En votant massivement en faveur des deux principales forces politiques au pouvoir à Kiev, dimanche 26 octobre, lors des élections législatives, l’Ukraine en guerre a exprimé un fort besoin de stabilité et d’unité. Et une orientation claire vers l’Europe. Selon les premiers résultats, la liste du président Petro Porochenko est au coude-à-coude avec celle du premier ministre, Arseni Iatseniouk, avec environ 21,6 % des voix. La participation est toutefois plus faible (53 %) que lors de la présidentielle du 25 mai (60,3 %).
Le score élevé du Front populaire de M. Iatseniouk, à qui les sondages accordaient 10 points de moins, constitue la principale surprise du scrutin. Les électeurs n’ont pas voulu donner un chèque en blanc à M. Porochenko et ont plutôt plébiscité un tandem. M. Iatseniouk, populaire dans le pays, apprécié des partenaires occidentaux de l’Ukraine, a toutes les chances de conserver son poste de premier ministre. Ce qu’il a promis aux électeurs durant la campagne.
Six mois exactement après son élection à la présidence, Petro Porochenko reste toutefois l’homme fort de l’Ukraine. Le président, qui devait jusqu’à présent s’appuyer pour gouverner sur des transfuges du Parti des régions de l’ancien président Viktor Ianoukovitch, prendra la tête d’une majorité solide.
Profond renouvellement
En cela, le vote de dimanche clôt politiquement le chapitre de Maïdan. Le Parlement sortant, élu en 2012, ne reflétait pas le paysage politique issu de la révolution : c’est lui qui avait voté les lois liberticides du 16 janvier, pendant la contestation contre le président Ianoukovitch.
Ces élections sont aussi celles du profond renouvellement de la scène politique ukrainienne. Le nouveau Parlement est, de toute l’histoire ukrainienne, celui qui affiche la plus nette orientation vers les réformes et l’intégration européenne. Plus de la moitié des députés devraient être de nouveaux entrants. Parmi eux, une vingtaine d’anciens activistes de Maïdan, déterminés à ne pas laisser le personnel politique retomber dans ses vieux travers, mais aussi nombre de combattants du front de l’est.
La guerre dans le Donbass, sans avoir été un thème central de la campagne, reste omniprésente dans les esprits. Nul ne pourra l’oublier, lorsque le nouveau Parlement se réunira pour la première fois, fin novembre : 27 sièges resteront vacants, le vote ne s’étant pas tenu dans 12 circonscriptions de la Crimée, annexée par la Russie en avril, et dans 15 circonscriptions des régions de l’est, dont le contrôle échappe à Kiev.
Les partis prorusses font les frais de cette recomposition. Le Bloc d’opposition, qui accueillait principalement d’anciens élus du Parti des régions, obtient de l’ordre de 9,6 % des suffrages. Quant aux nationalistes ukrainiens de Svoboda, les « meilleurs ennemis de Moscou », ils sont en recul par rapport à leur score de 2012 (environ 6 %).
D’ici quelques jours, des résultats plus complets montreront si l’effacement du clivage politique entre le centre-ouest et le sud-est, observé lors de la présidentielle du 25 mai, se confirme.
Corruption électorale
Le scrutin n’est pas irréprochable. Dans plusieurs circonscriptions, on peut s’attendre à ce que soient émises des réclamations sur l’honnêteté du vote et du dépouillement. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) doit rendre un premier verdict lundi après-midi.
La campagne a aussi été marquée par la perpétuation de pratiques peu glorieuses qui caractérisent la vie politique ukrainienne depuis vingt-trois ans. Dans de nombreuses circonscriptions, la corruption électorale – distribution d’argent ou de cadeaux – est restée de mise. Surtout, en l’absence de système de financement public, une poignée d’oligarques continuent d’exercer un poids immense sur la vie politique.
M. Porochenko, qui devrait dans les jours qui viennent enregistrer les ralliements d’une centaine de députés indépendants, va tenter de constituer la coalition la plus large possible. Il s’agit d’éviter un face-à-face avec le seul Iatseniouk. Les deux hommes travaillent en confiance mais sont en concurrence, et le seront encore plus avec les résultats serrés de dimanche soir.
« Tous les partis démocrates seront invités à faire partie de la coalition », a expliqué dimanche soir M. Porochenko, depuis le siège de son parti, promettant un accord sous dix jours. Outre le Front populaire, la liste réformatrice Samopomitch, emmenée par le maire de Lviv (10,6 %), devrait se joindre à la nouvelle majorité. Ioulia Timochenko, dont le parti Batkivchtchina réalise un score décevant de 5,8 %, pourrait aussi être sollicitée.
Conflit gazier
Une tâche difficile attend cette nouvelle majorité. Il s’agit à la fois de répondre aux aspirations exprimées durant Maïdan – réformer en profondeur les structures du pays pour faire diminuer la corruption et améliorer la qualité de la gouvernance – et parer à l’urgence. Les dossiers ne manquent pas.
Le plus brûlant est le conflit dans le Donbass. La stratégie de conciliation du président a permis de faire diminuer le niveau des violences, mais le processus de règlement politique engagé après les accords de Minsk, début septembre, est au point mort. M. Iatseniouk a été critique de cette stratégie, mais le dossier devrait rester entre les mains du président.
Autre dossier urgent, le règlement du conflit gazier avec Moscou, qui a coupé ses livraisons depuis le mois de juin. L’économie est dans un état catastrophique. La situation, déjà peu brillante, a été fortement dégradée par la guerre. En 2014, le produit intérieur brut (PIB) pourrait se contracter de 8 % à 10 %. La monnaie nationale, la hryvnia, a chuté de plus de 11 %, provoquant une forte baisse du niveau de vie.
Les bons scores des partis réformateurs et pro-européens montrent que les Ukrainiens, malgré les frustrations et une fébrilité palpable dans le pays, sont encore prêts à patienter pour voir se réaliser les promesses de Maïdan.
La guerre, si elle a ralenti la mise en œuvre des réformes, a soudé la société ukrainienne. En atteste le faible score obtenu par le Parti radical d’Oleh Liachko. Ce populiste qui vilipende ses collègues sur à peu près tous les sujets n’obtient que 6,5 %, loin des scores mirobolants que lui promettaient les sondages.
Benoît Vitkine (Kiev, envoyé spécial)