Militant de l’Union socialiste « Opposition de gauche », j’ai été sur le Maïdan, avec mon drapeau rouge, depuis le premier jour. Je n’ai pas dormi sous les tentes, mais j’y étais presque chaque jour au cours des derniers mois. Et ce drapeau rouge, que nous avions hissé le 24 novembre, je l’ai amené pour vous montrer que la gauche était présente sur la Maïdan, qu’il ne s’agissait pas d’individus isolés, mais qu’elle y était avec ses opinions et son programme de changement social.
Un mouvement populaire de masse
La première chose que je voudrais souligner, c’est qu’EuroMaïdan est un mouvement populaire de masse, spontané, et non un événement fabriqué artificiellement.
Je n’ai jamais vu autant de monde manifestant au centre de Kiev, du moins depuis 2004, lors des rassemblements de la révolution orange. Au cours de la décennie passée, aucun rassemblement politique, ni même aucun événement apolitique, n’avait eu cette ampleur.
Les manifestations de la droite extrême, en particulier ces dernières années, ont pu rassembler quelques milliers de personnes. Ils ont été capables de faire venir jusqu’à peut-être dix mille personnes le jour de gloire de l’Armée insurrectionnelles ukrainienne (UPA). Mais le dimanche du premier rassemblement de l’EuroMaïdan, nous étions au moins cinquante mille.
Il n’est pas possible de fabriquer un tel mouvement. Il est clair qu’il s’agissait d’un mouvement de masse de la majorité des gens ordinaires de Kiev, scandalisés par un gouvernement corrompu, inefficace et vorace. C’était une levée de masse contre les oligarques qui pillent le peuple ukrainien.
Le système politique et économique de l’Ukraine contemporaine a été construit par les oligarques pour leur permettre un pillage légal, intense et facile. Ce système, totalement contrôlé par les oligarques, leur a fourni une législation fiscale qui fait de l’évasion fiscale une pratique parfaitement légale et courante. Si vous êtes un oligarque ukrainien, vous êtes de facto exonéré de l’impôt sur le revenu. C’est cela, malheureusement, la loi qui régit l’économie ukrainienne.
Le plus grand fardeau fiscal s’abat sur les travailleurs et sur les petits propriétaires. Même l’impôt sur le revenu (où nous avons formellement des taux fixes), qui est formellement progressif, ne l’est nullement en réalité. Les salaires sont imposés d’office à 40 % alors que les dividendes des actionnaires bénéficient d’une taxe « fixe » à 17 %.
Pour la plupart des gens en Ukraine, « l’Europe » signifie le bien-être et la justice, et tout d’abord la justice sociale ! J’ai discuté sur le Maïdan avec de nombreux travailleurs et syndicalistes. Les mineurs de fond de Louhansk (c’est l’extrême-orient de notre pays) disaient qu’ils sont venus ici car ils veulent que la justice fonctionne en Ukraine. « Nous soutenons EuroMaïdan, car voulons vivre dans un pays normal où les décisions des tribunaux sont appliqués », expliquait Volodymyr Sokolov, dirigeant du Syndicat indépendant des mineurs de Rovenki, dans la région de Louhansk. « Nous avons des tribunaux, mais même quand ils prononcent un jugement qui défend nos syndicats ou nos militants, il ne peut être exécuté ! En réalité, cela signifie que l’employeur peut licencier qui il veut et ne tenir aucun compte du syndicat. Nous devons arrêter ces pratiques ! Nous exigeons une réforme de la justice et un État de droit dans notre pays. L’Accord d’association avec l’Union européenne comprend un engagement de réaliser une réforme judiciaire – c’est pour cette raison que nous demandons que le gouvernement le signe ! »
C’est pour cette raison que l’Opposition de gauche a également soutenu l’Accord d’association, mais à condition de na pas agréer l’accord de libre échange. Dans le volet politique de cet accord d’association avec l’UE, il y a également un certain nombre de formulations très discutables, mais dans l’ensemble cet accord pourrait nous aider à réaliser plus de démocratie en Ukraine, à obtenir la liberté de penser et la primauté du droit. Le droit du travail en Ukraine est encore celui qui existait en URSS : dans la majorité des cas, la loi est formellement du côté des travailleurs et non des employeurs. Contrairement à la Russie, ce code du travail soviétique a été préservé en Ukraine. Nous voulons que ce code du travail « soviétique » soit appliqué en Ukraine !
La gauche et les agressions de l’extrême droite
La droite radicale a essayé, de manière systématique, d’exclure la gauche de l’EuroMaïdan, mais elle n’a pu le faire. Il est vrai que l’opposition de droite a été à l’origine de ces mobilisations. Et il est vrai également que le courant le plus organisé et le plus influent au sein de cette droite, c’est le Parti « Svoboda » (« Liberté ») qui est d’extrême droite. Je considère qu’il s’agit d’un parti qui veut se développer dans la tradition du nazime. Ce n’est pas une accusation sans fondement ni un « argumentum ad Hitlerum ». Certains de ses dirigeants ont fait de grands efforts pour populariser le patrimoine de Hitler et de Goebbels. Par exemple le principal théoricien de « Svoboda », le sieur Mikhalchychtchyn a personnellement traduit en ukrainien le « Petit abécédaire du national-socialisme » (Das kleine ABC des Nationalsozialisten) du Dr Goebbels, qu’il a publié dans un recueil d’articles au côté du « Programme en 25 points du NSDAP » et de l’essai de Ernst Röhm « Pourquoi les SA ». Le sieur Mikhalchychtchyn a rassemblé et publié tout cela avec ses élucubrations théoriques sur la pertinence et l’actualité du nazisme pour l’Ukraine actuelle. Un de ses articles porte le titre : « Le révolutionnaire national-socialiste ».
Il n’est pas surprenant que, une fois la grande manifestation de masse terminée, la densité des nazis au mètre carré ait augmenté de manière spectaculaire. Le 27 novembre, la hampe du drapeau rouge que j’avais planté a été brisée par les nazis du gang « S-14 » lié à « Svoboda ». Comme vous pouvez le voir, ils ont un peu déchiré le drapeau, mais n’ont pas réussi à le détruire. Mais beaucoup de nos drapeaux ont été détruits. Au cours des jours suivants, de nombreux militants de gauche et syndicalistes ont été attaqués. Le soir du 29 novembre, il semblait que l’EuroMaïdan se terminait – plus que quelques centaines d’étudiants radicaux restaient sur la place. Mais, comme vous le savez, l’attaque brutale de la police anti-émeutes Berkout, à l’aube du 30 novembre, a indigné le peuple et les manifestations sont redevenues très massives.
Dès que la nouvelle vague de manifestations a rempli les rues de Kiev, les nazis sont redevenus une minorité marginale, incapable de contrôler le mouvement. La propagation des idéaux socialistes est redevenue possible à chaque fois qu’il y avait un rassemblement massif. Et, en dehors de la place centrale où les nazis dominaient par moment, cela est resté toujours possible partout à Kiev.
En particulier, au cours des premiers jours de décembre, nous avions organisé des actions de la gauche, au centre de Kiev, en dehors de la place centrale. Au cours d’une d’entre elles – une marche contre la violence policière exigeant la dissolution immédiate de Berkout – nous étions plus de 200 militants. Malheureusement nous n’avions pas eu la possibilité de prévenir les autorités de l’administration kiévienne, car ses bureaux étaient occupés par nos adversaires de « Svoboda » et de « S-14 ». Par conséquent, cette manifestation n’était pas conforme aux procédures juridiques, mais personne ne nous a attaqués, ni la police ni les nazis. Et, cette fois-ci, nous n’avons pas eu de problèmes avec la police politique.
Lors du grand rassemblement du dimanche 9 décembre, nous avons pu faire une intervention réussie, près de la station du métro Krechtchatyk, en organisant un débat autour du « microphone libre ». Nous avions des pancartes et des drapeaux tout neufs, mais nos interventions avaient le même caractère socialiste.
Après les lois d’urgence
Des jours et des semaines passaient. Comme le gouvernement ne réagissait pas, la colère montait. Nous avions froid, nous étions fatigués, nous étions encore plus révoltés. Le gouvernement attendait que le mouvement s’effiloche, ne montrant aucune volonté de négocier, même pas avec l’opposition parlementaire. Et lorsque le nombre de manifestants s’est réduit, le gouvernement a décidé de briser ceux qui restaient.
Alors la colère des manifestants contre le gouvernement a éclaté et l’insurrection a commencé.
La première attaque contre Berkout a été organisée essentiellement par les néonazis du « Secteur de droite », encore plus extrémiste que « Svoboda ». Mais il est aussi vrai que, durant ces journées, la lutte a unifié les gens ordinaires d’opinions très diverses. Des milliers de gens ont rassemblé des pneus, les ont arrosés d’essence et d’huile de vidange pour maintenir des immenses feux. Un mur de feu qui défendait Maïdan contre Berkout. Parmi les insurgés, j’ai vu des gens très divers – et, entre parenthèses, en majorité russophones – et beaucoup de jeunes des banlieues. Ces insurgés étaient très différents de ceux rassemblés sur la place centrale, à ce moment-là en majorité ukrainophones et venant des villages de l’Ukraine occidentale.
Après l’introduction des lois d’urgence [adoptées le 16 janvier] la plupart des citoyens de Kiev se sont révoltés. Et la tension a encore monté après l’assassinat des militants de Maïdan. Sur les places de l’Indépendance et de l’Europe, où en général ne restaient que quelques centaines de personnes durant les nuits, cette nuit-là il y en a eu des dizaines de milliers, qui y sont restés jusqu’à l’aube. Cette mobilisation de masse a sauvé Maïdan contre l’attaque préparée par la police.
Tout le monde pensait que la police allait charger la place. Tous attendaient l’attaque de Berkout. Selon la nouvelle loi, tous les manifestants étaient des criminels. Il y avait parmi eux des groupes d’extrême droite, mais aussi de gauche radicale, surtout des anarchistes. Mais la très grande majorité des manifestants critiquait aussi bien l’opposition parlementaire que les extrémistes de la droite xénophobe. Les pierres et les cocktails Molotov touchaient les policiers, dont certains ont été blessés. Et même si nombre de jeunes considéraient cet affrontement comme un jeu, alors que certains d’entre eux étaient tués, ce fut un véritable soulèvement populaire, une insurrection des Ukrainiens, des gens de diverses nationalités et de divers groupes ethniques, en faveur de la démocratie en Ukraine.
Il y avait beaucoup de ressources. Imaginez des personnes âgées, alignées dans les chaînes qui font passer les pavés et les pneus aux combattants. Des vieilles femmes qui aident leurs petits-fils à remplir les cocktails Molotov.
En tant que journaliste, j’étais présent sur les barricades devant le stade Dynamo et j’ai été immédiatement entraîné. « Prends un cocktail, ami », m’a salué chaleureusement un jeune homme en cagoule. Il était difficile de résister, mais le garçon voyant mon hésitation et ma carte de presse n’a pas insisté.
Face à une telle détermination des masses, le gouvernement a été obligé de cesser l’emploi de la force contre les manifestants. Toute tentative de disperser Maïdan aurait provoqué un encore plus grand nombre de morts et de blessés.
Toutefois, cette action de masse, qui a empêché la mise en place des nouvelles lois d’urgence, anti-démocratiques, a également donné un nouvel élan aux éléments les plus anti-démocratiques au sein du mouvement Maïdan. Après la première bataille contre la police, les groupes néonazis se sont renforcés et se sentaient assez forts pour se proclamer leaders du mouvement.
La gauche active dans les mobilisations
Mais la gauche s’est également renforcée ! Cette révolution est très différente de la « révolution orange » de 2004. Cette révolution prend la parole ! Le débat public se poursuit en continu dans de nombreux endroits. Il ne se limite pas à la grande scène de la place de l’Indépendance, il y a aussi les débats dans « l’Université ouverte » et autour des « microphones libres » dans les rues, ainsi que des débats continus dans les immeubles occupés.
Peu après les affrontements du 19 janvier sur les barricades de la rue Hrouchevsky, les étudiants de gauche ont occupé une partie de la « Maison de l’Ukraine » et y ont organisé une agitation systématique.
Malgré une situation difficile, la gauche a été acceptée à Maïdan bien mieux qu’auparavant. Nous avons pu intervenir de manière systématique dans la « Maison de l’Ukraine » et dans le Centre étudiant au côté des organisations de gauche et progressistes. Une bibliothèque des livres et des brochures de gauche a été mise en place, des tracts de la gauche ont été distribués ainsi que notre Manifeste en 10 thèses, des débats publics ont été organisés.
Il y eut de nombreuses discussions, des exposés, des présentations de films. Il y a eu aussi la présentation de la nouvelle édition de la revue Spilne (« En commun »), qui a été très réussie. Personnellement, j’ai commencé mon discours en me présentant comme communiste et je l’ai terminé en exigeant une « lustration » sociale [1] : révocation immédiate des oligarques et des très riches de tous les postes de pouvoir. Je tiens à souligner que toutes thèses du programme de transformation sociale de l’Opposition de gauche ont été acclamées. Assistaient à ce débat, dans la salle de la « Maison de l’Ukraine », des gens venant de l’Ukraine occidentale, qui se considèrent « anticommunistes » et des gens de l’Ukraine orientale, qui se disent « antibanderistes » [2]. Mais tous pensent que la justice sociale est nécessaire ! Tous soutiennent le programme d’une lustration sociale radicale ! L’idée de la justice sociale peut unir l’Ukraine – et c’est la seule qui le peut.
Nos propositions – y compris le contrôle ouvrier et la privation des millionnaires des droits électoraux – ont été bien accueillies.
Ce débat a eu lieu le 17 février. Le lendemain, il y eut une nouvelle attaque violente et nous avons été obligés d’évacuer la « Maison de l’Ukraine », perdant ainsi tout notre matériel. Mais nous n’avons pas perdu notre engagement ! Nous avons pu retourner dans cet immeuble une semaine plus tard, mais tout avait disparu.
Un autre exemple de l’engagement de la gauche dans les mobilisation de Maïdan : peu après la fuite du président Ianoukovytch, les étudiants ont occupé l’immeuble central du ministère de l’Éducation et de la science. Et, élément important, ils en ont interdit l’accès aux gens du parti « Svoboda ». Au sein du nouveau gouvernement, le poste de ministre de l’Éducation et de la science a été attribué à « Svoboda », mais ce parti n’a pas osé y nommer un de ses extrémistes – telle Iryna Farion [3]– mais a proposé le recteur de l’université nationale Académie Mohyla de Kiev, Serguei Kvit, relativement modéré. Et avant que M. Kvit puisse pénétrer dans son nouveau bureau, il a dû défendre son programme devant l’assemblée des étudiants, répondre à de nombreuses questions, y compris agressives. Puis, les étudiants lui ont fait signer une « feuille de route » de développement de l’enseignement qu’ils avaient préparée. C’est cette feuille de route qui a commencé à être appliquée, sous le contrôle de l’assemblée des étudiants.
Mes camarades de l’Opposition de gauche et moi-même, nous sommes désormais engagés dans le projet de publication des données comptables. Mme Kezhova, experte reconnue de l’automatisation, prépare un programme de comptabilité publique de ce ministère et, pour notre part, nous publions sur internet l’ensemble des données comptables. La vice-ministre Ina Sovsun suit de près ce projet et je suis certain qu’il sera terminé pour le 1er avril – à partir de ce moment, la comptabilité du ministère sera totalement publique et mise à jour quotidiennement !
Les ouvriers de Kryvyï Rig soutiennent Maïdan
Un autre aspect important, qui témoigne du caractère démocratique et social de cette révolution ukrainienne, c’est le rôle que les syndicats indépendants y ont joué. Kryvyï Rig est une grande ville industrielle du sud-est de l’Ukraine. C’est une grande ville typique de la région, à majorité russophone, qui compte un million d’habitants, en majorité des ouvriers de l’industrie, surtout des mineurs de fond et des sidérurgistes, produisant le minerai de fer et l’acier. Beaucoup de villes de l’Ukraine orientale ont été désindustrialisées après la crise des années 1990, mais pas Kryvyï Rig. Comme vous le savez, la production de la métallurgie et la construction de machines ont subi une baisse considérable, mais pas la production des matières premières. Cette ville, c’est la capitale du minerai de fer. Même la poussière dans les rues y est rouge.
Les mobilisations de Maïdan y ont aussi été lancées par les petits entrepreneurs et des commerçants, mais le rôle des ouvriers a été rapidement dominant. Il y eut une mobilisation massive sur la place – des milliers de manifestants, au moins 5 000, voire plus. Par comparaison, les manifestations pro-russes attirent une petite centaine de personnes, au maximum deux ou trois cents – et encore la majorité d’entre eux sont des curieux et des militants de Maïdan qui tentent de comprendre qui sont ces gens-là et pourquoi ils portent ces drapeaux tricolores russes dans leur ville. Une anecdote : comme personne ne connaît ces gars pro-russes, qu’aucun d’eux n’a été actif dans la société civile ni n’a participé à la vie politique, des cyclistes y ont été repérés. Vous le savez, Poutine aime bien rencontrer les cyclistes. Alors, ici aussi il a trouvé des cyclistes avec des drapeaux tricolores.
Quoi qu’il en soit, personne ne les avait vus avant. Maintenant, alors que nous discutons ici, il y a encore dix activistes pro-russes qui organisent un piquet devant la mairie, et un peu plus loin, sur la place, il y a un millier de manifestants de Maïdan.
À Kryvyï Rig, les dirigeants du syndicat indépendant des mineurs font partie des représentants élus au sein du Conseil de Maïdan. Le coordinateur du syndicat des mineurs, le camarade Youriï Samilov, est non seulement membre du Conseil de Maïdan, mais il dirige également « l’escadron des mineurs », le principal groupe d’auto-défense locale, composé comme son nom l’indique de mineurs de fond, tant jeunes que retraités.
L’auto-défense joue ici un rôle important d’autant plus que l’administration des mines, qui appartiennent à Rinat Akhmetov (le plus riche oligarque ukrainien, membre du Parti des régions) et à des oligarques russes, ont organisé des groupes paramilitaires de mercenaires, appelés « titouchky ». Ces bandes armées attaquent les manifestants et mettent le feu aux locaux des partis de l’opposition. Les forces de l’auto-défense ont vu le jour pour s’opposer à ces attaques.
Maintenant « l’escadron des mineurs » participe à des patrouilles communes avec la police locale.
Au début des mobilisations les mineurs m’ont dit : « Nous soutenons le mouvement, mais ce n’est pas notre révolution ». Maintenant ils estiment que c’est la leur. Au moins à Kryvyï Rig.
Nouveau gouvernement avec « Svoboda » – reconnaissance, mais pas soutien
Il est vrai que le nouveau gouvernement comprend des représentants du parti d’extrême droite « Svoboda » (3 ministres sur 20). L’extrême droite aspire à fonder un nouveau Reich pour la « race ukrainienne ». L’un des slogans qu’ils ont criés dans les manifestations était une adaptation ukrainienne des termes « Deutschland über alles ». Ils voudraient avoir des armes nucléaires et des missiles intercontinentaux. Et, croyez-moi, l’Ukraine dispose des ressources suffisantes pour le faire. La fabrique des fusées de Dnipropetrovsk peut immédiatement les fabriquer. L’oligarque notoire Ihor Kolomoïsky, qui vient d’être nommé gouverneur de la région de Dnipropetrovsk, a réalisé une inspection de cette usine. Si Kolomoïsky est un des dirigeants de la Communauté juive unifiée d’Ukraine (et de l’Union juive européenne), cela ne l’empêche pas d’être une personnalité anti-ouvrière et de droite.
Mais le désir d’évoquer les nazis ne signifie pas en être automatiquement. Sous la pression du mouvement de masse, ils ne peuvent promouvoir leur ordre du jour droitier, militariste et xénophobe. Le problème, c’est que si l’Ukraine devait faire la guerre avec la Russie, ces mots d’ordre fascistes pourraient probablement devenir acceptables dans la société. Mais pour le moment, nous ne sommes pas en guerre ouverte. Et nous avons une chance de l’éviter.
Jusqu’à maintenant, le gouvernement a complètement oublié les revendications sociales de Maïdan. Au lieu de séparer le pouvoir et les affaires, il a nommé des oligarques aux postes de gouverneurs des régions de Dnipropetrovsk et de Donetsk. Alors que Maïdan exigeait que les richesses des oligarques soient soumises à un impôt supplémentaire de 10 % (« les riches partagent avec les pauvres »), le gouvernement n’envisage pas de taxer les grandes entreprises. Au contraire, ils déclarent consentir à toutes les demandes du Fonds monétaire international (FMI).
Nous n’approuvons pas la politique de ce pouvoir. Nous soutenons dans la pratique quelques-unes de ses initiatives locales – telle la publication de la comptabilité des institutions étatiques – mais nous n’approuvons pas la destruction des monuments ni leurs initiatives législatives dans le domaine linguistique. En se référant à la menace militaire de la Russie, le nouveau gouvernement semble disposé d’intégrer les bandes armées d’extrême droite, qui détruisent les monuments soviétiques, au sein de la police et de l’armée. Nous condamnons l’hystérie chauvine et anticommuniste, qu’ils essayent de gonfler sous la menace de la guerre. D’autant plus que cette hystérie revient tel un boomerang, renforçant le danger de la guerre.
Pour arrêter la montée de la fièvre guerrière et empêcher une véritable guerre à grande échelle, nous devons trouver le moyen de réunifier le pays sur le plan politique. Cela est possible non sur les bases du nationalisme radical, mais autour des exigences de la justice sociale. Beaucoup de gens à l’est et au sud de l’Ukraine ne font pas confiance au nouveau gouvernement. Mais je ne pense pas qu’ils font plus confiance à Poutine et aux extrémistes pro-russes. Il faut noter que le changement foudroyant de l’attitude des députés du Parti des régions ne peut pas satisfaire leurs électeurs de l’Ukraine orientale et méridionale, car ils se sentent floués et exclus du gouvernement. Le Parlement ukrainien est formellement légitime, mais son ex-« majorité » – c’est-à-dire le Parti des régions – ne représente plus personne aujourd’hui. Les électeurs de Crimée le haïssent. Et ce fait est systématiquement utilisé par la propagande séparatiste, y compris par le président du Parlement de Crimée, qui s’est autoproclamé nouveau chef du Parti des régions en Crimée.
Réélection du Parlement, retrait des troupes russes de Crimée !
En conséquence, la première exigence que le Parlement ukrainien doit satisfaire, ce sont de nouvelles élections législatives !
La réélection du Parlement est le seul moyen de le rendre représentatif aux yeux du pays, à l’est et à l’ouest. Je suis certain que dans cette situation il serait très difficile de falsifier les votes, de sorte que la composition du Parlement changerait en faveur d’élus en qui les électeurs ont confiance. Et je suis convaincu également que les exigences de la justice sociale seraient ainsi au premier plan. Il faut pour cela moderniser la loi électorale : abaisser la barre de l’éligibilité à 1 % des suffrages, supprimer le fonctionnement censitaire des élections (annuler le dépôt obligatoire par les candidats d’un million de hryvnia et limiter les dépenses électorales autorisés) et élargir les possibilités de présenter des candidats. Il est donc nécessaire de procéder à une « lustration sociale » – interdire la candidature de ceux dont les revenus dépassent le million ainsi que des représentants des groupes industriels et financiers des oligarques. Les syndicats doivent obtenir le droit d’initiative législative. Sur le plan social, le Parlement doit représenter les salariés et être un outil aux mains de la majorité qui travaille. Aucune confiance dans un gouvernement formé par les riches au profit des riches ! Un tel gouvernement est étranger aux Ukrainiens de l’est comme de l’ouest !
La seconde exigence, mais tout aussi importante, c’est de faire pression sur la Russie pour qu’elle retire ses troupes de Crimée ! Sans réaliser cette condition, un référendum ne peut être légitime et il n’est pas possible de reconnaître l’indépendance. Dans le cas contraire, la Crimée restera un pays non reconnu, victime d’une grave crise économique. Pas de trafic aérien, pas d’eau, pas de touristes… De plus, une telle situation est utilisée par l’extrême droite paramilitaire ukrainienne qui veut étouffer la démocratie et la lutte pour la justice sociale. Nous appelons la gauche européenne à ne pas soutenir l’intervention russe en Crimée. Je dirais même plus : vous devez résister fermement à l’intervention et – évidemment – il faut des observateurs internationaux en Crimée, le plus nombreux possible.
La société civile ukrainienne et même certains organismes gouvernementaux ont besoin de votre aide technique. J’ai mentionné la question d’une comptabilité publique pour lutter contre la corruption au ministère de l’Éducation et de la science. Nous espérons que cette expérience sera étendue bientôt à tous les organismes gouvernementaux. Les Britanniques ont une grande expérience en ce qui concerne l’ouverture des comptes. Nous serions heureux de bénéficier de vos conseils et de votre aide.
Nous vous demandons de soutenir les syndicats indépendants. La plupart d’entre eux sont limités à leur région industrielle et n’ont pas d’influence sur la politique nationale ukrainienne. Il faut les aider à construire leurs propres structures. Ces syndicalistes ont pris conscience qu’il leur faudrait leur propre parti du travail, indépendant des oligarques. Mais ils manquent d’expérience sur comment construire de telles structures.
Enfin, il est important de faire preuve du rejet de l’extrême droite, qui est présente au sein du pouvoir ukrainien !
Et, bien sûr, nous serons heureux d’accueillir à Kiev les militants et les personnalités européennes pour parler de ces questions. Il y est encore possible de parler librement et, j’en suis certain, d’attirer un large public. ■
Zakhar Popovytch