Dans les heures qui ont suivi la signature de l’accord, la ministre de la Culture s’était félicitée de voir sauvé le régime spécifique d’indemnisation chômage des intermittentEs du spectacle que le Medef avait, comme à son habitude, annoncé vouloir supprimer. Elle espérait camoufler le scandale de cette nouvelle convention qui s’attaque aux plus précaires et aux intérimaires.
L’offensive médiatique fut tapageuse comme à chaque fois qu’il s’agit des intermittents du spectacle : les chiffres donnés sont faux, les arguments mensongers. Seulement, la propagande n’a pas fonctionné. Depuis des années, les intermittentEs sont devenus les experts de leur situation : ils ont démonté méticuleusement les arguments du patronat. Un « comité de suivi », créé dans la foulée de la grève des festivals de 2003, avait ainsi avancé un ensemble de propositions dont pas une seule n’a été discutée lors de la parodie de négociations du 22 mars.
Le cri de victoire de la ministre a donc fait long feu. La CGT a, depuis, saisi la justice pour réclamer la « nullité » de la nouvelle convention. Mais la riposte est avant tout militante. Le 12 mai en AG, les intermittentEs interpellaient le gouvernement désormais seul responsable de la situation : il appartient, en effet, au ministre du Travail d’agréer ou pas l’accord, et par là de se désolidariser du Medef (ce même ministre qui se déclarait solidaire des intermittentEs jusqu’à ce qu’il prenne ses fonctions...). « Tant qu’un ministre sera dans la salle, nous ne jouerons pas », affirmaient-ils !
Amplification et radicalisation
Depuis, la situation s’est radicalisée, le mouvement amplifié. Ministre ou pas dans la salle, les intermittentEs s’orientent vers la grève. Cette solution n’est pas sans conséquence : elle peut les priver de quelques cachets décisifs pour l’ouverture ou la reconduction de l’indemnisation chômage. Elle les contraint aussi à renoncer à la présentation d’un travail qui les a occupés parfois plusieurs mois ou années. Le choix de la grève dit combien la colère contre le gouvernement est forte ainsi que le refus de voir l’accord agréé.
Début juin, le festival « Le Printemps des comédiens » à Montpellier a lancé le mouvement de grève qui se généralise depuis. D’autres festivals ont fait de même, des écoles d’art les ont suivis. Les initiatives se multiplient, au quotidien. Les ministres ne se déplacent plus sans comité d’accueil. La panique du gouvernement est palpable, terrorisé à l’idée de voir les festivals d’été annulés, avec ce que cela signifie comme fortes pertes économiques.
Dans l’urgence, ils ont nommé un médiateur (favorable à la convention !) chargé de rendre des conclusions pour fin juin. Tout en confirmant l’agrément, Valls a annoncé ouvrir une vaste concertation sur l’intermittence, oubliant que ce n’est pas sur ce seul point que s’organise la résistance mais sur la totalité de l’accord Unedic. De leur côté, le Medef, la CFDT et FO accentuent la pression. « Revenir sur l’accord sur les intermittents mettrait fin au paritarisme », affirmait ainsi Jean-Claude Mailly (FO)...
La journée de grève et de manifestations du lundi 16 juin, particulièrement suivie, témoigne de la mobilisation ascendante, de la solidarité du milieu culturel, initiant d’ailleurs en de multiples endroits des convergences avec le mouvement des cheminotEs. Les prochains jours seront décisifs, entre les tentatives d’enfumage et de diversion du gouvernement, la perspective prochaine des festivals d’été et la radicalité grandissante d’un mouvement déterminé à mettre en échec la politique de Valls et de Gattaz.
Olivier Neveux
* Hebdo L’Anticapitaliste - 247 (19/06/2014).
Intermittents : « Tant qu’un membre du gouvernement sera dans la salle, nous ne jouerons pas »
Entretien. Nous avons rencontré Samuel Churin de la Coordination des intermittents et des précaires d’Île-de-France pour faire le point sur le mouvement contre l’accord de l’Unedic.
Olivier Neveux – Pourquoi s’organiser en tant qu’intermittents et précaires ? Comment est envisagée cette convergence ?
Samuel Churin – La convergence est allée de soi dès 2003. On ne s’est pas appelé « Coordination du spectacle » car notre lutte n’est pas une question de culture, mais une question de droits sociaux (c’est d’ailleurs la responsabilité du ministre du Travail qui est engagée). Le problème posé est celui de l’assurance-chômage. Et à ce titre, le modèle des intermittents qui assure une continuité de revenus pour une discontinuité d’emploi pourrait concerner tout le monde. Nos activités sont par nature courtes et précaires, et c’est pour cette raison que nous avons acquis des droits spécifiques (très fortement détériorés depuis l’accord de 2003). Depuis la reconnaissance de l’intermittence, ce qui était notre spécificité s’est amplifié : 86 % des embauches se font désormais en CDD. Et si nous sommes attaqués, c’est bien parce que le Medef ne veut surtout pas que notre modèle serve aux autres.
Plus largement, il est catastrophique de voir combien c’est la disquette du « plein emploi » qui fonctionne encore, y compris pour le NPA. On confond travail et emploi. Mais nous sommes, nous intermittents, l’exemple même que l’emploi ne recouvre pas nécessairement le travail. Ce qu’il nous faut accomplir, en amont, sur les projets, l’apprentissage du texte, tout cela c’est du travail qui n’est pas comptabilisé dans l’emploi. Au mieux, nous sommes payés le premier jour des répétitions alors qu’un travail énorme a déjà été fourni. Ce travail échappe à l’emploi. Il faut donc savoir si l’on considère que ce travail doit être rémunéré. Et si oui, se pose alors la question d’un salaire socialisé qui éviterait des droits sociaux de misère et les stigmatisations.
Que révèle l’accord de l’Unedic de mars dernier et où en sommes-nous ?
Rebsamen a signé le 9 mars dernier la tribune qui validait nos contre-propositions. Puis il est devenu ministre. Et il nous dit maintenant qu’il va être obligé de valider l’accord car ce dernier est majoritaire. C’est un classique : tous les socialistes soutenaient nos propositions... jusqu’en 2012. Son argument est de très mauvaise foi. Si l’accord arrive sur sa table, c’est inévitablement qu’il est majoritaire ! Et cela n’empêche rien : Aubry en 2000 avait dit non à un accord majoritaire (le Medef et la CDFT avaient alors menacé de quitter l’Unedic, ce qu’ils n’ont évidemment pas fait). Et, d’ailleurs, à propos des intermittents, en 2003, l’accord était aussi majoritaire et les socialistes se battaient contre ! Il ne faut pas se leurrer sur ce qui se joue : soit il agrée soit il démissionne. Car, dans le Pacte de responsabilité, sur les 50 milliards d’euros, il en y a 2 d’économies qui concernent l’Unedic. Le PS a décidé de faire des économies sur les pauvres et les précaires. Tout cela s’inscrit dans une logique d’ensemble – et l’accord comprend, à ce titre, une attaque sans précédent contre les précaires, les intérimaires (annexe 4), avec l’introduction des « droits rechargeables » qui rendront les chômeurs corvéables à merci, dans l’obligation d’accepter n’importe quel boulot pourri, avec des miettes de droits sociaux.
Quelles sont les prochaines échéances pour le mouvement ?
La violence qui nous est faite est celle du gouvernement qui avalise la politique du Medef. C’est lui qui applique la politique d’austérité et qui baisse les budgets (ce que la droite n’osait pas faire), c’est lui qui va très certainement signer l’agrément. Nous avons donc décidé en coordination nationale, et la CGT a rejoint cette proposition, que les membres du gouvernement n’assisteront pas aux festivals : tant que l’un d’entre eux sera dans la salle, nous ne jouerons pas. Une journée de grève est par ailleurs, prévue pendant le festival d’Avignon et d’autres actions sont envisagées. Nous sommes dans une double temporalité : une lutte courte et urgente pour que l’agrément ne soit pas signé et pour que l’accord de l’Unedic ne soit pas appliqué, mais aussi une lutte de longue haleine : nous avons des contre-propositions et nous voulons qu’elles soient étudiées.
Propos recueillis le 29 mai par Olivier Neveux
* Plus d’infos sur le site de la CIP IDF : http://www.cip-idf.org
* Hebdo L’Anticapitaliste - 245 (03/06/2014).
Intermittents : il est encore temps !
* Hebdo L’Anticapitaliste - 241 (08/05/2014).
« Chômeurs, précaires, postiers, intermittents, intérimaires, avec ou sans papier, solidarité ! » Cet appel résonne régulièrement lors de nos actions, il s’allonge au fil du temps et doit encore s’amplifier...
Une telle diversité dans une même lutte n’est pas si courante et pourtant, quoi de plus logique, nous sommes tous attaqués par le nouvel accord sur l’assurance chômage. La mobilisation devrait être générale.
Empêcher les intermittentEs de vivre de leur métier est un projet culturel clair : moins de compagnies, de films ou de festivals indépendants pour ne garder que de grosses productions sous la tutelle de financeurs privés ou publics. Empêcher les travailleurEs privés d’emploi d’être correctement indemnisés est aussi un projet de société clair : obtenir une main-d’œuvre corvéable à merci. Ce projet s’inscrit dans une logique européenne : diminuer le taux de chômage en augmentant le nombre de travailleurs pauvres, multiplier les contrats précaires, pas même renouvelés, comme c’est le cas à La Poste.
L’accord signé le 22 mars par le patronat et des syndicats complices n’a eu pour base que les propositions du Medef. Pourtant d’autres propositions ont été élaborées par les premiers concernéEs, soutenues pour l’essentiel par un comité de suivi à l’Assemblée nationale. Nous exigeons donc au minimum que le ministre du Travail ne valide pas l’accord et que les négociations soient rouvertes sur la base de nos propositions. Rebsamen a signé la dernière tribune du comité de suivi : va-t-il se renier ?
Actions, coordination
Le Medef avait annoncé la catastrophe : la disparition de l’intermittence. Une fois ce scénario évité grâce à une forte mobilisation, certains intermittentEs sont rentrés chez eux, estimant que dans le contexte actuel, ils ne pouvaient pas espérer mieux. La logique de culpabilisation montre encore une fois son efficacité : malgré des licenciements massifs, la majorité des concernés n’ose pas réclamer ses droits. Pourtant l’assurance chômage a été créée pour palier une carence du système capitaliste : elle est un dû, non une aumône.
Nous continuons à construire notre lutte, avec toute notre diversité : avec ou sans emploi, du public ou du privé, syndiqués ou non, organisés en coordination... Le mouvement s’organise en AG, commissions, pour préparer les manifestations, les actions d’information dans les lieux culturels, les Pôles emploi, les agences d’intérim, les occupations sur tout le territoire (locaux de Force ouvrière, journal télévisé de France2, conseil général du PS, bureaux du Medef...).
Dynamisés par les réussites des uns et des autres, les collectifs se sont réunis en coordination nationale pour mutualiser et préparer la suite. Des semaines à thèmes permettront à chaque collectif d’imaginer ses propositions, ses mobilisations, en fonction des opportunités locales. Des dates d’actions coordonnées sont prévues. Un appel à la grève a été lancé pour le samedi 17 mai par la coordination nationale : sera-t-il repris par les syndicats ?
CorrespondantEs
* Plus d’infos : cip-idf.org ; fnsac-cgt.com ; sud-culture.org
Non aux brutalités policières contre les intermittents/Intérimaires/précaires et postiers du 92 !
150 intermittents, chômeurs, précaires en lutte contre la réforme de l’UNEDIC, ainsi que les postiers du 92 en grève depuis 87 jours ont mené aujourd’hui en direction du Ministère du Travail une action commune. Ils ont été gazés et matraqués avant d’avoir pu se rendre sous les fenêtres de M. Rebsamen. Le NPA exige le retrait de la police qui encercle les manifestants qui ont pour seul tort de se battre contre la précarité. Il soutient les revendications de ces deux mouvements sociaux : chômeurs, précaires, postiers, intermittents, intérimaires, avec ou sans papiers, solidarité !
NPA, Montreuil, le 25 avril 2014