Née du refus massif du protocole réformant leur assurance-chômage, signé le 26 juin 2003 à l’UNEDIC, la mobilisation des intermittents du spectacle s’obstine à durer, plus de 8 mois plus tard. Longévité extrême, pour un mouvement social, d’autant plus que la réforme est désormais mise en application. Depuis le 31 décembre 2003, les petites bombes du protocole et de sa circulaire d’application ont en effet commencé leurs aléatoires explosions : trop de droits d’auteurs ? 6 mois de franchise c’est le nouveau décalage. Enceinte avant même la négociation de juin ? Au RMI ce sont les nouveaux congés maternité. 43 cachets, sauvé ? Et bien non, certains valent 8 heures au lieu de 12, c’est la nouvelle règle de conversion des cachets en heures.
Si le mouvement de protestation contre une réforme qui institue l’aléatoire comme règle et le principe du « bas de laine » (le capital de 243 jours d’indemnités) comme seule sécurité sociale, perdure aujourd’hui, c’est probablement parce qu’il a su, dès le début, faire coexister des temporalités très différentes. Dans le même temps où la grève paralysait les festivals, où des plateaux de télévision étaient investis par des manifestants, où les camions transportant du matériel étaient bloqués, des actions en justice étaient initiées contre les signataires et l’agrément, et commençait une minutieuse analyse du protocole, rapidement prolongée par l’élaboration d’une contre-proposition d’indemnisation des salariés intermittents.
En effet, le refus de la réforme signée à l’UNEDIC s’est d’emblée assorti, notamment dans les coordinations, de l’exigence d’une renégociation, associant l’ensemble des concernés, au delà des « partenaires sociaux » habilités à siéger et à décider à l’UNEDIC. Cette exigence a très vite rendu nécessaire une plate-forme qui serait une base de négociation en même temps qu’elle énoncerait le point de vue des principaux intéressés et constituerait la critique en actes non seulement du protocole du 26 juin mais des nombreux dysfonctionnements des annexes 8 et 10 en vigueur jusqu’alors.
Ce « nouveau modèle », élaboré dans l’oeil du cyclone pendant un été houleux, a été adopté par la Coordination Nationale des Intermittents à Lille en décembre 2003. Il est à présent une des bases de travail Comité de Suivi à l’Assemblée Nationale, qui regroupe Coordinations d’intermittents, Syndicats non signataires (CGT, Sud), organisations de professionnels (Syndéac, SRFS), élus de tous bords, et qui s’est donné pour but de convaincre gouvernement et partenaires sociaux de la nécessité urgente d’une réforme.
Pour construire ce modèle, nous sommes partis des pratiques réelles des salariés intermittents : des emplois discontinus, des taux de rémunération variables, des employeurs souvent multiples ; et parfois : une part du travail rémunérée forfaitairement (cachet), une part du travail réalisée en dehors des périodes d’emploi (travail d’écriture, de projets). Nous sommes également partis de leurs besoins : celui d’une continuité de droits pour faire face à une précarité désormais érigée en norme d’emploi ; celui de disposer d’un temps pour soi, libéré des contraintes de l’emploi salarié, sans lequel aucun processus de création, d’invention, de coopération ne sauraient se développer.
Pour répondre à ces besoins, dans une logique mutualiste le nouveau modèle propose 6 articles (dispositifs techniques) et 4 scolies (qui en développent plus précisément tel ou tel aspect), dont on ne reprendra pas ici le détail, mais dont on tentera de commenter les points saillants.
Une annexe unique
Première condition d’un régime d’assurance-chômage mutualiste, l’annexe unique, (déjà proposée dans l’accord FESAC, signé en 2000 par les principales organisations syndicales et patronales du secteur), tient compte en premier lieu d’une réalité massive : énormément d’intermittents effectuent en effet leurs heures en travaillant dans les deux annexes. Ni la distinction technicien/artiste, ni la distinction audiovisuel/spectacle vivant ne saurait rendre compte de la très grande mobilité des salariés au sein du secteur. Avant le 31 décembre, les annexes 8 et 10 étaient d’ailleurs quasiment identiques et on peut apprécier leur différenciation dans le protocole du 26 juin comme une classique tentative de division de salariés partageant pourtant les mêmes pratiques d’emploi. Ne parlait-on pas cet été, au plus fort du conflit, du côté du ministère de la culture, d’un régime comportant 4 annexes (pour le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle vivant, et l’industrie de divertissement), séparant en leur sein même techniciens et artistes ?
La volonté d’atomisation des régimes pour éviter toute contestation massive trouve un prolongement plus habile dans la déclaration récente de François Chérèque (CFDT, signataire), plaidant pour une « caisse complémentaire » permettant de pourvoir aux « avantages spécifiques » (sic) liés à l’intermittence. Autrement dit, il s’agit de faire sortir l’indemnisation de l’intermittence de la caisse interprofessionnelle d’assurance-chômage, de traiter les intermittents en « artistes » (ou en acteurs de la culture) et non plus en salariés ; et c’est bien connu, les artistes ont très peu de besoins sociaux.
Nous réaffirmons quant à nous la nécessité de maintenir cette annexe unique dans un régime d’assurance-chômage de solidarité interprofessionnelle. D’abord parce que ce sont bien des droits de salariés, et non une reconnaissance en tant que catégorie socio-professionnelle, que nous défendons. Ensuite parce que la discontinuité de l’emploi n’est plus guère, et depuis longtemps, l’apanage des seuls salariés du spectacle. En témoignent notamment la croissance exponentielle de l’interim (annexe 4 : « intérimaires et intermittents de l’industrie ») depuis quelques années avec 30% d’augmentation par an, et le recours massif aux CDD dans le régime général. À l’heure où les contrats courts sont la norme sur le marché de l’emploi, sortir le secteur spectacle de l’assurance-chômage interprofessionnelle revient d’une part à détruire à terme le seul régime qui offrait quelques garanties face à la précarité de l’emploi, et d’autre part à feindre de croire encore que cette précarité peut-être contenue dans le bantoustan-spectacle, sans jamais concerner les autres secteurs d’activité, ni par conséquent leur proposer une indemnisation adaptée.
La garantie d’un système mutualiste : la date anniversaire
Le second point essentiel du nouveau modèle est le rétablissement de la date anniversaire. Nous avons opté pour le maintien des conditions d’entrée dans le régime à 507 heures, à effectuer dans une période de 12 mois et donnant lieu à une indemnisation sur 12 mois au cours desquels chaque jour chômé est indemnisé. C’est en effet probablement la mesure la plus désastreuse du protocole que la suppression de la date anniversaire : d’une redistribution mutualiste rythmée par des périodes calendaires les salariés qui ont la chance de travailler beaucoup touchent moins de jours d’indemnité et cotisent pour les plus fragiles- on passe à un système de capitalisation, où chacun, pourvu qu’il ait rempli les conditions d’accès, ouvre son pécule de 243 jours d’indemnités. La consommation de ces jours sera ensuite soumise à une série de règles, plutôt défavorables aux bas revenus, la plus catastrophique étant celle du décalage, qui institue d’inédites carences pour les bas salaires. Un salarié pourra ainsi épuiser son bas de laine en 8 mois s’il est débrouillard, ou en plusieurs années s’il n’a, par exemple, pas la possibilité de s’arranger avec son employeur. Au contraire de cette logique, nous avons choisi d’instituer un mécanisme d’assouplissement limitant l’effet couperet du seuil des 507 heures, et de faciliter l’accès au régime par une meilleure prise en compte des heures cotisées (congés maladie, maternité, formation donnée et reçue, contrats « hors champs » ou à l’étranger, système progressif et plus équitable de conversion des cachets en heures.)
Une meilleure répartition des indemnités : plancher et plafonds
Le mode de calcul de l’indemnité journalière (IJ) que nous avons imaginé se caractérise essentiellement par l’abandon du paramètre SJR. Le « salaire journalier de référence », salaire moyen d’une journée travaillée, n’a en effet aucune pertinence dans des pratiques où le taux de rémunération est variable au cours d’une même période, en fonction des employeurs et des secteurs d’activité. Sa prise en compte incite, de plus, à la sous-déclaration, puisque déclarer des petits cachets aura de lourdes conséquences sur le montant et la fréquence de l’indemnité.
Les paramètres que nous avons retenus pour le calcul de l’IJ sont le salaire annuel de référence, (SAR, la somme des salaires perçus pendant l’année) et le nombre d’heures travaillées (NHT). Plus l’un et/où l’autre de ces paramètres augmente, plus l’IJ augmente. Mais pour préserver le caractère mutualiste de cette redistribution, l’IJ ne peut être inférieure au SMIC/jour, ni excéder 2,4 SMIC/jour (soit 85 euros). En établissant une allocation plancher au SMIC, perçue chaque jour non travaillé, on garantit à tout salarié intermittent que son revenu mensuel allocation + salaire direct ne sera jamais inférieur au SMIC mensuel.
Garantir en période de chômage un revenu de remplacement et non un revenu de complément
Nous proposons de surcroît un dispositif efficace de plafonnement du cumul salaire + indemnités en fonction des sommes perçues dans les 24 derniers mois. Ce système régulateur plus juste et plus équilibré se substitue à la franchise et se veut un véritable garde-fou contre les indemnités « de confort ».
Représentation, financement, champs d’application : revoir la gestion de l’assurance-chômage
Enfin, on ne peut présenter un contre projet d’indemnisation sans en passer par des questions plus structurelles qui mettent en jeu l’assurance-chômage au-delà des seuls intermittents.
La première concerne la représentativité des partenaires sociaux qui siègent à l’UNEDIC. Ceux-ci, au nombre de huit (trois organismes patronaux, cinq confédérations syndicales, à parité), sont nommés par décret gouvernemental et ne sont donc ni éligibles, ni révocables. Or, ils ne représentent en rien les salariés dont ils décident triennalement le sort. Les syndicats représentés totalisent dans le spectacle à peine 8% des salariés. Les syndicats non confédérés, les organisations d’employeurs de branche, les coordinations, les associations de chômeurs, toutes structures apparues dans les trente dernières années, ne siègent pas à l’UNEDIC. Nous proposons de réformer le mode de représentation de l’UNEDIC, en y organisant des élections à listes ouvertes et en mettant fin au monopole des partenaires sociaux sur la gestion de la protection sociale en France.
La seconde et épineuse question concerne le mode de financement de l’assurance-chômage. On nous oppose depuis 1992 et l’instauration de la dégressivité des allocations, le même argument : « il faut sauver le régime, et le prix à payer doit être assumé par tous » ; il consiste immanquablement en l’éviction d’un train d’allocataires, sacrifié sur l’autel d’un déficit montré du doigt comme une faute.
Nous avons plusieurs arguments à opposer à ce scénario éprouvé. Tout d’abord, le déficit de l’UNEDIC est soigneusement apprêté, mis en scène avant chaque réforme d’importance. Pour celle qui nous concerne, la baisse des charges patronales consécutive à l’instauration du PARE dans le régime général est pour beaucoup dans sa dramatisation. Ensuite, il est absurde d’imputer à deux annexes en particulier la spécificité d’un déficit alors que la caisse est interprofessionnelle. Enfin, si le déficit de l’UNEDIC est bien réel, il relève d’un choix politique d’en prendre acte ou de continuer à l’agiter comme un chiffon rouge pour poursuivre la destruction des droits collectifs entamée depuis deux décennies. Le régime d’assurance-chômage, financé par les cotisations salariales et patronales, a été conçu pour indemniser un chômage accidentel. Ce mode de financement est parfaitement inadapté à une discontinuité structurelle de l’emploi, présente dans les annexes 8 et 10 mais aussi dans une part grandissante du marché de l’emploi. En indexant la redistribution sur un volume d’emploi qui a tendance à décroître, il ne tient pas compte de la part grandissante des richesses produites hors du cadre strict du contrat de travail (dont on ne s’aperçoit guère qu’à l’occasion des plaintes en justice des cafetiers d’Avignon ou d’Aix, dont la grève des intermittents a entamé le profit escompté). Le financement par la seule cotisation génère donc un déficit structurel, organise la rareté, exclut, protocole après protocole, toujours plus d’allocataires. Face à ce constat, un choix : considérer comme c’est le cas actuellement le nombre d’allocataires comme variable d’ajustement ; ou alors élargir l’assiette à d’autres sources de financement que la cotisation (qui devra être, quant à elle unifiée, déplafonnée, rendue éventuellement progressive), c’est à dire avoir recours à la fiscalité, à différentes formes de taxation (des flux de communication, du chiffre d’affaire des entreprises).
De troisième part, partis des pratiques spécifiques des intermittents du spectacle, dans leur temporalité (discontinuité) et spatialité (mobilité), il nous est apparu rapidement que la notion de secteur d’activité (listes de métier, codes employeurs) ne pouvait constituer un critère pertinent pour la délimitation des champs d’application de notre modèle, et au-delà, des différentes annexes de l’UNEDIC.
Nous proposons donc de refondre les champs d’application de l’assurance-chômage non plus en fonction des secteurs mais des pratiques d’emploi et d’élaborer pour chaque pratique une annexe spécifique et adaptée. On passerait ainsi d’un régime général et 13 annexes à trois annexes : une pour l’indemnisation des salariés à l’emploi discontinu et au taux de rémunération variable (nouveau modèle), une pour l’emploi discontinu à taux de rémunération fixe, une pour le chômage accidentel (« emploi continu »), quelques soient les secteurs d’activité.
Ces trois derniers points nous mènent vers une refonte de l’ensemble du système d’assurance-chômage. Nous avons appris que notre lutte n’est pas corporatiste, que nos revendications sont étroitement liées à celles de l’ensemble des salariés. Nous savons aussi que si les annexes 8 et 10 sont démantelées, c’est le dernier système solidaire de protection face à l’emploi précaire en Europe qui disparaîtra.
C’est pourquoi nous invitons l’ensemble des salariés à se saisir de cette proposition, à la faire leur, à la mettre en débat, à l’améliorer, à la propager. Nous exigeons quant à nous toujours du gouvernement et des partenaires sociaux l’abrogation du protocole UNEDIC du 26 juin-13 novembre 2003 et l’ouverture immédiate de négociations avec l’ensemble des concernés sur la base du nouveau modèle.
Coordination des intermittents et précaires d’Ile de France / Commission propositions/revendications
Le nouveau modèle d’indemnisation des salariés intermittents, ainsi qu’un film de présentation de ce modèle, sont téléchargeables ici :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=437
On porta lire également :
• Quels droits pour les salariés à l’emploi discontinu ?
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=1259
• L’intermittent et l’immuable, Valérie Marange :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=3231
Texte de la Plateforme Commune du comité de suivi présentée à l’Assemblée Nationale mercredi 25 février 2004 :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=1141
Un autre modèle d’indemnisation du chômage des salariés intermittents, avec Quand le RSA donne le la, Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère - L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009 :
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4124
Comme le disent des camarades belges : Les désirs ne chôment pas :
http://www.choming-out.collectifs.net