Pour mener à bien sa guerre pour le contrôle des ressources énergétiques du monde, présentée comme une guerre contre le terrorisme, George Bush a déclaré que les armes nucléaires seraient désormais considérées comme des armes du champ de bataille, utilisables dans le cadre de frappes préventives et ciblées. Les menaces du président américain à l’encontre de l’Iran, qui évoquent l’idée d’une attaque nucléaire « chirurgicale » contre les principaux sites industriels de ce pays, imposent de prendre très au sérieux cette évolution. Les semaines à venir risquent fort de voir une « montée aux extrêmes », comparable à celle qui rendit possible l’agression américaine contre l’Irak.
Les États-Unis ne sont malheureusement pas le seul État voyou en matière de stratégie nucléaire. La France a, elle aussi, décidé de s’aligner sur la notion de « guerre préventive » à l’arme nucléaire. Comme l’a reconnu à demi-mot Jacques Chirac, en janvier dernier, dans un discours prononcé sur la base nucléaire de l’Île-Longue (Brest), la France rompt avec la doctrine gaulliste de la dissuasion nucléaire, fondée sur le principe du non-emploi de l’arme. Elle entend désormais utiliser les bombes nucléaires, non plus pour se défendre, mais pour attaquer !
Quel ennemi mystérieux justifierait que l’on emploie contre sa population de telles armes, alors que la France, aux dires mêmes de Jacques Chirac, ne souffre d’« aucune menace directe de la part d’une puissance majeure » ? Les puissances pétrolières, bien sûr ! Car le discours de M. Chirac, prononcé en pleine crise iranienne, est un signe adressé aux puissances du Moyen-Orient : « Contre une puissance régionale, notre choix n’est [plus] entre l’inaction et l’anéantissement. » La France pourra recourir à la bombe nucléaire afin de « [ garantir ses ] approvisionnements stratégiques »...
C’est tout l’intérêt des minibombes nucléaires d’attaque dont se dote la France, à partir du milieu des années 1990, dans le plus grand secret. En plus de permettre, comme le souligne Jacques Chirac, de viser « les centres de pouvoir et les capacités d’agir » de tel ou tel pays hostile, elles présentent l’intérêt de faire moins de morts que la bombe d’Hiroshima (15 000 morts par bombe, au lieu de 150 000), et donc d’être beaucoup plus acceptables par les opinions publiques occidentales. Les populations civiles visées par les futurs usages « chirurgicaux » de ces minibombes apprécieront le cynisme...
Au milieu des années 1990, alors que la guerre froide s’achève à peine, le monde se prend à rêver d’un nouvel ordre mondial débarrassé de la menace de l’apocalypse nucléaire. La pression des peuples, celle de la diplomatie des pays antinucléaires et la peur suscitée par la crise des missiles de Cuba, en 1962, ont permis la destruction effective, en moins de deux décennies, de la moitié des armes nucléaires mondiales, conformément au Traité de non-prolifération (TNP). Mais, au lieu de considérer l’ère de l’arme nucléaire comme révolue avec la fin de l’affrontement entre les deux blocs, trois pays décident, au contraire, de coopérer techniquement pour donner un nouveau rôle à leurs armes nucléaires : la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, conjointement, lancent à ce moment-là des programmes de recherche et de développement en vue de disposer de minibombes nucléaires, aussi appelées bunker busters, bombes antibunkers.
Les minibombes sont déjà en France. Mais la France ne dispose pas encore de quoi les porter vers leurs futures cibles. Il lui manque un missile permettant des frappes de précision. C’est justement le cas du missile M51, dont EADS achève la construction à Bordeaux. Avec une portée de 10 000 kilomètres - et un coût de plus de dix milliards d’euros -, il menacera la planète entière, avec une précision de tir jamais égalée. Juste ce qu’il fallait pour utiliser les minibombes nucléaires... Les essais ultimes du missile M51 - sans les têtes nucléaires évidemment - sont prévus à l’automne au Centre d’essais des Landes (CEL). Ces essais contreviennent au Traité de non-prolifération. Pourtant, curieusement, les agents de l’Agence internationale de l’énergie atomique, en charge de l’application du TNP, ne viennent jamais chercher les violations du traité chez nous. On les voit en Irak, en Iran, à la recherche d’armes de destruction massive qu’ils peinent à découvrir, mais jamais en Europe, dans les six pays où les États-Unis maintiennent des bases nucléaires, et pas davantage en France...
Devant cette carence, à l’appel de Greenpeace, une large coalition d’associations pacifistes [1], soutenues par des partis politiques comme la LCR, les Verts et le PCF, organise, pour la première fois en France, une grande inspection citoyenne. Avec des milliers d’inspecteurs citoyens venus de toute l’Europe, nous procéderons à l’inspection symbolique du Centre d’essais des Landes, ce terrain militaire ultrasecret situé sur une gigantesque bande de terre le long de l’océan, à Biscarrosse, à 50 kilomètres de Bordeaux.
Pour briser la loi du silence qui règne sur les questions de défense et de nucléaire en France, pour dire que nous refusons la relance de la course aux armements nucléaires en France et ailleurs, pour arrêter enfin le programme de construction du missile M51 à la faveur de l’élection présidentielle, rejoignez l’« inspection citoyenne », du 22 au 24 septembre, à Biscarrosse (Landes). Au programme : une grande inspection citoyenne et européenne, avec parade, manifestations et actions autour du CEL, le samedi 23 ; des forums sur les questions nucléaires civiles et militaires, la lutte contre une possible guerre contre l’Iran, la désobéissance civile, etc., le 24 ; et trois soirées de concerts exceptionnels à prix libre, avec la présence d’artistes majeurs comme Johnny Clegg, les Motivés, Marcel et son Orchestre, la Ruda, La Phaze, la Compagnie Jolie Môme, Enhancer, High Tone, Tagada Jones, Désert Rebel et une surprise musicale et militante de taille... Pour participer, soutenir et profiter d’un départ collectif, rendez-vous sur le site « http://www.nonaumissileM51.org ».
Note
1. Réseau Sortir du nucléaire, Abolition 2000 France, Attac, Mouvement de la paix, MAN, Maires pour la paix, Union pacifiste, Amis de la Terre, Faucheurs volontaires, Mrap...