Le 25 septembre dernier, Baba Jan et onze autres personnes ont été condamnés à la prison à vie par un tribunal antiterroriste. Le juge a voulu inculper pour outrage à magistrat l’avocat des « 12 de Hunza » qui protestait contre cette sentence ! – il a fallu que le Barreau de Gilgit menace d’entrer en grève pour que cette accusation soit abandonnée. Le 14 octobre dernier, un important rassemblement s’est tenu devant un bureau des Nations unies [2] pour réclamer la libération de Baba Jan et de ses camarades, ainsi que l’abolition de la loi antiterroriste [3] sur le territoire. Pource fait, 9 de ces défenseurs des droits humains ont été inculpés de « sédition » – et il s’agit de personnalités souvent connues : l’avocat Ahsan Ali, président de l’Association du Barreau de GB de la Cour suprême d’appel [4] ; Israruddin Israr, coordinateur de la Commission des droits humains du Pakistan [5] ; Muhammad Farooq, coordinateur, Observateur international des Droits humains [6] ; Safdar Ali, Front national Balawaristan [7] ; Aziz Ahmed du Pakistan Tehreek-e-Insaf/Nagar (district de Hunza) ; Kalamuddin, Front national Balawaristan ; Faizan Mir, Fédération des étudiants de GB ; Javed Rizwan, Front progressiste de la Jeunesse [8], et le colonel à la retraite Nader Hussain, un dirigeant nationaliste.
Tribunaux antiterroristes
La répression use au Pakistan de deux atouts maîtres : la loi contre le blasphème (passible de la peine de mort) et les tribunaux antiterroristes. La première autorise tous les règlements de compte, les seconds permettent aux services spéciaux et aux pouvoirs établis de s’attaquer de la façon la plus arbitraire aux mouvements sociaux et à la gauche militante (en revanche, les vrais terroristes sont bien rarement condamnés.) Ainsi, 27 personnes considérées proches de l’AWP sont actuellement en détention, dont des dirigeants syndicaux du secteur textile de Faisalabad : Fazal Illahi, Akbar Kambo, Babar Shafique Randhwa, Rana Riaz et 9 autres, avec souvent des peines plus longues qu’une perpétuité ! Vingt militants paysans d’Okara, membres de l’Anjuman-e-Mazareen (AMP), luttant pour leurs droits dans une ferme possédée par l’armée, ont aussi été condamnés par un tribunal antiterroriste.
Des dizaines de syndicalistes sont emprisonnés ou en procès sous l’accusation de terrorisme. Ghulam Dastgir Mehboob, qui mena une campagne anti-privatisation, a été incarcéré en 2012. Des dirigeants syndicaux de la Pakistan Telecommunication Company Limited (PTCL) ont été inculpés pour terrorisme en 2009 : Malik Maqbool, Hafiz Lutufullah, Emadul Hasan et 63 autres employés de PTCL. Bien que le tribunal ait renoncé une première fois aux poursuites, la direction du syndicat a été une nouvelle fois arrêtée en 2010 sous des accusations similaires parce qu’elle continuait à protester contre le licenciement de travailleurs.
Comme le relève Farzana Bari, « ces exemples montrent à l’évidence que ce mécanisme judiciaire a été établi pour par l’Etat pour donner une couverture légale à ses actes illégaux. Les tribunaux antiterroristes ont déclenché la terreur à l’encontre des salarié.e.s, des cadres syndicaux et des militant.e.s sociaux qui se dressent contre et dénoncent les actes illégaux de l’Etat. » [9]
Les « 12 de Hunza »
Quel fut le crime des condamnés du 25 septembre : avoir défendu en 2010 les victimes d’une catastrophe climatique. Un glissement de terrain avait coupé le cours de la rivière Kabul et provoqué la formation d’un lac artificiel (Atta Abbad ), engloutissant plusieurs villages. En 2011, la police a tué par balles un fils et son père alors que des victimes de la catastrophe manifestaient pour recevoir les indemnisations promises par l’Etat, ce qui a soulevé la colère des habitant.e.s de la vallée de Hunza qui ont incendié quelques bâtiments publics. Outre la peine de prison, Baba Jan et ses camarades doivent payer un demi-million de roupies d’amende et leurs biens seront saisis pour « rembourser » la reconstruction des bâtiments incendiés [10].
Problème : Baba Jan était loin des lieux de l’incident quand ils se sont produits ; il ne s’y est rendu que le lendemain, après avoir entendu les nouvelles. Il est donc condamné pour des actes qu’il n’a physiquement pas pu commettre. Il n’en est pas moins dénoncé par les autorités comme le principal « instigateur » des troubles.
Ce jugement est évidemment avant tout politique. Baba Jan est une figure de la gauche au Gilgit-Baltistan. Il était en 2010-2011 un dirigeant du Labour Party Pakistan (LPP). Au moment de sa condamnation, il était vice-président de l’AWP, issu du regroupement du LPP et de deux autres organisations [11]. Il a été réélu à son comité fédéral lors du premier congrès réuni en septembre dernier.
Le président de l’AWP, Fanoos Gujjar, s’est récemment rendu dans la vallée de Hunza, intervenant dans plusieurs réunions publiques malgré les menaces policières. Il a rencontré en prison Baba Jan et ses camarades de détention, combatifs malgré la gravité du jugement porté à leur encontre.
Déjà incarcéré en 2011, pour cette même affaire, avec quatre de ses camarades, Baba Jan, en détention préventive avait été torturé ; sa vie était menacée [12]. Il avait été libéré sous caution après une intense campagne de solidarité au Pakistan et sur le plan international, à laquelle nous avions participé.
Aujourd’hui, un comité de solidarité avec les « 12 de Hunza » a été constitué au Pakistan, où des manifestations de protestations ont eu lieu dans la vallée, à Gilgit, au Cachemire (côté Pakistan) et ailleurs dans le pays. La Commission asiatique des droits humains (AHRC), basée à Hongkong, a lancé deux appels urgents en leur faveur [13]. Asma Jehangir s’engage à nouveau à leur côté : avocate renommée, elle fut la présidente de l’Association du Barreau de la Cour suprême. De nombreuses organisations et partis politiques ont dénoncé un jugement purement politique, sans fondements juridiques.
Relancer la solidarité internationale
Les autorités du territoire autonome de Gilgit-Baltistan jouent sur la corde nationaliste en dénonçant comme une ingérence extérieure l’expression de la solidarité envers les « 12 de Hunza » à l’étranger, mais aussi au Pakistan. C’est le discours habituel de tous les pouvoirs autoritaires.
Pourtant, l’organisation au pouvoir dans ce territoire autonome est le Parti du peuple pakistanais (PPP) ; à savoir le parti de la famille Bhutto, originaire du Sindh au sud du pays, avec de solides appuis au Penjab et qui a dirigé l’Etat fédéral à plus d’une reprise.
De plus, aujourd’hui dans l’opposition et se prétendant de gauche (il est membre de l’Internationale socialiste), le PPP tend ostensiblement, à l’échelle fédérale, la main à l’AWP – alors que ses dirigeants au Gilgit-Baltistan mènent une véritable chasse aux sorcières à l’encontre des membres de l’AWP. Les soutiens de Baba Jan comptent bien peser sur cette contradiction. Il est cependant clair que le combat pour la libération des « 12 de Hunza » sera difficile et risque d’être long.
En 2011 déjà – et aujourd’hui encore –, Baba Jan aurait pu choisir l’exile, n’étant pas détenu au moment de sa condamnation. Il a préféré se laisser arrêter afin de pouvoir faire appel du jugement inique prononcé par le tribunal antiterroriste de Gilgit et engager, de prison, une action judiciaire. Cette action judiciaire n’a de chance d’aboutir que si elle est soutenue par une mobilisation effective au Gilgit-Balistan, au Pakistan et sur le plan international.
Pierre Rousset