Lettre au MAGAZINE LITTERAIRE.
Nous sommes plusieurs à nous être étonnés de l’apparente méconnaissance du contenu de l’Univers Concentrationnaire, livre de David Rousset, dont un commentaire critique est paru dans le dossier du Magazine Littéraire de janvier sous la signature de Lionel Richard [1]. David Rousset tomberait dans « le travers de tout mêler », les camps « de destruction » comme les camps « normaux ». La critique aurait sans doute été plus recevable si l’auteur de l’article ne s’était contenté de balayer les positions de David Rousset en quelques mots et si les termes du débat avaient été énoncés. Il nous a donc semblé important, pour prolonger et compléter le texte de Lionel Richard, de rappeler aussi brièvement que possible le contenu des partis pris qu’il critique.
David Rousset a – « malheureusement », lui reproche Lionel Richard – outrepassé sa seule expérience personnelle. Dans l’Univers concentrationnaire (ch.5), il avance que pour comprendre et faire comprendre le système des camps nazis, il faut « en saisir les règles et en pénétrer le sens ». C’est pour cela qu’il a choisi d’aller au-delà de son expérience propre, pleinement conscient pour autant que le recours aux témoignages est une tentative « hasardée ». [2] Tentative certes hasardée, mais la seule possible, à force de recoupements, pour aboutir à un panorama d’ensemble.
Dans ce même chapitre, David Rousset souligne aussi que « les erreurs naïves à éviter » seraient de croire les camps « tous identiques et équivalents ». Buchenwald et d’autres « constituent les types de camps normaux… Sur d’autres parallèles se situent les camps de représailles contre les Juifs et les Aryens du format Auschwitz et Neue-Bremm (…) Les camps de Juifs et de Polonais : la destruction et la torture industrialisées sur une grande échelle. Birkenau, la plus grande cité de la mort, les sélections (…) Dans les grandes périodes, des dizaines de milliers de gazés par jour… »
« Sur d’autres parallèles… » Peut-on mieux dire que les camps de destruction et les camps normaux étaient différents mais appartenaient au même monde – le monde concentrationnaire nazi – , qu’ils étaient soumis à la même logique, vouant tous les « êtres inférieurs » à la torture en permanence et à la destruction physique ? Les camps ordinaires avaient leurs « enfers ». Birkenau était, dans son ensemble, un « enfer ».
Comme le développe encore David Rousset dans L’Univers Concentrationnaire, si tous les adversaires politiques du nazisme étaient voués à la destruction et à la torture permanente, pour certains peuples, certaines races, il n’était pas nécessaire d’être un adversaire du national-socialisme : « ils sont de naissance, par prédestination, des hérétiques non-assimilables voués au feu apocalyptique »
Où est la confusion ?
Un même monde, sur des parallèles différents : les camps d’extermination et les camps normaux. Une même nature concentrationnaire nazie, des degrés différents dans la destruction programmée des êtres humains.
Si l’époque a honoré les résistants déportés au détriment de la mémoire des victimes juives du génocide, il ne faudrait pas l’imputer à cette tentative d’explication de la logique des camps qui n’a pas empêché, par ailleurs, David Rousset de publier dans la foulée de l’Univers… et des Jours… Le pitre ne rit pas, document accablant sur la quotidienneté du racisme meurtrier anti-juif pendant la guerre.
Marc Rousset