Entretien. « Houille, ouille, ouille » ! Dans le Nord, un collectif de citoyens lutte contre l’exploitation des gaz de couche. Nous avons rencontré Christine Poilly, militante de l’association « Houille-ouille-ouille 59/62 » [1].
Alain Jacques – En quoi ces gaz sont si différents ?
Christine Poilly – Les gaz de couche sont contenus dans les veines de charbon qui n’ont pas été exploitées. Le gaz de couche est absorbé à la surface du charbon et de ses porosités. Sans fracturation de la roche, on aura un débit qui suffit à estimer la ressource, et les entreprises obtiennent donc des permis de forage pour l’exploration. Par contre, lorsqu’il s’agira de passer à l’exploitation rentable de ces gaz, on ne connaît pas pour l’instant de technique autre que la fracturation hydraulique. La société EGL tente de mettre en place une technique de forage dévié – une « fracturation light » – mais pour l’instant les essais en Lorraine sont des fiascos. Si les gaz de couche étaient exploités en France, cela ouvrirait la porte à l’expérimentation sur la fracturation hydraulique et donc aussi à l’exploitation des gaz de schiste.
Gaz de couche ou gaz de schiste, il s’agit de méthane, des gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. Or, on voit aux États-Unis que 4 % à 8 % des gaz qui sortent des puits se retrouvent dans l’atmosphère. Ces déperditions sont inévitables puisque les molécules de méthane sont cinq mille fois plus petites que les porosités créées par les tubages en ciment. De plus, les forages créent des séismes et nul ciment n’y résiste, ce qui fait craindre le pire à long terme quant aux pertes de méthane dans l’atmosphère.
Comment réagissent les populations concernées ?
Ces projets de forage ayant été mis en place sans aucune information à la population, quand les intéresséEs les découvrent dans nos réunions, la première réaction est souvent l’indignation contre ce déni de démocratie.
Constater cette union d’une partie de la population autour de la défense de leur territoire, face à un projet destructeur de l’environnement, est porteur d’espoir. Une telle lutte amène toujours une réflexion collective : pourquoi de tels projets ? C’est une remise en cause du système capitaliste et productiviste. Cela prend du temps.
Et les emplois ?
De l’aveu même du président de EGL, la société qui réaliserait le forage, on crée un à deux emplois par puits, ce qui correspond à la réalité des chiffres aux États-Unis.
Agir sur les économies d’énergie : isolation des bâtiments, relocalisation des productions agricoles et industrielles… permettrait de créer bien plus d’emplois, tout en préservant l’environnement.
Et les essais envisagés en Algérie ?
Des entreprises françaises comme Total ou GDF-Suez par exemple ont abandonné l’idée de pouvoir faire de l’expérimentation sur de nouvelles techniques en France, au vu de la réaction des populations, poussées par les collectifs en lutte contre les gaz de schiste et des lois de protection de l’environnement. Aller jouer à l’apprenti sorcier dans le sud algérien et mettre en jeu une nappe phréatique albienne qui couvre plusieurs pays et alimente des centaines de milliers de personnes est tout à fait scandaleux (énorme consommation d’eau et pollution possible de la nappe). Des collectifs algériens se mettent en action pour le dénoncer et interroger leurs gouvernants sur la politique énergétique de l’Algérie : pourquoi ces entreprises, dont les pratiques s’apparentent à de la néo-colonisation, n’opèrent-elles pas dans leur propre pays ?
Quels convergences ici et à l’internationale ?
La lutte contre ces projets est globale : elle doit s’appuyer sur une volonté des populations locales d’en préserver tous les territoires. Les convergences à construire sont de deux ordres.
D’abord une convergence de toutes les luttes en France : nous ne luttons pas ici contre un projet de gaz de couche et là-bas contre 60 km d’une nouvelle ligne THT ou contre une usine à mille vaches ; nous luttons contre une politique globale, basée sur la recherche d’une croissance illusoire, laissant la main aux multinationales et aux grandes entreprises à la recherche de profits au mépris des dégâts sociaux et environnementaux.
Ensuite, il faut construire des solidarités internationales : nous ne voulons des gaz de schiste ni ici ni ailleurs, ni aujourd’hui ni demain. Un réseau euro-maghrébin est en cours de construction depuis février dernier. Une solidarité est née entre les luttes de différents pays et les collectifs ont par exemple interpellé François Hollande au sujet de la situation en Algérie ou dénoncé la violence contre les opposants en Angleterre ou en Pologne.
Propos recueillis par Alain Jacques