Une épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola se développe en Afrique de l’Ouest. Elle a déjà fait plus de 2 000 morts. Au Sierra Leone et au Liberia, elle est hors de contrôle. Les structures d’isolement sous-équipées sont débordées, refusent de nouveaux malades. Les personnels soignants manquent de matériel, de gants. Les femmes, qui prodiguent traditionnellement les soins de santé, et les personnels médicaux, paient un lourd tribut à la maladie, parfois sans être payés. MSF et l’OMS parlent d’une épidémie qui pourrait faire plusieurs dizaines de milliers de morts.
La méfiance se développe envers les autorités, mais aussi les personnels médicaux, surtout étrangers. Quand la quarantaine signifie simplement l’isolement par l’armée, la hausse des prix alimentaires, la fin des marchés locaux pour les populations et l’enfermement dans des mouroirs sans moyens pour les personnes atteintes, les familles cachent leurs malades, se replient sur les superstitions et les pratiques communautaires, qu’il faudrait au contraire savoir modifier, avec leur accord, comme les funérailles.
Le marché ou la santé ?
Le virus Ebola a été isolé pour la première fois en 1976, en République démocratique du Congo. Depuis 1994, il se développe en petites épidémies annuelles, dans des communautés villageoises isolées. Il est donc assez rapidement circonscrit, mais il a déjà fait plus de 2 500 morts recensés. Aujourd’hui le visage de l’épidémie a changé : elle dure, se développe, devient urbaine et villageoise, passe les frontières, suit les routes de l’exode rural, des migrations urbaines et des marchés. Pour s’y opposer, le virus Ebola ne rencontre ni la solidarité, minée par les guerres et la pauvreté, ni les forces du marché et de l’État.
Le marché ? Ces quarante ans n’ont pas été mis à profit pour développer tests rapides, traitements ou vaccins. Marie-Paule Kieny, sous-directrice générale de l’OMS, en avoue les raisons : la fièvre Ebola est « typiquement une maladie de pauvres dans des pays pauvres, dans lesquels il n’y a pas de marché » pour les firmes pharmaceutiques. Seuls les militaires se sont intéressés à Ebola. Des crédits ont été débloqués dans le cadre de la lutte contre le bio-terrorisme par les USA. Mais aucun essai clinique n’a été effectué sur l’homme avec les molécules mises au point. Trop cher et pas rentable pour les laboratoires pharmaceutiques. Ce qui fait dire à Marie-Paule Kieny que « d’un point de vue technique, nous ne sommes pas en train de parler de choses extrêmement difficiles. C’est un échec de la société basée sur le marché, celui de la finance et des profits ».
La « coalition mondiale de l’inaction »
Les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI, et leurs cortèges de guerres qui ont ravagé la région, ont détruit les structures publiques, école, hôpitaux, dispensaires. Minées par la corruption, étranglées par le remboursement de dettes illégitimes, celles-ci manquent de financements, de personnels.
Même les grandes institutions internationales ont plus que tardé à réagir à cette maladie de pauvres non solvables, qui se développait loin des capitales, et risque peu de diffuser aux pays riches. Des mois de perdus contre le virus, quand il était encore possible de circonscrire l’épidémie... C’est ce que dénonce aux Nations unies Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières, en parlant de « coalition mondiale de l’inaction » contre une épidémie déclarée « urgence de santé publique d’intérêt international » par l’OMS avec six mois de retard.
Éducation, démocratie et solidarité internationale
Amplifié par les politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI, le virus puise sa force dans les bouleversements induits par la nouvelle phase de l’accumulation du capital : l’exploitation de la forêt par l’agro-business et les grandes compagnies internationales, qui pousse au défrichement et au contact avec la faune sauvage (chauve-souris, singe…) porteuse du virus ; l’appauvrissement de la population rurale, dépossédée de ses terres traditionnelles ; l’enrichissement d’une partie de la population citadine qui pousse à consommer toujours plus la « viande de brousse » porteuse du virus... Et le réchauffement climatique peut avoir favorisé les migrations de chauves-souris réservoirs du virus de la République démocratique du Congo vers l’Afrique de l’Ouest.
Ce n’est pas un médicament miracle qui seul arrêtera l’épidémie, même s’il serait fondamental pour réduire sa mortalité et favoriser l’accès des malades aux centres de soins. L’urgence, c’est un transfert massif de ressources pour développer les centres de soins et d’isolement de proximité, développer les tests rapides, acheminer par un pont aérien matériels et personnels en Afrique de l’Ouest, et rebâtir la confiance entre les populations et les structures de soin et d’isolement.
La lutte contre Ebola a besoin d’éducation, de démocratie et de solidarité internationale contre le profit et la dette immonde.
Frank Cantaloup