« Notre plus grande erreur, c’est l’oubli de l’internationalisme. »
« L’antifascisme n’est pas un crime, libérez l’antifasciste de Crimée, Aleksandr Koltchenko. »
Ce sont là des slogans de l’importante manifestation tenue à Moscou contre l’intervention russe en Ukraine le 21 septembre dernier.
Qui est Aleksandr Koltchenko ?
Probablement le militant antifasciste le plus célèbre de Crimée. Se réclamant de l’anarchisme, de l’antifascisme, de la défense de l’environnement et de la défense des droits des travailleurs. Ayant diffusé un film sur l’assassinat de la journaliste indépendante criméenne Anastasia Baburova, à Moscou en 2009, il avait déjà été attaqué au couteau par une bande fasciste.
Lors de l’intervention militaire russe en Crimée répliquant au renversement du président ukrainien Ianoukovtich, Aleksandr Koltchenko a organisé des manifestations pacifiques de protestation contre l’occupation militaire de facto et le référendum truqué, aux côtés de citoyens tatars, ukrainiens, ou russes, notamment le 19 mai dernier à Simféropol.
Dans les jours précédant cette manifestation, une vague d’arrestations - le terme approprié serait « kidnapping » - s’est abattue sur les organisateurs de la résistance. Dans la nuit du 11 au 12 mai était ainsi enlevé le célèbre cinéaste ukrainien Oleh Sentsov, qui avait participé aux manifestations sur le Maidan à Kyiv, et le 16 mai c’était le tour d’Alexandr Koltchenko, dans le centre de Simféropol, l’un et l’autre par le FSB (l’ancien Guépéou-NKVD-KGB). Le 30 mai le FSB faisait savoir qu’il les détenait, ainsi que deux autres inculpés, Hennadiy Afanassov et Oleksiy Tchirniy, pour organisation d’un groupe terroriste lié à l’extrême-droite ukrainienne de « Pravyi Sector » et détention illégale d’armes à feu.
Il semble que les « témoignages » des deux derniers nommés, qui auraient été (sous toute réserve) libérés depuis, aient servi à « charger » Sentsov et Koltchenko. Un transporteur d’explosifs aurait « donné » Sentsov. Koltchenko est accusé d’avoir participé à un « groupe terroriste », planifié des explosions près de la statue de Lénine à Simféropol les 8 et 9 mai, saboté des voies ferrées et des lignes électriques, tenté d’incendier les locaux de l’Unité Russe et de la Communauté russe de Crimée le 14 avril, et ceux de Russie Unie le 18 avril !
La nature délirante de ces accusations s’inscrit dans une très vieille et sinistre tradition qui remonte aux procès de Moscou, quand les opposants révolutionnaires étaient traités de fascistes faisant dérailler les trains.
Elle doit particulièrement attirer l’attention de tous les militants de gauche et syndicalistes en France qui s’interrogent sur le poids des « nazis ukrainiens » dans les évènements qui se sont produits depuis un an.
L’extrême-droite ukrainienne existe et est importante mais elle n’a absolument pas joué un rôle dirigeant ni initiateur dans ce que l’on appelle les évènements du Maidan, mouvement insurrectionnel contre l’oligarchie et pour la démocratie.
L’extrême-droite russe ou « eurasienne » est par contre, de concert avec les soi-disant « communistes » avec lesquels sa symbiose est ancienne et avancée, hégémonique dans les mouvements armés, aidés par l’armée russe, qui sont intervenus dans les oblasts orientaux du Donbass et de Louhansk en Ukraine, où la population dans sa masse est restée passive, méfiante ou apeurée.
En Crimée, l’appel à la fusion avec la Russie est venu des antennes de l’Etat russe, déjà bien présentes, et de l’extrême-droite russe. L’extrême-droite européenne, y fut bien représentée par un « observateur indépendant » lors du « référendum », l’expert aux relations internationales du Front National français, Aymeric Chauprade.
Kidnapper le principal antifasciste connu comme tel de Crimée, et tenter de le faire passer pour un incendiaire néo-nazi, voila la tactique grossière du FSB.
Le 11 juin, une déclaration publique de l’avocat de Oleh Sentsov à l’occasion du Festival international du film d’Odessa donnait l’alarme sur la détention arbitraire et les conditions de cette détention dont sont victimes Oleh Sentsov et Alexandr Koltchenko. Tous deux ont été « transférés » à la vieille prison tsariste de Lefortovo, à Moscou. Oleh Sentsov avait été battu pendant plusieurs heures, déshabillé et menacé de viol s’il ne « coopérait » pas. Il est à craindre qu’Alexandr Koltchenko n’ai subi les mêmes traitements, mais aucun aveu n’a pu être annoncé par le FSB. Un appel de cinéastes, dont Wim Wenders et Pedro Almodovar, a été lancé pour Oleg Sentsov. Le 24 juin, Amnesty International a lancé une pétition pour la libération de Sentsov et Koltchenko :
Aleksandr Koltchenko est un antifasciste que la police politique tente de faire passer pour un fasciste !
Aleksandr Koltchenko est un homme qui se considère comme citoyen ukrainien et que la police politique russe veut juger en tant que russe !
Aleksandr Koltchenko est détenu arbitrairement et accusé de crimes absurdes !
Le 15 octobre dernier, se tenait à Paris une réunion-débat sur la situation en Ukraine, à l’initiative des militants français Vincent Présumey et Olivier Delbeke, avec l’aide du Global Labour Institute, en présence des militants ukrainiens Nina Potarska (Ligue socialiste-Opposition de gauche), Youriy Bouzdougane et Olenna Skomorochtchenko (Parti social-démocrate) et des militants russes Julia Gousseva (Centre Praxis) et Kiril Buketov (syndicaliste indépendant). Le cas d’Alexandr Koltchenko a été exposé aux participants. Il a été décidé d’entrer en campagne pour sa libération.
Nous aussi, en France, nous pouvons dire : « Notre plus grande erreur, c’est l’oubli de l’internationalisme. » Devrions-nous faire comme si le rideau de fer était réapparu ? Devrions-nous par crainte de l’alignement français sur l’impérialisme étatsunien ignorer l’impérialisme russe ? Devrions-nous croire les sirènes d’une certaine blogosphère soi-disant « rouge » et de celle d’extrême-droite qui nous assènent que tous les Ukrainiens sont des nazis ?
Il y va de l’honneur du mouvement ouvrier et démocratique français qui doit renouer avec ses meilleures traditions.
Faisons de Koltchenko un exemple, un bélier pour Sentsov et tous les autres. Faisons prendre position nos organisations syndicales.
L’antifascisme n’est pas un crime !
La nationalité ukrainienne n’est pas un crime !
Solidarité internationaliste !
Verveine Angeli, syndicaliste Solidaires, Stefan Bekier, ancien activiste de l’opposition de gauche en Pologne, militant de Ensemble ! (membre du Front de Gauche), Jean-François Claudon, militant socialiste, Olivier Delbeke, syndicaliste CGT, Fabien Gallet, syndicaliste Solidaires, Dan Gallin, syndicaliste UNIA (Suisse) et Global Labour Institute (Genève), Dominique Gautrat, enseignante retraitée, adhérente au SNES (FSU), Serge Goudard, militant trotskyste et syndicaliste FSU, Pierre Guillaumin, syndicaliste CGT, Laure Jinquot, “L’insurgé” et syndicaliste FSU, Zbigniew Marcin Kowalewski, chercheur et journaliste, Jan Malewski, rédacteur de la revue Inprecor, Alexis Mayet, syndicaliste UNEF, Vincent Présumey, syndicaliste FSU, Catherine Samary, économiste, militante altermondialiste.
Pétition à l’ambassade de Russie, 40-50 boulevard Lannes, 75 016 Paris :
Les soussignés exigent la libération immédiate du militant antifasciste ukrainien de Crimée Alexandr Koltchenko, arbitrairement détenu à Moscou. Ni l’antifascisme, ni la nationalité ukrainienne, ne sont un crime !
Mail provisoire pour envoi des signatures : gli bluewin.ch