de la Russie
Depuis 2008 et à la faveur de contradictions impérialistes, la Russie cherche à se réaffirmer comme grande puissance, après sa marginalisation depuis 1989.
Le démantèlement de l’URSS et la restauration du capitalisme en Russie se sont traduites dans la phase eltsinienne des années 1990 par un pillage des richesses dominé par de quasi-fiefs féodaux oligarchiques contrôlant l’État. La Communauté des États Indépendants (CEI) n’a guère eu de substance dans cette phase. L’État russe eltsinien a perdu sa puissance interne et externe, en dépit de sa sale guerre en Tchétchénie. L’intégration de la Russie au « G8 » ne bernait personne quant à son poids réel.
L’ère Poutine s’est traduite, tout d’abord, dans les années 2000, par le rétablissement d’un État fort interne, reprenant le contrôle de ses oligarques et des exportations – après la crise des paiements de 1998 – notamment dans le secteur du gaz et du pétrole. Cela s’accompagna d’une « démocratie dirigée », encadrant les élections et les grands médias et réprimant les protestations en même temps qu’étaient démantelées les anciennes protections sociales. La reprise d’une forte croissance s’est accompagnée d’une internationalisation de la présence économique et financière des oligarques russes ainsi que de plusieurs tentatives de Moscou de créer autour de la Russie un « espace » économique plus intégré que la CEI.
Le régime russe tente notamment depuis 2011 de transformer l’Union douanière déjà mise en place avec la Biélorussie et le Kazakhstan (et que l’Arménie a rejointe), en un projet d’ « Eurasie » à l’horizon 2015 s’adressant également à l’Azerbaïdjan, l’Ukraine, voire à la Géorgie et la Moldavie : il s’agit, en jouant notamment sur l’arme des tarifs gaziers, de leur offrir une alternative au « Partenariat oriental » avec l’UE : l’enjeu est pour la Russie d’affronter la concurrence de la Chine et du capital occidental mais aussi de contrer les tentatives d’incorporation de ses « voisins proches » dans les institutions euro-atlantiques (UE et OTAN).
La Russie exploite aussi les dépendances et « partenariats » que les grandes puissances impérialistes ont établis avec elle, que ce soit dans la « lutte contre le terrorisme » ou la gestion de la crise syrienne. Elle tire avantage de la crise de ces puissances, mais elle en pâtit aussi à cause de ses propres dépendances, qu’elle s’efforce d’atténuer par le déploiement de ses rapports à la Chine.
Son coup de force en Crimée s’est appuyé sur l’appareil de Ianoukovytch et sur l’extrême droite « eurasienne » pour marquer un nouveau rapport de forces dans les négociations internationales. Mais il n’est pas sûr que Poutine contrôle les forces séparatistes d’Ukraine et les dynamiques porteuses de dangers, au-delà des gains de court terme : l’Azerbaïdjan a rejoint les critiques contre l’annexion de la Crimée qui n’est pas pour rassurer les voisins que Moscou voudrait associer.
6. Impérialismes occidentaux
La chute du Mur de Berlin était acceptée par Gorbatchev dans le contexte du « désengagement soviétique » : abaisser le coût de la course aux armements et gagner les crédits occidentaux étaient sa priorité. Dans les négociations entreprises en Allemagne, il avait prôné la dissolution des deux blocs militaires ; puis il avait dû accepter l’entrée de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN, moyennant l’engagement des États-Unis qu’aucune troupe ou arme étrangères ne seraient stationnées à l’Est et que l’OTAN ne s’étendrait pas davantage.
Mais l’impérialisme étatsunien a fait le choix d’élargir l’OTAN à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999, puis à la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie en 2004, ainsi que l’Albanie et la Croatie en 2009.
Et les forces « pro-occidentales » des « révolutions de couleurs » en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004), puissamment soutenues par les États-Unis, avaient demandé leur intégration à l’OTAN et à l’UE.
Cette-dernière était pourtant divisée quant aux rapports à la Russie. En témoignaient les liens directs que l’Allemagne (ou l’Italie) avait préféré nouer avec Moscou pour son approvisionnement en pétrole.
En 2009, les dirigeants polonais soutenus par la Suède, ont prôné un « Partenariat oriental » de l’UE – à défaut de nouveaux élargissements, il s’agissait d’un accord « complet et approfondi de libre-échange » avec tous les anciens pays de l’ex-URSS limitrophes de l’UE – dont l’Ukraine. La Russie réagit par le projet d’Eurasie offert aux mêmes pays avec l’objectif d’une redéfinition des rapports continentaux, où la Russie serait un pôle dominant, mais aussi un contrepoids aux exigences de l’UE.
Iakounovytch, alors que l’Ukraine était au bord de la cessation de paiement, négocia jusqu’en 2013 des accords avec l’UE, sous pression de la Russie et du FMI. Il demanda des rencontres tripartites (Ukraine, Russie et UE) alors refusées par cette dernière. Aujourd’hui, les États impérialistes occidentaux cherchent un accord avec la Russie – en dépit des grands discours. Aucun d’eux, pas plus que le gouvernement de Kiev, ne maîtrise les affrontements sur le terrain qui peuvent dégénérer en véritable guerre civile.
7. Souveraineté de l’Ukraine
L’unité de l’Ukraine passe par la neutralité militaire, le retrait des troupes russes, le refus des politiques antisociales.
Seul un front anti-guerre et anti-fasciste (ukrainien et international) contre les forces réactionnaires de tous bords, enraciné dans les populations, peut l’imposer, contre les diktats impérialistes russes et occidentaux, en défense de droits sociaux et nationaux, contre les violences.
Ce sont des objectifs que les forces progressistes de la Russie à l’UE défendront contre le FMI et les accords de « libre-échange » – en reconnaissant le droit du peuple ukrainien de décider de ses liens internationaux.
La question nationale est au centre de l’activité politique en Ukraine. Comme le dit l’Opposition de gauche : « La renaissance nationale et culturelle de la nation ukrainienne et des autres nations de notre pays n’est pas possible sans que les problèmes sociaux soient résolus ». En Ukraine, une gauche qui laisserait la dimension nationale aux nationalistes se condamnerait d’avance à un échec, car dans le camp nationaliste il y a déjà des courants montants qui, profitant de la marginalité de la gauche socialiste, prétendent apparaître aux yeux des travailleurs comme une alternative.
Le bureau de la Quatrième Internationale